Lithium, cobalt, terres rares, ces minerais sont la face cachée de notre transition énergique et numérique. D’ici 2050, l’Europe estime qu’il nous faudra 50 fois plus de lithium et 15 fois plus de cobalt que nous n’en utilisons aujourd’hui.
L’Europe fragilisée par sa dépendance à la Russie et la Chine
Depuis la guerre en Ukraine, elle a aussi pris conscience de son extrême dépendance à l’importation du gaz et du pétrole russe et d’une manière générale aux ressources naturelles. Selon la Commission européenne, 98% de nos importations de terres rares proviennent de la Chine. L’Europe a donc décidé de changer son fusil d’épaule et d’exploiter ses propres ressources naturelles. Elle veut mettre en place ‘Un club des métaux de la terre de l’ouest’ avec les Etats-Unis et le Canada.
D’ici quelques jours, elle sortira une loi sur les matières premières critiques. Elle vise à ce que 10% de la consommation de matières premières stratégiques de l’Union, soient extraites dans l’UE. En outre, 15% de la consommation annuelle de l’Union pour chaque matière première stratégique devrait provenir du recyclage, précise le document.
A terme, l’Union européenne voudrait que 40% de matières premières jugées critiques soient extraites et raffinées à l’intérieur de nos frontières. C’est une véritable thérapie de choc que s’impose l’Europe pour réduire considérablement sa dépendance aux pays tiers. Eric Pirard est ingénieur en géoressources mines à l’U-Liège. Il place beaucoup d’espoir dans cette loi : " Elle doit changer le regard que nous portons sur nos matières premières. Nous nous sommes habitués à les faire venir d’ailleurs. Et nous avons sous-traité une bonne part de l’industrie lourde. Aujourd’hui, nous nous rendons compte que pour faire face à la transition énergétique, nous avons besoin de ressources énergétiques qui sont contrôlées par d’autres. Pour des raisons stratégiques, nous devons réinvestir dans certaines filières de traitement et d’extraction de minerais tels que le lithium, le cobalt, nickel de manière à minimiser notre dépendance à la Chine ou d’autres pays. "
Des réserves importantes de lithium et beaucoup moins de cobalt
Mais disposons-nous véritablement en Europe des matières premières suffisantes et y avons-nous accès ? Une chose est sûre selon Eric Pirard :
" Il y a peu d’explorations géologiques en Europe car peu de compagnies minières sont prêtes à prendre des risques financiers pour ensuite devoir essuyer des refus catégoriques. C’est le cas partout en Europe à l’exception de pays comme la Finlande, l’Autriche ou la Suède. "
Parti en voyage prospectif au Maroc, le géologue de l’Université de Namur, Johan Jans en connaît aussi un bout sur la question. Il nous répond d’emblée : " Nous avons de grandes réserves de lithium en Europe. La question n’est pas de savoir si nous en avons mais si nous avons la volonté de les exploiter. Le citoyen n’est plus prêt à accepter cette contrainte. Depuis plus d’un siècle, nous avons externalisé cette exploitation dans d’autres régions du monde. Le citoyen européen a gardé une vision des mines qui reste celle de conditions de travail du 19e siècle dignes de Germinal’alors qu’aujourd’hui certaines mines se gèrent pratiquement sans travailleurs dans le sous-sol. Les impacts sociétaux et environnementaux restent réels mais ils ne sont plus ceux d’hier. "
En ce qui concerne les réserves en cobalt, dont les minerais sont essentiellement exploités au Congo pour l’instant, le géologue, nous assure, encore une fois, que nous disposons de réserves en Europe mais certainement pas dans les quantités existantes au Congo. Par ailleurs, il précise : " Nos ressources existent essentiellement en Pologne et en Scandinavie et, à l’inverse du Congo, le cobalt pourrait s’exploiter mais comme sous-produit du nickel et du cuivre. "
En d’autres termes, l’exploitation du cobalt européen réclamerait beaucoup plus de travail.
Blocage sociétal face aux projets miniers
Nous disposons donc de ressources naturelles en Europe mais nous sommes confrontés à des blocages sociétaux importants. Quelques exemples récents nous le confirment. A Jadar, en Serbie, le méga Projet Rio Tinto a dû être tout simplement enterré suite à la forte mobilisation de la population inquiète des risques de pollution.
Au Portugal, l’entreprise Savannah Resources attend le feu vert du régulateur portugais de l’environnement pour exploiter une mine sur le site de Barosso dans le nord du Portugal. Mais le projet rencontre de fortes protestations locales. Idem à San José en Espagne. L’entreprise australienne Infinity Lithium projette d’exploiter une ancienne mine d’étain située près de Caceres, une ville espagnole classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Inutile de souligner que ce projet fait l’objet de nombreuses pétitions et manifestations de protestations depuis quatre ans.
Quelques exemples positifs existent, néanmoins, comme à Echassière dans l’Allier en France où est exploitée une mine de kaolin et sous laquelle se trouve un gisement important de lithium. A Syvarjavi en Finlande, un projet de mine de lithium est entré dans sa dernière ligne droite avant son ouverture.
Pour Johan Jans, l’indépendance aux ressources critiques n’est pas pour demain en Europe. Mais rouvrir des mines aurait un effet intéressant, souligne cet expert : " Le fournisseur ne tiendra pas le même discours avec vous si vous disposez d’un potentiel d’extraction que si vous n’en avez pas. Cela s’appelle la ‘menace de substitution’. L’Europe sera dans un rapport de force différent si elle rattrape le retard qu’elle a accumulé depuis plusieurs décennies en abandonnant ses mines d’extraction de ressources naturelles. "
Selon un rapport français, publié en janvier, l’Europe ne dépassera pas 30% d’autosuffisance en 2030 sur ces minerais critiques.