Belgique

L’histoire continue : quand le sang coulait dans les Fourons

Quand le sang coulait dans les Fourons

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Il y a presque 40 ans, le 29 juillet 1983, la vitrine d’un café francophone de Fouron-le-comte était mitraillée. Il y aura 7 blessés légers, dont un grave. Très vite les auteurs sont retrouvés et condamnés. Ce sont des militaires, membres d’une milice flamande d’extrême droite, le VMO.

Ce n’est pas le premier incident du genre dans les Fourons. La commune à majorité francophone a été rattachée contre son gré à la commune du Limbourg en 1963. Depuis les tensions n’ont pas cessé. Comment en est-on arrivé à un tel niveau de haine entre les communautés ? Comment les Fourons ont dominé l’agenda dans les années 80 ? Que reste-t-il aujourd’hui de cette haine ? Quarante ans après, l’histoire continue.

Une belle nuit d’été

Ce 29 juillet 1983, sur la place du petit village de Fouron-le-Comte, les deux cafés sont encore ouverts. Les clients profitent d’une belle nuit d’été. Quand on tourne le dos à l’église, à droite, c’est chez Wynants, le café flamand. À gauche, chez Liliane, le café francophone. Liliane la patronne, une grande brune, sert des blondes. Soudain, un coup de frein : une voiture s’arrête devant la vitrine. Un homme sort une arme de guerre et tire une dizaine de fois. Liliane et les clients se couchent, tentent de prendre la fuite. Il y a 7 blessés légers, un plus sérieux. Le lendemain, les fouronnais observent, un peu blasés, l’arrivée des journalistes et des experts de Bruxelles.

"Ils en ont tiré une quinzaine, raconte un des clients présents ce soir-là. On n’a rien vu, on s’est sauvé. Du sang giclait partout. Un garçon derrière la fenêtre a eu son coude arraché."

Fusillade à Fourons

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Ça tourne avec l’argent de la drogue et du sexe

Pour beaucoup de Fouronnais, l’affaire est entendue, le café francophone a été pris délibérément pour cible. Et beaucoup pensent que ce sont des Flamands qui ont fait le coup. Pourtant quelques mètres plus loin, chez Wynants, au café flamand, on n’imagine pas ça.

Un représentant du comité flamand des Fourons trouve même insultant qu’on puisse se poser la question. "C’est un règlement de compte dans le milieu, explique Guy Swéron. C’est un acte de gangstérisme avec lequel nous n’avons rien à voir. Je trouve même immoral de relier ça au conflit linguistique. Non ! Nous connaissons ce café. Ça tourne avec l’argent de la drogue et du sexe."

José Happart devant le café chez Liliane, Fourons, 1983
José Happart devant le café chez Liliane, Fourons, 1983 © Belga

"Une initiative personnelle"

Les Fourons sont dirigés depuis peu par un nouveau bourgmestre. Agriculteur, syndicaliste, il milite pour le retour à Liège de la commune. José Happart se trouvait bien sûr sur la place de Fourons ce matin-là. Lui parle d’un "acte terroriste, criminel". Il vise le TAK (Taal Actie Komiteit) qui a pour agenda de "flamandiser les Fourons".

Les gendarmes vont donc mener l’enquête. Quelques jours après ils tiennent une piste, trois personnes sont arrêtées et très vite ils passent aux aveux. Lors d’une soirée arrosée, deux militaires flamingants ont décidé de "faire peur aux francophones". Ils se sont lancés dans une "virée" dans Fourons avec leurs armes de guerres.

L’auditeur militaire chargé de cette affaire explique : "Il y a peut-être bien une raison politique ou linguistique sous-jacente. Mais ce n’était une opération téléguidée par qui que ce soit. C’était une initiative personnelle. On peut dire qu’ils ont agi pour leur propre compte et qu’ils ont été influencés par une organisation sous jacente (le VMO), mais certainement pas téléguidés".

Le leader du VMO Bert Eriksson en 1983 lors du procès qui va conduire à la dissolution de sa milice, le VMO.
Le leader du VMO Bert Eriksson en 1983 lors du procès qui va conduire à la dissolution de sa milice, le VMO. © Belga

Période noire

On a tendance à dire que les conflits communautaires n’ont pas fait couler de sang en Belgique. Certes, nous ne sommes pas l’Irlande du Nord, mais on oublie un peu vite la violence que faisaient régner des milices comme le VMO (dissous en 1983).

Le journaliste Philippe Leruth a couvert les Fourons pour le journal Vers L’Avenir, devenu L’Avenir. Il commente : "Il est extraordinaire qu’il n’y ait jamais eu de morts dans les Fourons, car ce n’est pas le seul incident où des coups de feu ont été tirés. Ici, on parle d’une fusillade contre un café francophone, mais un peu avant un patron de café francophone avait tiré sur un café flamand. Il y eut aussi le cas de Joseph Snoeck, pisciculteur, qui a fait feu sur des manifestants flamands. Il y a aussi eu un militant flamingant qui a été rossé et jeté dans la Voer. Vous imaginez le degré de violence, cela véhiculait des haines très fortes".

C'était une "période noire en Belgique", évoque Ivan de Vadder, journaliste politique à la VRT. "Il y avait les CCC, les tueurs du Brabant, les colleurs d’affiches se battaient parfois lors des élections, il y avait une violence politique dans notre société qui à aujourd’hui disparu. Désormais, la violence est verbale, sur les réseaux sociaux."

Un cas Happart

De ce chaos fouronnais va naître José Happart, militant de l’action fouronnaise et bourgmestre, qui sera toujours rejeté par la Flandre. Le nord du pays, presque unanimement lui reproche son militantisme. En particulier, il lui est reproché de ne pas vouloir parler le néerlandais au conseil communal et donc de contrevenir à l’interprétation flamande des lois linguistiques.

José Happart face à un gendarme, dans les années 80
José Happart face à un gendarme, dans les années 80 © Belga

"L’ancêtre de la N-VA, la Volksunie militait pour le respect des lois, et en particulier du fait de parler le néerlandais dans les administrations en Flandre, rappelle Ivan de Vadder. Happart est devenu un symbole qui devait disparaître. La Flandre refuse de le nommer. On se retrouve avec une discussion où s’oppose le résultat du scrutin contre le respect de la loi, ce qui est insoluble."

"En Wallonie, la régionalisation était encore balbutiante, les Wallons se sentaient victimes d’un état national trop partial, trop flamand, analyse pour sa part Philippe Leruth. Dans ce contexte, l’histoire de cette commune francophone où un vote démocratique n’est pas respecté a exprimé une frustration wallonne face à Etat qui refuse d’entendre les revendications du sud du pays. Il devient un symbole de la résistance wallonne contre la Flandre."

Manifestants fouronnais soutenant José Happart en 1986
Manifestants fouronnais soutenant José Happart en 1986 © Belga

Le refus flamand de nommer José Happart comme bourgmestre va polluer et animer la vie politique des années 80. Ce qui va tout changer, c’est que José Happart va entrer au PS. Il espérait se servir du PS pour faire changer l’histoire des Fourons et des Wallons. Mais c’est plutôt le PS qui s’est servi de lui. Les socialistes ont signé une vaste réforme de l’Etat en 1988, les revendications francophones pour les Fourons sont largement abandonnées. José Happart proteste pour la forme. Il reste au PS, accepte de se retirer de la vie politique fouronnaise, il accepte aussi les mandats que lui offre le PS.

Maison communale de Fourons, aujourd’hui
Maison communale de Fourons, aujourd’hui © Belga

Les Fourons aujourd’hui

Aujourd’hui la situation dans les Fourons s’est apaisée. "La tension communautaire existe toujours. Mais le combat a bien changé, estime Philippe Leruth. D’abord, les francophones sont devenus minoritaires en 2000. Les nombreux citoyens néerlandais qui se sont installés ont voté pour la liste flamande. La démographie a aussi changé, car de nombreux jeunes francophones sont partis ailleurs. Les terrains sont de plus en plus chers, et s’ils veulent un permis de bâtir, en tant que francophone, cela demande du temps."

Mais le combat des Fourons a laissé des traces, pointe Ivan de Vadder : "La N-VA est l’héritière du combat des Fourons. Il y a une photo ou l’on voit Jan Jambon et Bart de Wever participer à une promenade du TAK. La Volksunie a explosé après les Fourons, mais, l’héritier, c’est bien la N-VA qui a dû se réinventer, car les conflits linguistiques sont beaucoup moins passionnels qu’avant. Aujourd’hui, les conflits linguistiques deviennent très administratifs, on parle d’argent, de compétences. Mais ce qui a beaucoup changé, c’est qu’avant les politiciens du Nord et du Sud se connaissaient mieux, ils parlaient ensemble, partaient même parfois en vacances ensemble, ils parvenaient à régler des problèmes. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus compliqué".

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