Littérature : "Le conflit Sino-Américain pour la domination mondiale"

"Pour Christian Saint-Etienne, il ne faut jamais oublier que les Américains estiment occuper une place toute particulière dans le monde depuis un peu plus de 100 ans. Au moment de la Première Guerre mondiale, les Etats-Unis prônaient l’isolationnisme. Ils ne se mêlaient pas des affaires européennes et interdisaient aux Européens de se mêler des conflits du continent américain. Lorsque la guerre embrase l’Europe, le président américain Wilson comprend petit à petit qu’il ne s’agit pas d’un sempiternel conflit entre la France, l’Allemagne, l’Angleterre, mais d’un combat entre dictatures et démocraties. En 1917, il parvient à convaincre les Américains d’entrer en guerre et d’apparaître comme le pays qui sauve les démocraties face aux dictatures. Les Etats-Unis permettront aux démocraties de remporter la victoire. Ils apparaîtront donc, dès ce moment, comme la "Nation indispensable" à la défense des démocraties face aux dictatures. Ce statut les a transformés en une puissance missionnaire qui pense réellement être le leader de toutes les démocraties face aux puissances du mal. Il ne faut jamais perdre cet élément de vue si l’on veut comprendre la réaction des Américains face à la Chine. En tant que première puissance des démocraties, ils se doivent d’être la première puissance mondiale, donc quand le président chinois Xi Jinping dit que la Chine veut devenir la première puissance du monde. Les Américains ne le supportent pas. "

Avant d’en arriver à l’avenir de ce combat de titans, Christian Saint-Etienne jette un petit coup d’œil sur un passé récent. C’est avec une ironie anti-occidentale marquée qu’il explique la réussite chinoise. Elle serait basée sur un réel appétit de puissance combiné à une habile utilisation du complexe de supériorité de l’adversaire.

"Les Chinois ont mis en place une dictature terrible qui se combine à un capitalisme de marché qui a permis un essor extraordinaire de l’économie chinoise. Mais les Occidentaux ont joué un rôle crucial dans cette évolution. L’imbécillité des Occidentaux a rendu tout cela possible, martèle brutalement Christian Saint-Etienne. Ils ont amené en Chine toutes les technologies développées par l’Occident pendant 200 ans au cours des révolutions industrielles et ont, en plus, investi des capitaux en masse. Leur idée était qu’on allait faire travailler ces Chinois pour 1 $ de l’heure. Et comme ils sont stupides, ils vont rester derrière leurs machines, ils vont produire les produits qu’on leur demande de produire et puis ils n’en sortiront pas. Mais la Chine, c’est 3000 ans d’histoire, c’est un très grand peuple. Et progressivement, ils ont été capables d’utiliser les machines, mais progressivement, ils ont aussi appris à les fabriquer. Et ils se sont fortement développés sur le plan économique ".

Pour l’auteur, le prochain champ de bataille des deux puissances se fera dans le domaine du numérique, de l’intelligence artificielle et de la voiture autonome par exemple. C’est ce qu’il appelle " L’iconomie " une appellation d’origine brésilienne qui désigne l’économie des icônes, de l’information et de la connaissance. Et chaque camp dispose déjà de géants capables de défendre ses intérêts. Les GAFAM américains s’opposent aux BATX chinois.

"La dictature politique chinoise a toujours craint de laisser les Chinois accéder à aux GAFAM américains, précise Christian Saint-Etienne. Ils ont donc mis en place des procédures qui bloquaient l’entrée de Google et de Facebook en Chine. Pas question que les Chinois puissent avoir accès à d’autres sources d’information que les sources officielles du gouvernement communiste. Et à chaque fois qu’on écartait un acteur américain du territoire chinois, ils reprenaient les innovations américaines et les redéveloppaient sous forme d’entreprises chinoises. C’est ainsi que sont apparus les BATX : Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi. "

"Il y a deux grands systèmes qui s’opposent et qui essaient de construire un écosystème numérique global. D’un côté les GAFAM, de l’autre côté les BATX. Côté américain : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft ont développé des systèmes, qui leur permettent d’acquérir des informations concernant tous ceux qui utilisent leurs applications. Ils ont mis la main sur ce qu’on peut appeler le milliard d’Occidentaux ou assimilés comme les Japonais, les Australiens et les Néo-Zélandais, et puis Singapour qui vivent dans ce que l’on pourrait appeler le système américain. Des consommateurs qui sont capables de payer 1000 ou 2000 $ d’abonnements numériques. En face, côté chinois, les Chinois ont réussi à développer un écosystème chinois extrêmement puissant et qui s’appuie sur une population d’un milliard d’habitants qui sont dans la même dépendance technologique vis-à-vis des BATX. On a donc deux immenses araignées digitales l’une en face de l’autre. "

"Pour l’instant, les Chinois n’ont pas réussi à détrôner les Américains, mais le grand enjeu des années 2020, sera de savoir si Pékin parviendra à rompre l’équilibre actuel en sa faveur. Si les Chinois arrivent à également recréer une sorte d’ordre chinois qui fasse reculer l’ordre américain en Asie, elle pourrait prendre le leadership mondial au cours des années 2020 ou au début des années 2030. Et les Américains font tout pour s’opposer à ça. "

A la lecture de cet ouvrage, en tant qu’Européen, on ne peut s’empêcher d’avoir l’impression d’être au balcon de cette lutte titanesque. Et les derniers chapitres de l’ouvrage consacré au vieux continent renforcent ce sentiment de manière implacable. Christian Saint-Etienne nous présente une Europe a-Stratégique. Ce n’est pas que le continent se tromperait de stratégie pour assurer sa place dans le monde, il en serait en fait complètement dépourvu. Un constat dur mais difficilement contestable.

" L’Europe, c’est seulement un marché. Un marché où domine le principe de concurrence à tout prix. L’idée dominante, c’est que lorsque l’on met le prix, tout est possible. Des exemples récents ont montré que c’est une erreur fondamentale. En matière de matériel médical par exemple, avant le covid, l’Europe estimait, par exemple, que ce n’était pas la peine de faire des masques ou des tests de dépistage sur son territoire. S’il devait y avoir une pandémie, il suffirait de payer pour avoir accès aux masques et aux tests. Autrement dit, non seulement cette attitude européenne était a-stratégique, sans aucune ambition de puissance mais elle évacuait toute question de souveraineté nationale. On n’imaginait même pas que même si on était prêts à les payer très cher, les masques ne seraient pas disponibles, et que si la pandémie arrivait, les Chinois qui fabriquaient les masques, les garderaient pour se protéger eux-mêmes plutôt que de les vendre à d’autres au prix fort. L’argent ne peut pas tout. Ce scénario imprévu a été une gifle pour l’Europe qui doit à présent remettre en cause tous les principes qui l’ont gouvernée depuis 70 ans. "

Evidemment, l’auteur avance quelques pistes de solution. Elles sont marquées par l’engagement politique de Christian Saint-Etienne, qui a été, à plusieurs reprises, candidat et élu sur des listes de droite en France. Il prône le développement d’une Europe des nations, basée sur un nouveau compromis continental, destiné à faire naître des acteurs économiques puissants, capables de jouer un rôle mondial. Et il avance trois axes majeurs : réindustrialiser le continent, reconstruire l’école et réarmer pour être capable de faire face à des menaces semblables à l’Ukraine. Mais attention, il faut le faire maintenant, si l’Europe ne veut pas être rétrogradée définitivement, dans l’ordre des puissances mondiales d’ici 2030…