L’humeur de Vincent Langendries : « Je suis un Belge triste, Hazard mon capitaine »

Sentiments mélangés. D’abord me dire que c’est trop tôt. A bientôt 32 ans, il y avait moyen de poursuivre. Bon, là c’est le cœur qui parle. Quelques secondes de réflexion… et la raison revient au galop pour comprendre le choix d’Eden. Corps plus fragile, plaisir absent, fissures, tensions sans doute…tout ce que Eden déteste. Poids des mots, des non-dits. Sans l’amusement, depuis qu’il est gosse, ça ne passe pas. Sans rigolade, ça ne passe plus. Le plaisir, c’est sans doute le mot qu’il a le plus prononcé au cours des nombreuses interviews qu’il m’a accordé. C’est vrai, j’ose à croire que je le connais bien. Mêmes origines, mêmes valeurs. Respect mutuel. Je sais qu’il fait son métier avec cœur. Il sait que je fais le mien avec passion et rigueur. Sans complaisance.

Au moment de l’annonce, les nuages se sont amoncelés dans le ciel de Doha où je me trouve. Pour la première fois de notre séjour, le ciel est couvert, le soleil a disparu. L’orage est proche. Un incroyable signe peut-être. Oui, je n’ai pas de peine à dire que j’en ai…de la peine. Qu’en ce lendemain de Saint-Nicolas, je me sens comme un petit enfant sans jouet dans la cheminée. Sans doute n’ai-je pas été assez sage. Car la pluie ruisselle sur nos souvenirs. Ceux d’un footballeur gigantesque et différent des autres. Alors, à tous ceux qui résumeraient sa carrière à ce qui se passe au Real depuis 3 ans, je leur dis de se taire… l’espace d’un instant. De repenser à la joie, au bonheur que ce gamin de Braine a apporté à notre pays. A ce pays qu’il aime tant. 14 ans de service ça mérite le respect. Que Diable !

Alors forcément les souvenirs j’en ai des tas. Impossible de tout partager ici. Son clin d’œil légendaire, ses sourires, ses éclats de rires. Sa main par-dessus l’épaule pour te faire comprendre que l’amitié peut aussi se décliner sous de nombreuses formes. Ses débuts, son audace, ses crochets, ses dribbles. Mais aussi son trophée du meilleur joueur du match contre la Hongrie à l’Euro 2016…qu’il m’offrira en disant " garde-le …j’en aurai d’autres ". Son mondial 2018 de géant. Meilleur joueur du monde en ces temps-là. Son amour du drapeau et du peuple belge qu’il exprime au balcon de l’hôtel de ville. Son " Waar is da feestje… ". Son transfert au Real de Zidane. Rêve devenu cauchemar. Et aussi le début d’ennuis à répétition.

On imagine même pas ce vide qu’il laissera. Ce n’est pas une page qui se tourne avec Eden, ce n’est pas un chapitre de l'équipe nationale. C’est une bibliothèque entière de moments heureux qui tombe à la renverse. Marque des grands…se faire regretter. Décision familiale assurément. Réfléchie, mûrie avec femme et enfants. Pour Eden son clan compte plus que tout, plus que tout ça. Il ne cachera jamais ses émotions très longtemps. Alors laissons-le digérer, prendre du recul…pour se remettre en selle une dernière fois, pour un dernier défi en club.

Les Diables perdent aujourd’hui leur capitaine. La Belgique perd aujourd’hui un joueur et, bien plus encore, un homme d’exception. Alors cher Eden, je te dis merci pour tout. Pour ces moments de grâce, gravés à jamais dans nos coeurs. Et je te dis à bientôt…ailleurs et autrement.