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Littérature et BD : Je t’aime, moi non plus ! (1/2)

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À l’heure du choix des cadeaux de fin d’années, une évidence : jamais les grands classiques littéraires n’ont été aussi présents sur les rayons de bandes dessinées. Certains livres proposent le texte original du roman, parfois dans une nouvelle traduction, richement illustré par un auteur inspiré. D’autres sont des transpositions en BD de grands romans, réalisées avec plus ou moins de liberté.

Aujourd’hui : les romans illustrés. Demain, les adaptations en BD !

Véritable tendance de l’année : les textes originaux illustrés par des auteurs de renom. Ce genre de livre hybride a longtemps été vu comme un pari trop risqué par les éditeurs. Hormis ceux qu’ils confiaient à quelques illustrateurs dont le nom seul pouvait assurer les ventes, ils étaient plutôt frileux à tenter ce type de démarche. Désormais, on ne sait plus où donner de la tête et on se retrouve en face de très beaux objets, à la fabrication soignée.

Toute la noirceur de Baudelaire

Impossible de passer à côté des Fleurs du Mal de Baudelaire, illustrées par Bernard Yslaire et publiées par les Éditions Dupuis dans la collection Aire Libre. Un livre au dos toilé, à la maquette soignée et au format idéal. Après avoir proposé une bio-fiction de Baudelaire en BD au travers du regard féminin de sa muse Jeanne Duval dans Mademoiselle Baudelaire, Yslaire est retourné au texte de 1857.

Il l’illustre dans toute sa noirceur, mais aussi dans cette forme de romantisme ravageur qui rend ce texte si puissant. Ça bouscule, ça remue, ça tonitrue : rien d’installé ou de fabriqué dans cette démarche.

Des pirates revenus à la vie

À l’opposé d’Yslaire je mettrais L’Île au Trésor de Stevenson illustré par Riff Reb’s, chez Daniel Maghen. De belles illustrations noir et blanc et de grandes pages ou doubles pages en couleur alternent dans ce livre. Le plus grand récit de piraterie est vu ici par un auteur qui a dédié toute sa carrière à la mer.

La mer est certes bel et bien présente, tout comme la moiteur tropicale, mais ce sont surtout les tronches des personnages à qui l’auteur donne matière et vie. Plutôt pour les amateurs de bande dessinée, car le graphisme ne séduira sans doute pas les amateurs de littérature purs. Signalons le recours à une traduction récente particulièrement réussie et ici aussi, une fabrication très soignée, également servie par un dos toilé.

Eddy Mitchell comme vous ne l'avez jamais vu !

Une belle surprise parue chez Dargaud : Des Lilas à Belleville. En 1994, Eddy Mitchell avait publié un livre, P’tit Claude, dans lequel figurait une nouvelle racontant sa jeunesse parisienne à Belleville, un quartier qui a totalement changé depuis.

Le texte a ému le dessinateur de la série Undertaker, Ralph Meyer, qui a eu envie d’en proposer une version illustrée. Très loin de son dessin habituel, avec une véritable grâce qui fait parfois penser à du Baru, Meyer habite le texte et les ambiances d’un quartier qu’il a connu lorsqu’il avait déjà partiellement changé. La nouvelle est magnifique, elle mérite cette mise en lumière. Et Ralph Meyer est aussi bon illustrateur qu’auteur de bande dessinée !

Un classique illustré à la perfection

Mention spéciale aussi au Portrait de Dorian Gray revisité par Corominas chez Daniel Maghen. Là encore, ouvrage de très belle présentation, nouvelle traduction et dos toilé sont au rendez-vous. La dominante des illustrations est d’ailleurs aussi bleue que le dos en question, ce qui donne une cohérence au travail de l’illustrateur.

Enrique Corominas avait déjà publié un premier livre sur le sujet il y a une dizaine d’années, mais celui-ci, qui présente le texte intégral, est éclaboussant de maîtrise. Il trouve chez Oscar Wilde un univers à la mesure de sa palette chatoyante.

Une poésie âpre et un dessin vaporeux

Passer l’hiver, de Kateri Lemmens et Romain Renard, aux Impressions Nouvelles, est une création à quatre mains, et non un texte original illustré a posteriori. La poétesse québécoise et le dessinateur bruxellois ont travaillé ensemble sur une première version de ce livre, parue il y a un peu plus d’un an au Québec. Les illustrations ont été amplifiées pour cette nouvelle présentation parue aux Impressions Nouvelles.

La poésie de Kateri Lemmens est sonore, âpre, presque rugueuse, tellurique. Elle convoque sexe et mort, ce qui en fait le lointain écho des Fleurs du Mal. Quant aux illustrations vaporeuses, parfois abstraites, de Romain Renard, elles montrent le visible et l’invisible, cherchent à restituer l’âme de la forêt, le mystère des ciels d’hiver et se perdent dans une brume troublante qui déclenche le voyage imaginaire plus qu’il ne l’enferme.  

La renaissance d'un texte oublié

C’est un texte oublié que Christian Cailleaux remet quant à lui en lumière, celui de Jean de la Ville de Mirmont : Les Dimanches de Jean Dézert, chez Finitude. L’auteur du livre est mort à 28 ans au tout début de la guerre 14-18, peu de temps après avoir publié ce tout premier roman à compte d’auteur. On tombe sous le charme de ce texte juvénile qui reste le seul roman jamais publié et écrit par son auteur.

Un texte plein d’humour, au charme un peu décalé pour raconter la rencontre improbable entre Jean, un jeune homme à l’existence d’un rare inintérêt et Elvire, qu’il rencontre bien entendu un dimanche. Christian Cailleaux vient orner ce petit bijou d’illustrations sans ostentation, au plus près de l’esprit de ce très beau livre.

Les souvenirs de la gouvernante de Marcel Proust

Mentionnons encore Monsieur Proust, Céleste Albaret, Souvenirs recueillis par Georges Belmont, que Corinne Maïer a adapté et Stéphane Manel illustré pour les Editions Seghers. Le récit de celle qui fut la personne de confiance de Marcel Proust, gouvernante de l’écrivain de 1913 jusqu’à sa mort, en 1922, avait donné lieu à une formidable adaptation en bande dessinée au printemps dernier, sous la plume et le pinceau de Chloé Cruchaudet.

Ici, on reste à la version littéraire du journal de Céline Albaret tel qu’il a été recomposé à partir d’une longue série d’entretiens radiophoniques. Mais en resserrant le texte et en offrant des illustrations très élégantes, les auteurs ont su redonner un coup de frais à cette confession d’une femme entièrement au service d’un génie. De la maladie aux petites manies du maître, elle a tout vu et tout consigné.

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