LOCAL HEROES au MIMA ou les kets de Molenbeek au musée

L’image de l’artiste et du musée c’est toujours celle des blancs qui vont se donner bonne conscience en photographiant un jeune "pot de couleurs" qui habite dans le quartier

Quand les codes du musée rencontrent les codes de la boxe

Raphaël Cruyt co-fondateur du MIMA avec Alice van den Abeele (Alice Gallery), parle avec exaltation de ce projet qui est l’aboutissement d’une longue réflexion du MIMA sur son ancrage local. Comment inciter les gens du quartier à pousser les portes du musée ? question récurrente des institutions culturelles. Réponse du MIMA : en faisant entrer le quartier au musée ; en faire un sujet. Et Raphaël qui fréquente la salle du quartier, comprend que la boxe sera le vecteur de l’aventure. Parce que "à travers le sport tu ne vois plus les couleurs. Tu vas au-delà de tes peurs" réciproques, peut-on ajouter. Et la boxe est aussi un incontournable de la pop culture, de Rocky, Raging Bull, Million Dollar Baby (qui va populariser la boxe féminine) aux jeux video de fight. La boxe, une pratique répandue dans le quartier parce que beaucoup plus qu’un sport.

Une discipline – dans tous les sens du terme- à la symbolique puissante, métaphore du combat personnel pour s’en sortir. Mais de quoi exactement ? Raphaël le boxeur, nous l’évoquera de l’intérieur.

Ceci n’est pas une exposition

Concrètement, Local Heroes c’est, sur le modèle du gymnase grec antique, un mélange de sport, d’éducation (une histoire pop de la boxe en dessins acidulés) et de culture.

Photographie, affiche, illustration, vidéo et fabuleux peignoirs, œuvres de sept artistes bruxellois.e.s conçues avec les athlètes, entourent la salle d’entraînement et le ring. Un programme sportif quotidien alterne les plages d’initiation pour tous les âges (les scolaires se font des matchs d’une minute sur le ring) par des membres du BBA (Brussels Boxing Academy), et les plages d’entraînement pour les boxeur.euse.s. "Un lieu où exercer leur pratique". Trois combats officiels s’y dérouleront et des matchs et performances (avec les élèves du Cours Florent) en nocturne. Sport et culture, on vous disait…

Les artistes se sont immergés dans la communauté locale ; au plus près, dans les photos noir et blanc de Christopher de Béthune, pour "rendre l’odeur locale de la salle"; à portée d’objectif pour les portraits d’Edouard Valette qui présente une série de personnages oniriques et pour les fiers athlètes sur les affiches de Dave Decat. La styliste Kenza Vandeput-Taleb qui a fait de la boxe à 14 ans, connaît tous les codes et a créé "4 looks complets, totalement upcyclés, uniques, short et peignoir, no gender." confie-t-elle dans Le Vif. Belgo-algérienne, elle y mêle des influences d’Afrique du Nord, des broderies avec des punchlines et des logos de grandes marques, issus des vêtements usagés que l’Europe envoie vers l’Afrique.

La boxe est le sport du dernier venu"

Les Italiens, les Juifs, les Mexicains aux Etats-Unis. La troisième et quatrième générations d’émigrés à Molenbeek. Raphaël Cruyt explique comment la boxe a toujours été le moyen (réel ou fantasmé) de sortir de sa condition sociale et/ou raciale, de la misère et de la stigmatisation. Sortir du déclassement. Réussir une ascension sociale. La boxe porte aussi des valeurs de défi, de persévérance, de discipline. La boxe amateur, très technique, explique Raphaël, n’est pas un sport de compétition, c’est un parcours individuel. Se battre pour exceller, se faire une place dans le milieu, "recomposer son identité" quand on est issu d’un quartier où le poids des attentats pèse toujours (le quartier d’enfance de Salah Abdeslam, arrêté à 800 mètres du musée). Aujourd’hui sur les épaules de la génération suivante. Par la volonté du BBA, le club accueille aussi la classe moyenne (qui y trouve un outil de développement personnel). Cela débouche sur une réelle mixité sociale, nous dit Raphaël. Flamande et Nord-africaine. "Au club, tu vas voir la Flamande fashionista très bien éduquée et le fils de l’imam."

Un projet de co-création comme Local Heroes, a ses exigences. Le photographe Edouard Valette a imaginé des personnages étranges avec des costumes créés par des stylistes. Un travail périlleux abouti grâce à la médiation de l’entraîneur qui a toute la confiance des boxeurs. Chaque image présentée dans l’exposition a été choisie avec le modèle. Un gros travail d’investissement pour le photographe et beaucoup de rebut. Prendre un risque des deux côtés de l’objectif. Par contre, pas de souci pour les peignoirs de Kenza Vandeput-Taleb. "Ce sont des capes de superhéros" qui mettent en valeur la personne et son talent. Et qui permettent de créer son personnage.

Aux côtés des deux coachs Yassine Laabidi, médaille d’argent 2022 de la Vlaamse Boksliga, et Ayoub Astit, champion du Maroc, les jeunes du club se relayent pour accueillir le public. Des prestations rémunérées. Cette place d’expert provoque un changement de regard. Local Heroes a une finalité décidément très simple, de la bouche même de Raphaël Cruyt : "changer l’image qu’on a les uns des autres."

En pratique :

Local Heroes du 03 février au 28 mai 2023

MIMA – 39-41, Quai du Hainaut -1080 Bruxelles

Horaire des initiations quotidiennes

Evénements et combats officiels