Belgique

Ligue des Droits Humains : poursuivre ou non une infraction, le rôle du Collège des procureurs généraux

© RTBF Patrick Michalle

Qui décide des priorités en matière de politique criminelle ? En principe le ministre de la Justice après s’être concerté avec le Collège des procureurs généraux. Le ministre doit ensuite émettre des "directives de politique criminelle" qui encadrent l’action des parquets et des polices. Sauf qu’au fil des dernières années, constate Christine Guillain, professeure de droit pénal à l’Université Saint-Louis et membre de la Commission Justice de la Ligue des droits humains, le ministre ne le fait plus et on assiste à un déplacement du centre de décision: "On se rend compte que les directives de politique criminelle n’existent pas et c’est le Collège des procureurs généraux qui comble ce vide en adoptant des circulaires de politique de recherche et de politique de poursuite".

Faute de directives, une profusion de circulaires

Entre 2004 et 2018, pas moins de 235 circulaires ont été adoptées par le Collège des procureurs généraux, dont 42 ont été classées "confidentielles", ce qui les rendent inaccessibles aux citoyens. Une profusion qui s’explique pour partie par un déficit normatif des autres organes du pouvoir, le législatif et l’exécutif : "il faut reconnaître qu’il y a parfois des errances du législateur " relève Christine Guillain, notamment lorsqu’il s’agit par exemple de combler un vide créé par un arrêt de la Cour constitutionnelle.

Mais, poursuit-elle, au fil du temps cette pratique d’édicter des "col" est devenue un moteur de l’action publique et cela "via ces circulaires qui vont venir dessiner les contours des incriminations et des peines et surtout dessiner les modalités de poursuites". En clair, certains comportements érigés en infraction dans le Code pénal ne vont plus être poursuivis alors que d’autres vont l’être bien davantage.

Déficit de contrôle démocratique

Deux domaines ont été particulièrement discutés lors du colloque, à savoir l’action répressive en matière de stupéfiants et les mesures adoptées lors de la pandémie. Dans ces deux cas, des circulaires édictées par le Collège des procureurs généraux ont encadré les pratiques des parquets et des polices.

Ce qui, pour Christine Guillain, pose la question de la transparence des décisions : "C’est cela qu’on dénonce ; ces choix de politique criminelle ne sont pas discutés au Parlement alors que ces choix sont fondamentaux dans la politique des poursuites à l’égard des personnes". Et d’indiquer que par ailleurs, le Collège des procureurs généraux vient aussi combler un manque de l’exécutif dans le chef du ministre de la Justice qui n’adopte pas de directives de politique criminelle.

Des magistrats du parquet priés de s'abstenir

Du coté du parquet, seul Vincent Macq, procureur du Roi de Namur a livré une série de points de vue éclairant la complexité dans laquelle, le ministère public est quelquefois amené à devoir se positionner en tenant compte de pratiques qui varient en fonction des ministres titulaires. Comme magistrat chargé de diligenter les poursuites en tenant compte de "priorités" à ce point nombreuses qu’elles n’en sont plus vraiment. Avec un mélange des genres lié aussi à la casquette "managériale" qu’ont dû endosser bon gré mal gré les magistrats en charge des poursuites.

D’autres magistrats du parquet de Bruxelles avaient manifesté leur accord de principe pour venir débattre eux aussi de leurs pratiques mais ils n’ont pas reçu le feu vert de leur hiérarchie, en l'occurrence le procureur général de Bruxelles.

Période Covid-19, "crash-test" pour la justice et la démocratie

La crise du Covid et sa phase de "lockdown" fut une période où "on a un peu perdu le nord" reconnaîtra Vincent Macq mais comme beaucoup dans ce contexte particulier "on a craint le chaos", avec aussi une ministre annonçant que "ce qui n’est pas autorisé est interdit" et prévoyant "le survol de drones et des perquisitions" chez les particuliers. Dans ce contexte, le Collège des procureurs généraux a remis les pendules à l’heure en matière de respect de la vie privée et visites domiciliaires. 

Il a fallu générer de la norme dans des matières où "le flou" ne fut pas que juridique mais aussi idéologique entre "croyant", "non-croyant" et "entre les deux" par rapport au virus. Cela a pris des proportions surréalistes lorsqu’il s’est agi d’édicter des normes précises par exemple en matière "d’interdiction de promenade". "Jusqu’où allait-on permettre de s’éloigner de son domicile ?"

Les parquets se sont retrouvés avec des milliers de dossiers à gérer dans une situation où le législateur n’a pas assez pris ses responsabilités. Et le procureur du roi de conclure sur son souhait de voir les acteurs respectifs "débriefer" à un moment cette période qui fut un "crash-test" pour le ministère public mais aussi pour la démocratie.

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