Jam

Lo Bailly : "À partir du moment où tu ne doutes plus, tu arrêtes d’évoluer"

© Simon Vanrie

Temps de lecture
Par Guillaume Scheunders

Après une victoire au concours Du F dans le texte en 2021 et un premier EP, Parades, sorti la même année, Lo Bailly était de retour ce 27 janvier pour dévoiler la première partie d’un album à venir pour ce printemps. Baptisée Prosaïque, cette "Face A" de son futur album comprend cinq titres de spoken word entrelacé à des productions électroniques à la Fauve ou Glauque. Le Bruxellois ira d’ailleurs le défendre sur ses terres, lors des Nuits Botanique, le 3 mai prochain. Entretien avec Lo Bailly.

Tu as choisi de faire un album en deux parties, donc avec la première qui est sortie ce 27 janvier. Pourquoi le diviser de la sorte ?

Pour plusieurs raisons. On trouvait intéressant avec mon équipe de mettre ça sur un temps plus long parce qu’on sait qu’une sortie de projet ne s’étale plus trop dans le temps. Au bout de trois ou quatre mois, les gens considèrent que ce n’est plus un nouveau projet, donc on trouvait intéressant d’échelonner ça sur un temps plus long. Et puis c’était aussi une manière d’amener un storytelling entre deux faces ayant des couleurs et une ambiance un petit peu différentes, même si le tout reste très cohérent au final.

Dans la Face A, tu ne cherches pas forcément à aller que vers l’obscur, tu vas aussi vers le clair.

Bien sûr, j’essaye en tout cas. Et c’est ce qui fait la richesse d’un projet, ne pas tomber uniquement dans le dans le sombre ou dans le dans le festif. Amener des contrastes, c’est un truc qui m’a toujours beaucoup intéressé. Je viens du théâtre aussi à la base et c’est pareil, il faut amener des contrastes dans l’interprétation, dans les émotions d’un personnage.

Loading...

Tu as appelé cet EP “Prosaïque”, ce n’est pas forcément un nom hyper enchanteur. Dans le dictionnaire, le mot est même défini comme “sans poésie, terre à terre”, et pourtant tu as dit que le disque était comme un autoportrait. Pourquoi ce nom ?

Je ne dirais pas que ce n’est qu’un autoportrait. Je dis ça dans le sens où forcément, quand on écrit, on s’inspire du vécu, donc de nous-même et du monde qui nous entoure. Dans le morceau “Prosaïque”, je dis “un têtard dans une marmite, dans un monde prosaïque”, parce que justement, dans ma démarche et dans mon style d’écriture, j’essaye de développer un côté un petit peu poétique. Donc c’est un personnage qui essaie d’évoluer dans un monde qui au final est assez terre à terre, assez brut, implacable. Et donc c’est ce contraste-là que je voulais mettre en avant, “prosaïque” c’est surtout le monde qui entoure le personnage.

Ce qui t’inspire pour écrire, c’est ta vie, tes expériences au sein d’une société un peu malade. Est-ce que tu veux avoir cette sorte de posture de chroniqueur de la société ?

Ce serait peut-être paradoxal de te dire non parce que j’aime bien faire des portraits dans mes morceaux, j’aime bien décrire les choses. Donc oui, indirectement c’est ce que je fais. Après, je ne me dis pas spécialement que j’endosse cette posture de chroniqueur. Mais dans ma façon d’appréhender l’écriture et ce que j’ai envie de raconter, forcément, ça dépeint des situations. Après, est-ce qu’on ne peut pas dire ça de tous les auteurs, de tous les artistes ?

Tu as eu l’occasion de faire pas mal de belles dates suite à ton premier opus déjà, est-ce que ça t’a apporté quelque chose ? Une expérience que tu as pu réinjecter dans cet EP ?

C’est sûr. Déjà tout ce qui m’est arrivé au niveau des dates et de la reconnaissance professionnelle, ça donne de la confiance. C’est quelque chose que tu peux réinjecter après dans ton travail. Quand tu te remets derrière tes machines ou derrière ton texte, tu as acquis une certaine confiance en toi que tu n’avais peut-être pas au début. Tu peux te trouver plus facilement. Évidemment, il y a eu un avant et un après. Peut-être que tous les artistes te diront ça, mais c’est vrai que quand je finis un projet et que je me dis que je dois en commencer un nouveau, mon objectif c’est de me dire je me suis amélioré dans tout, que ce que je vais produire sera mieux que ce que j’ai fait. Je ne dis pas que j’y arriverais toute ma carrière parce que c’est très compliqué, forcément le renouvellement, mais en tout cas, c’est ce que j’essaie de faire.

© Simon Vanrie

Quand tu t’es mis à la musique, est-ce que tu as senti un manque de confiance, est-ce que tu as douté de toi parfois ?

On doute toujours en fait. Il y a toujours des moments où j’ai l’impression que ce que je fais ne tient pas la route. À force de travailler sur un morceau aussi, on l’écoute 100 fois et on ne sait plus si c’est bon ou si ce n’est pas bon. On n’a plus l’oreille neuve. Et puis le doute est hyper important pour la remise en question, c’est un élément indispensable. Je pense qu’à partir du moment où tu ne doutes plus, tu arrêtes d’évoluer. Après, est-ce que je doute moins que le Loïc d’il y a trois ans qui n’avait, qui n’avait gagné aucun concours, qui n’avait fait aucune première partie ? C’est sûr que j’ai quand même acquis une certaine confiance, une certaine légitimité aux yeux des autres aussi. Et il n’y a rien à faire. Quand tu te sens légitime aux yeux des autres, ça t’aide beaucoup.

Il y a pas mal de choses dans cette face A de ton album qui renvoient au quotidien de tout un chacun. Est-ce que c’était une volonté d’ancrer vraiment, vraiment le disque dans le réel ?

Oui. Et c’est quelque chose d’assez propre de manière générale à mon projet. J’ai toujours bien aimé les artistes qui sont dans le concret et qui racontent quelque chose de vrai. Ça ne veut pas dire que je ne suis pas client non plus de projets plus second degré ou détachés. Mais si je m’écoute vraiment et que je fais vraiment ce que j’aime, c’est ça qui sort et je ne cherche pas à l’inhiber. C’est vrai que par exemple, dans le morceau “Prosaïque”, je ne fais que décrire ma chambre. J’aime bien me raccrocher à la réalité, à ce qui m’entoure et faire écho à ça.

Il y a un petit clin d’œil à FKJ aussi dans cet EP, sur le morceau HS. Pourquoi ?

C’est vrai que dans le morceau je dis “Il y a que French qui est à la hauteur”. FKJ c’est un gars qui sait jouer tous les instruments à la perfection. Je l’ai vu deux fois sur scène et à chaque fois que je sors de là, je suis entre l’émerveillement de me dire 'le gars est trop fort, il sait tout faire, il chante super bien" et en même temps tu te prends une claque parce que tu te dis qu’il y a encore du boulot pour arriver au niveau d’un gars comme ça. Mais en même temps, sa démarche et la mienne sont totalement différentes, donc je ne cherche pas à faire du FKJ, mais c’est une source d’inspiration énorme. Pour moi, il est juste au-dessus de la mêlée.

Loading...

À la base, c’est quoi qui t’a poussé à écrire, à composer, à prendre un instrument ?

J’aurais du mal à te dire. Il y avait un vieux synthé qui traînait chez mes parents quand j’étais petit. Un jour, je l’ai allumé parce que personne ne jouait de ce clavier. J’ai commencé à chipoter et petit à petit, ça a dû infuser. Pour l’écriture, c’est un peu pareil, à l’école j’aimais bien écrire, c’était là-dedans que je m’amusais le plus. À côté de ça, je me suis aussi pris de passion pour le piano. Donc en fait, très naturellement, j’ai mis les deux ensemble et j’ai commencé à faire des morceaux quoi.

Les parcours d’artistes comme Fauve, ou des groupes qui ont utilisé pas mal de spoken word avec des productions électroniques, est-ce que ça t’a inspiré ou un peu ouvert la voie ?

Je pense certainement parce que Fauve a sorti son premier EP qui était incroyable, il y a plus de dix ans déjà, et je l’avais beaucoup écouté à l’époque. Ça m’a imprégné, c’est sûr. Avant ça, le premier artiste que j’ai énormément écouté quand j’étais petit, c’était MC Solaar, qui m’a énormément imprégné aussi.

© Simon Vanrie

Tu as collaboré avec d’autres artistes belges pour ce disque, Antoine Pierre et Olvo. Pourquoi eux ?

Olvo avait déjà bossé sur mon premier EP qui est sorti il y a un an et demi. Ça s’était super bien passé, on avait eu un super bon feeling humain et musical donc il n’y avait pas de raison de ne pas refaire appel à lui. Et Antoine Pierre, c’est Pias qui me l’a présenté. J’ai fait appel à ces deux profils parce que moi je compose tout seul, je fais mes structures de morceaux, mes textes, et il y a toujours un moment où je peux avoir l’impression que le travail est terminé, mais en fait il ne l’est pas. À ce moment-là, le fait de faire appel à des experts dans leur domaine, comme un beatmaker ou bien Antoine Pierre qui est un batteur incroyable, qui a vraiment toute une science de la rythmique assez fantastique, je savais que ça allait pousser mon travail encore plus loin. C’est hyper stimulant ce genre de rencontre. Puis en plus, quand ça se passe bien humainement, on a tout gagné.

Et du coup, on peut s’attendre à quoi pour la face B de cet album ?

Je pense qu’on peut s’attendre à un peu plus de choses tournées vers le décor qu’il y a autour du personnage, un peu moins le personnage lui-même. Il y a quand même une teinte un petit peu plus organique, assumée, avec de la batterie sur certains morceaux. Un peu plus rock aussi, parfois.

Inscrivez-vous à la newsletter Jam

Recevez chaque semaine toutes les actualités musicales proposées par Jam., la radio "faite par des êtres humains pour des êtres humains"

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous