L'Histoire continue

L’Histoire Continue : Métro Charonne et massacres du 17 octobre 1961, les mémoires troubles sur l’Algérie

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Fin 1961-début 1962, le sang a coulé sous les matraques de la police parisienne. La guerre d’indépendance algérienne touche à sa fin, les accords d’Evian vont être scellés. Sur fond de crise politique, la tension et le niveau de violence grimpent en France. Ces événements, longtemps oubliés des livres d’histoire, résonnent avec les massacres commis en Algérie depuis le début de la guerre en 1956.

 

► Cet article de février 2022 a été mis à jour dans le cadre de la rediffusion de L'Histoire continue sur La Première

8 février 1962. Paris. Boulevard Voltaire. Au-dessus des immeubles haussmanniens, l’hiver et la fin d’après-midi ont déjà assombri le ciel. Dans la foule, la tension est en train de monter.  A l’unisson, les manifestants crient : “OAS, Assassins !”, “La paix en Algérie ”. Vingt-mille personnes sont en train de se rassembler, à l’appel des syndicats et des partis de gauche. Sur les tracts distribués plus tôt dans la journée, il est écrit : “Tous en masse, ce soir à 18h30, Place de la Bastille”. 

Manifestation contre les attentats perpétrés par l'OAS en février 1962 à Paris
Manifestation contre les attentats perpétrés par l'OAS en février 1962 à Paris © Tous droits réservés

Plusieurs cortèges sont en train de se former sur les différentes avenues qui entourent le point de rendez-vous. Le long du Boulevard Voltaire, la situation se tend. Le cortège n’est pas encore tout à fait formé. Dans 20 minutes, la violence se sera déchaînée. Neuf personnes auront perdu la vie.

Les mois tendus qui mènent à l’indépendance de l’Algérie

Les événements qui vont se dérouler à la station de métro Charonne, ce 8 février 1962, sont que la pointe émergée de l’iceberg. Le point de l’histoire le plus visible, le plus connu, le plus documenté.

Mais en réalité, cela fait des mois qu’à Paris, la violence se déchaîne. La guerre touche à sa fin, en Algérie. Et de toutes parts, les positions se tendent : les mouvements, les partis politiques, l’appareil de l’Etat. Le président Charles de Gaulle se dirige vers la solution de l’autodétermination, vers les accords d’Evian qui doivent organiser un référendum. Ce référendum mènera à l’indépendance de l’Algérie. 

En donc, tout le monde se crispe. Notamment chez ceux qui veulent le maintien de l’Algérie française. L’OAS, par exemple, armée secrète proche de l'extrême-droite, veut à tout prix le maintien de l’Algérie française et  mène une série d’attentats.

Chez les Algériens, le FLN se bat pour l’indépendance, en Algérie et à Paris. Aussi, notamment, à travers des attentats, des plasticages comme on les appelle.

Le préfet de police, Maurice Papon, acteur central de la répression policière en Algérie et à Paris
Le préfet de police, Maurice Papon, acteur central de la répression policière en Algérie et à Paris © Tous droits réservés

Et puis, il y a un autre élément. Quelques années plus tôt, en 1958, un homme a pris la tête de la préfecture de police de Paris : Maurice Papon, cet ancien haut-fonctionnaire de Vichy a participé à la déportation de centaines de juifs de Bordeaux vers Auschwitz, pendant la guerre. Il sera d’ailleurs, bien plus tard, condamné pour crime contre l’humanité.

Maurice Papon, acteur central, en Algérie et à Paris

Mais, pour l’heure, Maurice Papon est un fonctionnaire bien noté du régime gaulliste. Il a passé plusieurs années en Algérie. Et il est revenu à Paris, où il a importé les techniques musclées de lutte contre le FLN. Les Algériens de France font l’objet de contrôles systématiques. Au journaliste de la RTBF qui l’interroge en 1962, il explique qu’il s’agit de "contrôles renforcés des piétons et des automobilistes”. 

Les historiens s’accordent aujourd’hui. La répression a été beaucoup plus sanglante que de simples contrôles des piétons et d’automobilistes En octobre 1961, 3 mois avant les événements du Métro Charonne, la préfecture de police, dont Maurice Papon est à la tête, a décrété un couvre-feu qui s’applique uniquement aux maghrébins de Paris.

Autour du 17 octobre : la répression sanglante et oubliée

La mesure vise directement le FLN, très implanté parmi les Algériens de Paris.Très implanté et très organisé. Alors le 17 octobre 1961, en quelques heures, une manifestation s’organise, pour boycotter ce couvre-feu qui doit démarrer à 20h30.

Manifestation des Algériens, à l'appel du FLN, le 17 octobre 1961. Après 37 ans de déni, les autorités françaises ont reconnu, en 1998, la mort de 48 manifestants. Certaines estimations comptent plus de 200 victimes
Manifestation des Algériens, à l'appel du FLN, le 17 octobre 1961. Après 37 ans de déni, les autorités françaises ont reconnu, en 1998, la mort de 48 manifestants. Certaines estimations comptent plus de 200 victimes © Tous droits réservés

En fin d’après-midi, ils sont 20 à 30 000 à converger vers différents points de rendez-vous Ils viennent de tous les coins de Paris, du bidonville de Nanterre, où 10 000 personnes vivent dans des baraquements de tôle aux garnis installés sous les toits des grands immeubles du centre. Hommes, femmes, enfants, fièrement vêtus de leurs habits du dimanche. Ils sont là pour manifester pacifiquement. C’était le mot d’ordre du FLN, en ce 17 octobre 1961 : surtout, pas d’armes !

La répression policière va être sanglante, cette nuit-là. Le nombre de morts fait encore l’objet de controverses, aujourd’hui : entre 48 (reconnus en 1998 par les autorités françaises) et 200, notamment noyés dans la Seine.

Métro Charonne : le sang avant l’Indépendance

Nous sommes à la fin de la Guerre d’Algérie. Les plasticages, les attentats se multiplient. Les accords entre Français et Algériens pour l’indépendance de la colonie sont en train de se négocier. La police traque le FLN. Mais la violence vient aussi de L’OAS, mouvement proche de l’extrême-droite qui veut maintenir l’Algérie française.

Le 6 février, l’OAS mène un attentat contre l’appartement d’André Malraux. L’écrivain est alors Ministre de la Culture. Une petite fille de 4 ans est grièvement blessée. La photo de la fillette,  Delphine Renard, le visage ensanglanté et la petite chemise déchirée fait la une de toute la presse.

L’émotion est énorme. Les syndicats étudiants, enseignants… plusieurs partis de gauche appellent à la manifestation. Le 8 février 1962, le long des artères qui mènent à la place de la Bastille, 3000 policiers sont mobilisés. Casques, gants de toile, matraque. Ils ont reçu l’ordre de disperser le rassemblement.

Manifestants blessés lors de la manifestation du 8 février 1962 après de violents combats entre la police et les manifestants.
Manifestants blessés lors de la manifestation du 8 février 1962 après de violents combats entre la police et les manifestants. © AFP or licensors

Boulevard Voltaire, 4000 manifestants se retrouvent pris en tenaille entre deux unités de police. Les manifestants ne peuvent s'échapper que par les ruelles latérales, se cacher dans les entrées d’immeuble ou dans les bouches du métro de la station Charonne qui se trouvent le long du Boulevard.

C’est là que va se jouer le drame. Longtemps, les autorités françaises ont soutenu que les grilles de la station de métro étaient fermées, que les victimes étaient mortes écrasées. Aujourd’hui, on sait que ces grilles étaient ouvertes et que les victimes sont mortes sous les coups de policiers ou lors de bousculades. 9 manifestants ont perdu la vie. 250 personnes ont été blessées.

Paris, prolongation du terrain de guerre algérien

Les événements du Métro Charonne et du 17 octobre 1961 montrent la difficulté de faire mémoire sur ces événements. Ceux survenus en France, mais aussi en Algérie, entre 1954 et 1962. “Ce qui va se passer en France (...) ça n’est que - avec tous les guillemets qui s’imposent - l'éclaboussure de ce qu’il se passe depuis déjà longtemps en Algérie”, explique Safia Kessas, journaliste et réalisatrice. Elle a enquêté (dans un podcast intitulé "Au Nom de Safia produit par Binge Audio, à paraître fin février 2022) sur l’histoire de sa famille qui a quitté l’Algérie et sur les massacres qui y ont été commis. Elle a rassemblé les éléments épars de cette histoire qui montre combien la mémoire sur ces événements reste trouble. Safia Kessas est l'invitée de l'Histoire Continue.

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