Le compositeur Paul Gilson compose son chef-d’œuvre La Mer en 1892, une esquisse symphonique d’après un poème d’Eddy Levis dédicacée à Joseph Dupont, le directeur des Concerts Populaires. Retour sur la création de cette œuvre avec Xavier Falques dans C’est arrivé près de chez nous.
"[Le modèle] n‘est là que pour m’allumer, me permettre d’oser des choses que je ne saurais pas inventer sans lui… " disait Renoir. Cette phrase Gilson aurait pu la dire à propos de son œuvre La Mer.
Été 1891, comme de nombreux Belges, le compositeur Paul Gilson se rend à la mer pour y prendre une semaine de vacances. Le jeune homme de 26 ans est depuis 1889 le récipiendaire du prix de Rome belge de composition. A Ostende, Gilson, comme de nombreux autres bruxellois, préfère Blankenberge ; d’autant plus que le casino est flambant neuf et accueille un orchestre de 45 musiciens.
Mais la digue de Blankenberge accueille aussi un autre artiste qui fait sensation par ses costumes de flanelle immaculée : le poète Eddy Levis. Depuis plusieurs années, le jour de la fête nationale, le casino accueille Levis qui déclame son Ode patriotique accompagnée en sourdine de l’orchestre jouant la Brabançonne.
Levis et Gilson se rencontrent et le projet d’écrire une œuvre qui serait créée à Blankenberge naît. L’idée serait de composer une musique pour orchestre qui s’inspirerait et complémenterait un poème de Levis intitulé La mer.
Gilson séduit par l’idée s’attelle rapidement à la composition, mais très vite les proportions de son œuvre dépassent le cadre attendu, les deux premières parties sont déjà conséquentes et le projet est ajourné. A Bruxelles, Joseph Dupont, le directeur des concerts populaires, passe commande pour son institution, Gilson y voit l’opportunité de terminer son ambitieux projet et se remet au travail. Levis de son côté adapte son poème aux nouvelles proportions de l’œuvre. La date de l’exécution est déterminée, les programmes imprimés, mais le temps file…
Gilson va alors trouver le directeur des concerts populaires et lui dit " je n’en puis plus, je sens que je vais me tuer à cette tâche ". La réponse de Dupont est sans appel : " Tuez-vous tant que vous voudrez, mais achevez votre œuvre ".
Commence alors une course contre la montre. Gilson réussit à écrire le dernier mouvement " la tempête " en cinq jours seulement. L’œuvre est terminée, mais rien n’est prêt. Avec l’aide de trois copistes en trois jours et trois nuits et au prix de nombreux litres de pétrole pour alimenter les lampes, le matériel pour l’orchestre est copié. A 9h, une matinée de mars 1892, l’encre est encore fraîche sur certaines des partitions distribuées aux musiciens pour la première répétition.
Certains musiciens sont perplexes à la lecture de l’œuvre et surtout de son troisième mouvement. Gaston Brenta écrit : " Des musiciens se demandaient si l’auteur, et eux-mêmes, n’avaient pas soudain perdu la raison ". Mais le dimanche 20 mars 1892, l’orchestre des concerts populaire et le comédien Le Bargy entament l’œuvre devant un public impatient….
Et le succès est au rendez-vous, on lira dans la chronique du journal le soir " L’effet a été, hier, irrésistible. On a fait à M. Gilson des ovations enthousiastes ". Après sa cantate Sinaï, lui ayant valu le prix de Rome, Gilson signe avec La Mer sa plus grande œuvre, celle qui lui assurera une place au panthéon des compositeurs et des orchestrateurs belge
Pour aller plus loin :
Brenta, Gaston. Paul Gilson. Bruxelles : La Renaissance du Livre, 1965.