Cinéma

L’interview d’Ari Folman , le réalisateur d' "Où est Anne Frank !"

Le réalisateur israélien Ari Folman à Cannes, en juillet 2021, pour la présentation du film "Où est Anne Frank !".

© CHRISTOPHE SIMON / AFP

Le cinéaste israélien Ari Folman avait subjugué le monde entier avec "Valse avec Bashir" en inventant une nouvelle forme de cinéma, le dessin animé documentaire sur ses souvenirs de jeune soldat plongé dans la guerre au Liban. Après un autre film d’animation, "Le congrès", le voici qui répond de manière originale à une commande : faire un long-métrage d’animation à partir du journal d’Anne Frank.

"Où est Anne Frank !" s’interroge Folman : près de 80 ans après le drame, son journal est devenu un classique, une lecture obligatoire dans les écoles, mais qu’est devenu le message de son texte, la leçon de vie et de générosité qu’il contient ?

Tout n’est pas parfait dans le dessin animé de Folman. Mais son approche a le mérite de désacraliser un monument de la littérature devenu intouchable pour tenter de le transmettre aux nouvelles générations. Rien que pour cette raison, "Où est Anne Frank" mérite le détour.

L’interview d’Ari Folman

L'interview d'Ari Folman pour "Où est Anne Frank!"

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La traduction

Quel a été le point de départ de ce projet ? Comment avez-vous décidé de réfléchir à propos du Journal d’Anne Frank aujourd’hui ?

Ari Folman : Honnêtement, je n’ai pas décidé, j’ai été approché par la Fondation Anne Frank à Bâle, il y a 8 ans : ils m’ont demandé de faire un long-métrage animé pour une adaptation du Journal, et des archives de la famille, et j’ai directement refusé. J’ai pensé que je n’avais rien de neuf à apporter à ce sujet. Ils m’ont proposé de prendre le temps de la réflexion, de relire le Journal, et d’aller voir ma mère, parce qu’ils savaient que je viens d’une famille de survivants de l’Holocauste, ce que j’ai fait. La première fois que j’ai lu le Journal, j’avais 14 ans et c’était une lecture obligatoire à l’école, et je n’en avais aucun souvenir. Je l’ai donc relu il y a 8 ans, quand on m’a offert le projet, et j’ai trouvé extraordinairement brillant, pour moi qui suis le père d’adolescents, que quelqu’un ait écrit une telle œuvre à l’âge de 13 ans. Puis je suis allé voir ma mère, et je lui ai annoncé : on m’a fait cette offre mais je ne veux pas le faire. Et ma mère m’a dit : " Tu n’es pas obligé de le faire mais si tu ne le fais pas, je serai morte demain. Mais tu ne dois pas le faire. Je reste là, vous pourrez m’enterrer dimanche prochain, mais ne te sens pas obligé de le faire ". Et donc, j’ai accepté l’offre. J’ai pensé que ça allait me prendre 4 ans, et ça a pris 8 ans, ou comme m’a dit ma mère, "Ari, ça t’a pris deux fois le temps même de l’Holocauste juste pour faire le film. Mais j’ai un peu moins souffert".

OÙ EST ANNE FRANK ! d'Ari Folman

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Et quand j’ai pris en main le projet, je leur ai dit, il y a 3 éléments que nous devons avoir dans ce film : premièrement, faisons-en un film pour les enfants à partir de 10 ans, avec toute la difficulté que ça représente. Deuxièmement, nous allons parler des 7 derniers mois de la vie d’Anne Frank, parce qu’Anne Frank est une telle icône universelle, mais personne ne la connaît vraiment, et la plupart des gens ne savent pas ce qui lui est arrivé, entre le moment où ils ont été capturés et gardés dans la cache secrète et le moment où les deux filles sont décédées au camp de Bergen-Belsen. Et le fait que le Journal d’Anne Frank ait été un tel succès, c’est parce qu’il ne montre pas les faits réellement cruels, ni la famine dans le ghetto, ni les camps, mais c’est un roman initiatique d’une jeune fille, et aussi parce que pour la plupart des gens, elle est cette jeune fille qui a écrit ce journal extraordinaire, et un jour elle a arrêté d’écrire, parce qu’elle est morte. Donc, le silence entre le moment où elle a arrêté d’écrire et le moment où elle est morte, n’a pas été raconté, donc, c’était le 2e élément. Et le 3e élément, qui est très important, était de combiner le présent et le passé, comment utiliser cet outil de mémoire, sans faire de parallèle, sans comparer les génocides, celui des Juifs et les autres, mais comment utiliser cet outil historique et l’appliquer au monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Et quand un enfant le verra, qu’est-ce qu’il comprendra.

"Où est Anne Frank !"
"Où est Anne Frank !"
"Où est Anne Frank !"

Du point de vue du style, vous indiquez que vous voulez vous adresser à un public jeune sous la forme d’un dessin animé. Mais il y a différents types de dessin animé, comment avez-vous trouvé le bon studio pour réaliser cette animation ?

Ari Folman : La première décision artistique était la suivante : d’habitude, vous avez un film qui est en partie contemporain, et puis vous repartez dans le passé. En termes de couleur, ça sera très coloré dans les images du présent, et cela devient noir et blanc quand vous repartez dans le passé, ou même monochrome, genre sépia. Je pense que la Deuxième Guerre Mondiale n’était pas en noir et blanc, je l’ai trouvé dans mes recherches, donc, on a inversé le principe. Nous avons créé un Amsterdam contemporain, très monochromatique, sombre, hivernal, et le passé au contraire, qui est représenté dans l’imagination d’Anne Frank, a des couleurs très vives, très saturées, très vivantes. C’était ma première décision.
 

"Où est Anne Frank !"
"Où est Anne Frank !"

Ensuite, nous avions la dimension fantastique, l’armée des lumières, les boîtes qui flottent sur la rivière à Amsterdam, et évidemment, la vie souterraine, et là nous pouvons être vraiment fous, et puis nous avons le passé qui peut être construit avec des miniatures en stop motion à l’arrière-plan, avec des personnages en 2D, une technique utilisée pour la première fois, et nous avons fait ça avec l’équipe qui a réalisé à Londres, pour Wes Anderson, "The Fantastic Mr Fox" et "Isle of Dogs", c’était mon obsession. Je suis tombé amoureux de la technique du "stop motion", j’ai cru que j’allais faire tout le film en " stop motion ", mais on n’avait pas l’argent pour le faire. Nous avons commencé il y a 6 ans en Europe, puis en Israël, puis à Bruxelles où se trouve notre studio principal, qui s’appelle "Walking the dog", excellent studio, c’est le 2e film que je réalise avec eux, des gens fantastiques, puis au Luxembourg, à Paris, et Amsterdam, et puis à cause de la pandémie, nous nous sommes retrouvés à voyager jusqu’en Martinique, puis en Australie, en Nouvelle Zélande, puis à Toronto au Canada, puis les Philippines, la Chine, puis de retour en Espagne, et j’en passe…

Donc, je pense que durant la pandémie, nous avons appelé toutes les personnes qui pouvaient faire de l’animation 2D. Et après nous avons dû coller tout ça ensemble pour que toutes ses pièces se ressemblent. C’était complètement fou, je dois le dire.

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