L'Histoire continue

L’histoire continue. L’abdication d’Albert 2, un plan "presque" sans accroc

L’abdication d’Albert II en 2013 a été l’objet d’une très longue discussion en coulisses. L’entourage du roi et les politiques proches de lui étaient majoritairement réticents à l’idée. Elle s’est pourtant imposée, mais le roi aura dû attendre, réclamer, négocier. Retour sur un accouchement très compliqué.

Tabou

Il y a 8 ans le mot "abdication" était quasiment tabou. Comme si le Roi, pour être un bon roi, devait mourir sur son trône. Ce fut le cas de tous les rois des Belges, à l’exception notoire de Leopold III après l’épisode de la "question royale" à propos de son rôle durant la guerre 40-45.

Mais le mot abdication est tabou pour d’autres raisons que la tradition. Des raisons plus politiques. Car le Roi jouit encore d’un certain pouvoir en Belgique lors de la formation des gouvernements. Et la Belgique sort de sa plus longue crise politique, où le souverain a joué un rôle important.

Pour beaucoup de politiques, une abdication risquerait de fragiliser la monarchie et le pays. Cette idée domine assez largement. Elle domine d’autant plus que le successeur désigné, Philippe, est loin de faire l’unanimité. Si aujourd’hui sa capacité à régner n’est plus guère contestée, il en allait autrement au début des années 2010. Ses maladresses, son manque d’assurance font craindre le pire a de nombreux politiques.

Tout ceci explique que le processus de prise de décision fut long et laborieux plus d’un an et demi. Or, le roi Albert II approche alors des 80 ans. Il en a marre. Il a déjà eu pas mal de soucis de santé et il veut profiter des années qu’il lui reste avec son épouse Paola.

Voilà le plan…

Et donc, pour vaincre les résistances diverses à l’abdication, le Roi va échafauder un plan. Dès le début de l’année 2012, il teste une idée auprès de quelques proches. Abdiquer le 21 juillet 2013, et négocier tout ça avec le Premier ministre de l’époque Elio Di Rupo. Pour que le plan fonctionne, il faut qu’il reste secret. C’était sans compter sur une journaliste du Journal Le Soir qui allait tout révéler au grand public plus d’un an auparavant.

Le Soir du vendredi 2 mars 2012.
Le Soir du vendredi 2 mars 2012. © Le Soir

Le journal affirme qu’Albert II prépare ce scénario en coulisse. Pourquoi le 21 juillet 2013 ? Car cela fera près de 20 ans qu’il régnera. Il aura aussi 80 ans ce qui fera de lui le roi belge régnant le plus âgé, la réforme de l’Etat qui a mis des années à voir le jour, sera votée. Bref, une conjonction des astres. Voilà pour le scénario, il est peut-être plausible, mais est-il crédible ?

A l’époque, peu de monde le pense. Le palais dément, tous les politiques interrogés aussi. Martine Dubuisson est bien seule à défendre son scoop. Sur le plateau du débat du dimanche midi à la RTBF, elle doit faire face aux sarcasmes. Armand de Decker pour le MR, que l’on dit proche du Palais.

"Je peux vous dire une chose, un scoop, si le Roi décide d’abdiquer, ce ne sera en tous les cas pas le 21 juillet 2013. Tout simplement parce que le Roi a joué un rôle capital durant la crise politique. Je l’ai vu très souvent, il est totalement déterminé de remplir son rôle jusqu’au bout. Y compris jusqu’à ce qu’il abdique, mais ce n’est pas du tout dans les traditions de la Belgique."

Les paroles, malheureusement pour Armand De Decker, ne s’envolent pas toujours. L’article du Soir était-il crédible ? A l’époque, la Belgique semble plutôt ne pas y croire, ni le vouloir. Au Palais, Albert II est échaudé. Il cherche à savoir qui a parlé au journal Le Soir, il se montre plus prudent, et n’évoque plus ce scénario. Le dossier Abdication 21 juillet 2013 se retrouve dans un tiroir d’un bureau en ronce de noyer de Laeken. Pour quelques mois.

Car, le 28 janvier 2013 la Reine Béatrix annonce son intention d’abdiquer en faveur de son fils. Or, la reine Beatrix est 4 ans plus jeune que le Roi Albert. L’abdication de la Reine donne lieu à une fête populaire aux Pays-Bas et a plutôt contribué à renforcer l’image de la monarchie. Chez nous la question se pose donc à nouveau dans les médias, et à nouveau dans la tête d’Albert II qui ressort le dossier abdication du tiroir.

L’exemple hollandais va jouer un rôle important pour l’aider à convaincre son entourage et le monde politique. Car oui, il faut convaincre. La Belgique sort tout juste de la plus longue crise politique de son histoire. Et Albert II a été institué par beaucoup comme une sorte de sauveur du pays. Mais pour ça il a payé de sa personne…

Albert II est usé par cette crise et souhaite passer la main à son fils. Mais côté politique certains craignent que Philippe ne soit pas prêt et pas assez fort pour faire face à une nouvelle crise politique, qui, c’est clair, ne tardera pas à éclater. Il va donc devoir convaincre. Et en premier lieu, il doit convaincre le Premier ministre Elio Di Rupo. Le roi attend le 15 avril 2013.

Le 15 avril 2013

C’est un lundi. Comme chaque lundi Elio Di Rupo arrive à l’audience du Palais. Là, Albert lui confie son idée : abdiquer le 21 juillet. Le roi Albert en a parlé à son fils Philippe la veille, il demande donc à Elio Di Rupo son aval. Mais le Premier ministre botte en touche. Elio Di Rupo ne veut pas détourner l’agenda de son gouvernement avec cette affaire. Et puis il craint que trois mois entre l’annonce et l’abdication ne donne des occasions aux nationalistes d’affaiblir la maison royale et le pays. Le dossier Abdication est une nouvelle fois rangé dans un tiroir. Philippe est mis au courant que tout est gelé. Mais c’est faux. Il ne sait pas qu’en coulisses Elio Di Rupo et la maison royale discutent du mois de juillet.

Le 3 juillet

Le 3 juillet au matin, un porteur se rend au 16 avec un courrier. Il ne vient pas de très loin, il vient d’en face, du Palais de l’autre côté du parc royal. Il est adressé au Premier ministre. Elio Di Rupo sait ce qu’il va y trouver. C’est une lettre du Roi.

"C’est avec regret mais aussi en âme et conscience que je vous confirme par la présente lettre la teneur du message dont je vous avais fait part."

"Je me dois en effet de constater que ma santé ne me permet plus d’exercer ma fonction comme je le voudrais."

"Mon fils Philippe est bien préparé pour me succéder. C’est donc avec sérénité et confiance que je vous réaffirme mon souhait d’abdiquer ce 21 juillet 2013, jour de notre fête nationale, en faveur de mon fils Philippe."

Elio Di Rupo convoque dans la foulée, un kern, un conseil des ministres restreint. Chose exceptionnelle, il se tient au Palais royal, Place des Palais. Le roi annonce sa décision, avec émotion, aux vices premiers ministres fédéraux. Quelques larmes coulent, les ministres quittent le palais. Très vite tout s’enchaîne. Le service presse du Palais appelle les rédacteurs en chefs des 4 grandes chaînes nationales pour leur indiquer, mais sans expliquer pourquoi, que le roi souhaite diffuser une allocution à 18 heures. Il ne faudra pas attendre longtemps pour le savoir.

Le Roi reprend devant les Belges plus ou moins les arguments qu’il a tenus devant Elio Di Rupo. L’annonce faite, en coulisse, il reste quelques détails à régler. Et pas des moindres, il faut organiser la cérémonie, inviter des personnalités du monde entier, prévoir une fête avec la population, organiser des visites d’adieu. Le cabinet du prince Philippe monte au créneau, en collaborant assez peu avec le cabinet du Roi. Les relations entre les deux sont, pour le dire poliment, plutôt limitées.

Autre détail à régler, le montant de la dotation royale pour Albert II. Elio Di Rupo propose au gouvernement de se calquer sur le modèle néerlandais, ou Beatrix reçoit depuis son abdication 1.4 millions d’euros. Le VLD refuse. Albert II aura beaucoup moins qu’espéré, ce sera finalement 900.000 euros. Il en gardera une amertume particulière, en particulier envers Elio Di Rupo qui ne l’aurait pas assez défendu.

Enfin, le 21 juillet

Mais ceci viendra à peine troubler la grande fête qui s’organise le 21 juillet. Il fait très beau, la foule est présente. La journée commence par la signature de l’acte d’abdication. A 10h45 Albert II parle pour la dernière fois en tant que roi. L’émotion le submerge à deux reprises. La première fois quand il lance un dernier message aux politiques. La deuxième fois, la gorge toujours aussi nouée, il lance un message à la reine Paola, non prévu dans ses notes.

Son dernier discours du Roi Albert le termine la gorge nouée et par "un gros kiss" à son épouse Paola. Le roi qui avait succédé à son frère Baudouin en tremblant lors de son premier discours, termine sa carrière en pleurant lors de son dernier, submergé par l’émotion. La boucle est bouclée…

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