Belgique

L’inflation sur le prix de la viande va-t-elle accroître le nombre de végétariens ?

Image d’illustration.

© Getty Images

En ce mois du Veggie Challenge, de nombreux Belges ont décidé de troquer leur steak de bœuf pour un steak de soja. Dopée par la flambée des prix de la viande depuis un an, l’hypothèse d’un recours massif et durable à un régime végétarien est émise. Pourtant, elle ne semble pas se vérifier. Ce sont avant tout les raisons éthiques et sanitaires qui motivent les consommateurs à réduire, voire bannir, les produits carnés de leur assiette. Sans l’abandonner complètement, les Belges ne vont toutefois pas manger la même viande qu’avant.

"L’inflation du prix de la viande, c’est pour devenir végétarien ou c’est comment ?". Ce Twitto n’est pas le seul à s’offusquer de l’envolée des prix des produits carnés et de ses conséquences sur leur consommation.

Sur internet (ici ou ), dans les médias (ici) ou dans les conversations entre amis, la forte inflation du prix de la viande inquiète, au point de pousser certains consommateurs à modifier de leurs habitudes alimentaires vers un régime végétarien ?

À priori, pas d’évolution majeure à ce jour : le rapport à la viande a certes évolué, notamment à cause de la flambée des prix, mais il n’y a pas de rupture radicale de sa consommation.

L’équipe Décrypte a tenté d’analyser l’évolution du prix de la viande en Belgique ces derniers mois et de ses éventuelles conséquences sur les habitudes alimentaires de nos concitoyens.

© Captures d’écran Twitter

+18,2% du prix de la viande en deux ans

La viande fait partie des produits alimentaires qui ont subi la plus forte hausse des prix ces derniers mois. Selon l’office belge des statistiques, Statbel, en deux ans, les prix de la viande ont, en moyenne, augmenté de 18,2%. Rien que sur les 12 derniers mois, ils ont augmenté de 14,8%, toujours selon Statbel. Parmi les types de viande qui ont davantage subi une hausse des prix, on retrouve la volaille (+24,6%) suivie des charcuteries (+18%) et au coude à coude la viande de porc (+17,6) et la viande de mouton et d’agneau (+17,5%).

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Ce niveau de hausse est partagé par la Fédération Nationale des Bouchers Charcutiers de Belgique. Son co-président, Philippe Bouillon, constate 20% d’augmentation du coût de ses matières premières, "aussi bien en carcasses de bœuf, qu’en carcasses de porc ou de volailles" précise-t-il.

Il donne pour exemple le prix d’un porc entier par kilogramme : aujourd’hui il le paie 3,30 euros alors que l’an dernier c’était 2,80 euros.

Même constat pour le bœuf : tandis qu’une demi bête coûtait entre 4,80 et 5,20 euros le kilogramme il y a un an, son prix avoisine désormais les 7 euros le kilo.

"Les prix ne cessent de croître, indique-t-il, notamment de la viande de bœuf pour laquelle il y a de moins en moins de carcasses disponibles en raison d’une chute de la production car certains éleveurs n’arrivent pas à boucler les fins de mois."

Multiples facteurs aggravants

Mais la pénurie de viande de bœuf n’est évidemment pas la seule raison de cette hausse des prix de la viande. Elles sont multiples.

En ce qui concerne la volaille, Testachats explique dans un communiqué que la cause principale de l’augmentation des prix, notamment de poulets à rôtir (+42% au cours de l’année écoulée) fait suite à la grippe aviaire en 2022.

Au final, l’ensemble des viandes ont aussi subi d’autres facteurs qui ont contribué à cette hausse, l’association de consommateurs en décline au mois cinq :

  • une pénurie de matières premières (la guerre en Ukraine, la diminution de l’offre en raison d’une production plus faible ou de mauvaises récoltes)
  • les prix élevés de l’énergie
  • les coûts de transport
  • les coûts de main-d’œuvre
  • les coûts d’emballage

Prix en hausse, part stable dans le panier

Logiquement, face à cette hausse des prix, la part de la viande dans le budget des ménages a augmenté de 0,6% de 2022 à 2023, selon des chiffres communiqués par Statbel.

En regardant plus en détail, on remarque qu’il y a de fortes disparités selon le type de viande. Sans surprise, la part du poulet a fortement progressé (+7,4%), loin devant la part des charcuteries (+1,7%) et de la viande de mouton et d’agneau (+ 1,1%).

En ce qui concerne les autres types de viandes, leur part dans le panier des Belges a diminué, à commencer par celle de la viande de porc (-4,5%) suivie de la viande rouge (-1,9%).

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Attention, comme le précise le porte-parole de Statbel, Erik Vloeberghs, l’évolution de la part de la viande selon chaque type dans le panier des Belges ne peut "être imputée à des changements dans les volumes de consommation mais bien à des changements dans les prix".

En d’autres termes, l’évolution du budget des Belges consacrée à la viande n’est pas liée à une hausse des quantités consommées mais bien à la hausse des prix.

Des quantités de viande inchangées

Du côté des grandes surfaces, comme chez Colruyt, on indique, en effet, que les quantités globales de viande vendues restent assez stables. Même observation pour Philippe Bouillon, également boucher à La Roche en Ardenne, "sa clientèle se maintient" nous répond-il.

Mais dans le détail, les comportements d’achat diffèrent selon le type de viande. Ine Tassignon, porte-parole de Delhaize, a constaté "que les morceaux de viande plus chers sont vendus en moins grande quantité ou en plus petites portions, mais qu’à l’inverse, les produits carnés moins chers (comme les préparations ou le porc, par exemple) et les produits en promo se portent bien".

Glissement vers des viandes moins chères

Derrière cette logique se cachent les effets de l’inflation qui ont indubitablement fait perdre du pouvoir d’achat aux consommateurs. Ces derniers font évoluer leurs habitudes alimentaires vers "une descente en gamme de la consommation", indique-t-on du côté du collège des producteurs.

On vend davantage des viandes à préparer, comme les pains de viande, la viande hachée ou les viandes moins nobles.

Philippe Bouillon, boucher et co-président de la Fédération Nationale des Bouchers Charcutiers de Belgique

Sur le tapis de caisse, il y a donc eu "un glissement de la consommation vers des viandes moins chères, comme les préparations à base de haché ou encore la volaille [qui] s’est accru avec l’inflation", constate la porte-parole de Colruyt, Nathalie Roisin.

Elle note aussi "une sensibilité accrue aux promotions avec des achats en volume. Pour schématiser, s’il y a une action sur des morceaux réputés plus nobles (prenons un chateaubriand de bœuf par exemple), nous constatons des achats plus importants. On peut par exemple s’imaginer que les clients en profitent pour mettre quelques pièces au congélateur."

Philippe Bouillon, également boucher à La Roche en Ardenne, remarque effectivement une tendance à la baisse des ventes de "pièces nobles", autrement dit les filets purs, les entrecôtes, les steaks. "Par contre, ajoute-t-il, on vend plus de ce qu’on appelle les viandes à préparer, comme les pains de viande, la viande hachée ou les viandes moins nobles, comme la volaille, qui ne sont pas aussi chères."

Concernant le type de viande, Monsieur Bouillon prend toutefois acte que "le porc se maintient en première place" des produits qu’il vend. En effet, il s’agit de la viande la plus consommée en Belgique (51,5% du total des viandes consommées) devant la viande de volaille (19,2%) et la viande de bœuf (+18,8%).

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Dans les épiceries de producteurs locaux, le constat est plus difficile à tirer. "On n’est pas dans un ordre de la macro-économie sur un gros volume de différentes viandes, répond François Olivier, chargé de communication de la coopérative agricole wallonne, Les Petits Producteurs. "Forcément, ce sont toujours les viandes les moins chères qui partent mieux. Nous vendons moins de viande à la fin du mois. Mais ça a toujours été le cas".

Viande trop chère, fin de la viande ?

Cette inflation des prix de la viande va-t-elle faire changer complètement les habitudes ? Rien n’est moins sûr.

Opter pour une alimentation plus végétale n’est pas encore la norme en Belgique : 58% des Belges indiquent manger tous les jours de la viande ou du poisson, selon une étude menée par iVox pour le compte de Pro-Veg, en partenariat avec Garden Gourmet et Colruyt Group.

Toujours selon cette étude, seuls 7% des Belges se disent végétariens, et 1% végétaliens.

Et la motivation première des nouveaux végétariens ne serait pas celle de faire des économies. Il y a quelques années, cet argument du prix n’arrivait qu’en cinquième position des raisons avancées pour ce changement derrière les raisons éthiques (l’opposition au principe et aux conditions de l’élevage d’une part et la préoccupation de l’impact sur l’environnement d’autre part) et les considérations santé (le souci pour le bien-être général ou encore la volonté de maigrir), selon une enquête sur le végétarianisme en Europe menée en 2018.

Selon cette même étude, une personne sur quatre seulement explique consommer moins de viande à cause de son prix, et 13% estiment que c’est la motivation première.

Végétarianisme timide mais en marche

Sans surprise donc, c’est bien la motivation écologique qui trône en tête des motivations à une conversion vers un régime plus végétal. Les participants à l’édition 2022 du Veggie Challenge auraient permis d’économiser 26 milliards de litres d’eau, 18.000 tonnes de CO₂, 47 km² de terres et 1,5 million de vies animales, toujours selon cette étude.

Des arguments qui semblent davantage inciter des changements de comportements. Les résultats de l’étude menée par iVOX révèlent aussi que le pourcentage de personnes plus enclines à adopter une alimentation plus végétale reste faible, mais augmente sensiblement par rapport à 2020, passant de 5% à 8%.

Selon Statbel, la part de la viande dans le budget des ménages a diminué de 2,3% entre 2021 et 2023.

Chez Colruyt, on constate qu’un client sur cinq achète parfois un produit de la gamme végétarienne de substituts de viande. Un chiffre qui devrait croître dans le futur étant donné qu’un tiers des personnes se disent prêtes à consommer davantage de produits protéinés d’origine végétale, souligne-t-on dans un communiqué de l’enseigne alimentaire.

Moindres quantités, meilleure qualité

Un constat partagé par Philippe Bouillon de la Fédération Nationale des Bouchers Charcutiers de Belgique : "On est tout à fait d’accord que la consommation de viande est en chute depuis ces 25 dernières années. Il n’y a pas photo".

Mais, là n’est pas sa première inquiétude. "Les amateurs de viande continuent à en manger, ils privilégieront la qualité à la quantité. Pour l’instant, il n’y a pas péril en la demeure" indique le boucher de La Roche en Ardenne.

Cet intérêt pour la viande de qualité se confirme notamment pour les producteurs locaux. Entre 2020 et 2022, l'évolution globale des ventes du rayon viande de l'épicerie Les Petits producteurs a par exemple augmenté de presque 14%.

Mais pour Philippe Bouillon, "Le plus gros péril, c’est que les boucheries ferment parce qu’elles ne deviennent plus rentables à cause du coût de l’énergie".

Pour l’heure, s’il existe une prime fédérale pour aider les ménages à payer leur contrat d’électricité domestique, cela n’est pas le cas pour les contrats d’activités commerciales ou professionnelles, dont font partie les bouchers et charcutiers.

Réécouter le marché matinal du 3 mars 2023 sur le sujet

Le marché matinal

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