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Lorenzo Serra : rencontre avec l'un des instigateurs du retour de la fête à Bruxelles

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Par Maxime Vandenplas

Les basses recommencent à vrombir à différents endroits de la capitale. Les gens se serrent à nouveau dans les bras, un sourire solaire sur les lèvres tandis que le bruit des décapsulages de bières réchauffe les cœurs. La fête reprend tout doucement ses droits à Bruxelles. Pour comprendre comment tout cela est possible, nous avons rencontré Lorenzo Serra, figure emblématique de la nightlife bruxelloise. Porte-parole et fondateur de la fédération Brussels By Night, il nous explique son combat afin que la culture festive retrouve sa place dans cette ville qu’il aime tellement.

(UPDATE: À l'heure où vous lisez ces quelques lignes, Lorenzo a gagné son combat! Un accord a été trouvé entre le Gouvernement bruxellois et la Fédération Brussels By Night: dès le 1er octobre, les boîtes de nuit de Bruxelles pourront rouvrir leurs portes. Une réouverture sur base des protocoles en matière de ventilation et conditionnée à la situation sanitaire.)

Salut Lorenzo, est-ce que tu peux nous expliquer ce qu’est Brussels By Night ?

C’est une fédération qui a été créée pour travailler sur la nuit du 21e siècle. Le but est de réfléchir à comment positiver celle-ci et la positionner dans une métropole moderne. Plusieurs points sont abordés comme les nuisances, la mobilité nocturne, la santé publique, le droit du travail ou encore le marketing. Nous essayons de trouver des solutions pour chaque problématique en créant des groupes de travail. Ces derniers changent annuellement. Dans chaque groupe, il y a un leader qui fait des propositions au conseil de la nuit, une à deux fois par an. Brussels By Night n’est composé que de professionnels du secteur, c’est-à-dire les clubs/bars et alors ce qu’on appelle les itinérants comme les collectifs, les labels de musique ou les festivals.

Cette fédération se retrouve dans le conseil de la nuit qui est constitué d’entités comme le SIAMU, la police, Bruxelles Environnement et des représentants communaux. Ce conseil était une volonté de la région bruxelloise. Ils ont missionné Visit Brussels pour le mettre sur pied. Brussels By Night s’est mise en route en décembre 2019 pour être opérationnelle en septembre 2020. Nous avions décidé d’opter pour ce laps de temps afin de baliser au mieux notre mission. D’autres initiatives avaient été lancées auparavant mais elles n’avaient jamais aboutis sur quelque chose de concret. J’étais donc partant pour le projet mais avec comme conditions qu’il soit financé, pérenne, avec des missions claires et que les gens à sa tête soient légitimes.

Malheureusement le covid est arrivé en mars 2020. Nous nous sommes dit que si nous restions fidèles à notre calendrier, cette fédération n’aurait aucune raison d’exister. Nous étions deux avec Fryderyk de Peslin Lachert à nous être mis comme première mission de faire naître cette entité. Ensuite, Brice Deloose nous a rejoints. Maintenant, je travaille avec Romain Baudson qui me rejoint pour environ 2 ans. Nous y sommes arrivés sans argent, sans rien. J’avoue que sans les droits passerelles, je ne l’aurais jamais fait. J’ai bossé 15 mois bénévolement en travaillant 3 à 4 jours par semaine et en bataillant comme un acharné à tous les niveaux politiques. Cela a été compliqué, nous partions de zéro et nous n’avions pas les bonnes portes d’entrées. Cependant, grâce au fait que j’organise le Listen Festival, j’avais des contacts. Cela nous a beaucoup aidés.

Est-ce qu’on peut dire que maintenant Brussels By Night à un certain poids vis-à-vis des politiques ?

Il y a une chose qui est sûre, c’est qu’en 18 mois, on est arrivé à exister. Nous sommes considérés comme experts par la ville et la région de Bruxelles. Elles nous soutiennent et nous collaborons ensemble. Concernant le fédéral, c’est une autre histoire car nous n’avons pas d’équivalent flamand ou wallon. Certains sont plus ou moins nés durant la crise sanitaire mais c’est compliqué car il y a des guerres de pouvoirs à certains niveaux. Nous avons écrit le protocole de réouverture de la nuit ensemble, avec des Flamands et des Wallons. Pour l’instant, nous avons eu qu’une seule réunion fédérale. Cela prouve qu’à ce niveau, la considération de notre secteur n’est pas la même. De plus, le fédéral n’a aucun intérêt dans la nuit. Il n’y a que les grandes métropoles qui sont intéressées par la vie nocturne. Certaines personnes ont compris que c’est work hard, party hard. L’un ne va pas sans l’autre. Si les jeunes n’y retrouvent pas leur compte, ils vont finir par partir travailler à l’étranger. Ce n’est pas intéressant pour eux de rester dans une ville hostile et sans culture.

La nightlife, fait entièrement partie de cette dernière. Les premières villes à réussir la réouverture vont voir débarquer tous les jeunes. Tu peux en être certain. Le grand risque pour Bruxelles, ce n’est de devenir qu'un village administratif remplit d’expats alors qu’avant le covid, nous avions une nuit hyperactive. Nous avons un patrimoine culturel énorme en nightlife et musique. Il y a 180 nationalités différentes à Bruxelles, c’est une vraie richesse en termes de diversité. C’est un avantage que peu de capitales européennes peuvent revendiquer. C’est pour cela que je dis que nous travaillons main dans la main avec la ville et la région car je pense qu’ils l’ont compris. Le fait qu’ils soutiennent le projet Club Open Air financièrement, c’est une grande preuve de compréhension.

Tu viens justement d’aborder le projet Club Open Air, peux-tu nous en dire plus ?

J’ai proposé un plan de relance avec Visit Brussels. La Ville et la région l’ont lu et cela a débouché sur ce projet. Mais pas seulement. Il y a également le financement de plein d’autres acteurs festifs. Je ne voulais pas que la fédération devienne un promoteur avec Club Open Air. Nous voulions être facilitateur pour mettre en avant la nuit bruxelloise mais ne pas rentrer en concurrence avec le tissu existant. C’était extrêmement important pour moi. C’est pour cela que tu as des projets comme Couleur Café, Hangar, Listen Festival ou encore le Fuse qui proposent aussi des événements chacun de leur côté.

Cela fait du bien, nous avons l’impression d’avoir déjà parcouru un bout de chemin. Nous avons également obtenu la prime Tetra qui vient en aide aux clubs. Celle-ci oscille entre 75.000 et 125.000 euros par unité d’établissement. C’est une très grosse aide qui n’est malheureusement pas suffisante pour les 5 plus gros clubs mais qui a sauvé 80% d’entre eux. J’ai bientôt rendez-vous avec la Région pour parler d’un supplément afin que nous puissions tenir jusqu’à la réouverture. Grâce à Club Open Air, nous rassemblons beaucoup de monde. En temps normal, le milieu hip-hop ne parle pas forcément avec celui de la techno. Ce projet a vraiment créé de nouvelles collaborations et synergies.

D’où est vraiment venue l’idée du concept de club open air ?

Nous avons compris que la relance n’allait pas se faire facilement en indoor et par ailleurs, je suis amoureux de ma ville. Je me suis dit que si les hôtels de Bruxelles étaient vides, c’est parce qu’on ne donne aucuns contenus pour les touristes. C’était l’occasion de relancer la région par la culture festive et la culture en général. En associant, les différents clubs et collectifs, je me suis dit que c’était le cocktail parfait pour attirer la foule sur Bruxelles. J’ai ensuite contacté Visit Brussels et on a porté le projet ensemble à la Région et à la Ville. Je l’ai même amené au fédéral. Il est aussi important de souligner que le plan de relance ne parle pas que de culture mais propose également des solutions pour des aides financières.

À quoi ressemble le futur de la fête à Bruxelles ?

Nous attendions tous et toutes la confirmation du Covid Safe Ticket. Nous n’étions pas dupes. Sans ce dernier, tous les événements organisés à partir du 13 août n’auraient pas été possibles. Pour accéder à des événements dansants, il faudra l’avoir. Les organisateurs qui décident de la faire sans, s’exposent à des problèmes. On ne peut pas danser avec un masque ni en respectant la distanciation sociale. Il ne faut pas se mentir, les gens boivent quelques verres et oublient le covid. Ils se prennent quatre fois plus dans les bras puisqu’ils ont été enfermés pendant des mois. Il faut en être conscient et nous nous sommes dit que le jour où nous rouvrons, nous n’allions pas faire les choses à moitié. Le monde entier, s’est creusé la tête pendant des mois afin de trouver comment faire à nouveau la fête et le Covid Safe Ticket semble être la meilleure solution.

Le monde de la nuit est favorable à cette solution mais dans une parenthèse temporelle. Nous n’avons pas envie de devoir utiliser ce protocole indéfiniment. Certains partis politiques ont fait de l’effet d’annonce avec le Covid Safe Ticket. Ils ont crié à la discrimination. Pour nous, c’est inaudible ! Nous avons été mis de côté par choix politique. On a fermé la culture et pas le commerce, rappelons-le. D’autres partis, vont bientôt se prononcer pour une utilisation temporelle de ce ticket. Ils ne veulent pas rentrer dans une dictature. Nous comprenons et acceptons que la société ait besoin d’aller prendre un verre dans un bar, d’aller voir l’Euro ou encore de se rendre dans un centre commercial mais c’est illogique. Nous avons été solidaires des 11 millions de personnes vivant en Belgique maintenant il faut que la société soit solidaire à son tour. C’est tout le secteur événementiel festif qui a été punit et on ne nous dédommage pas à hauteur de notre sacrifice.

Quels sont les autres projets événementiels auxquels les gens vont pouvoir se rendre ?

Le collectif Hangar va avoir quelques dates. Le fuse va faire deux open air. Il y a également l’Arena 5 qui a déjà ouvert ses portes. Le festival Horst également va avoir lieu. Tu as aussi Saintklet le long du Canal. J’espère ne pas en oublier. Il y a vraiment de bons événements un peu partout et de quoi s’amuser entre potes.

 

Quand est-ce que tu penses qu’on va pouvoir retourner en club comme avant ?

Le secteur de la nuit est pour une réouverture entre le premier septembre et le premier octobre. Nous espérons que le prochain Codeco va clairement le signifier car c’est impossible de travailler sans perspective. À un moment, il faut aussi arrêter de se payer notre tronche. C’est un manque de respect total vis-à-vis d’êtres humains et d’entreprises. Il y a beaucoup d’artistes dans la nuit mais également énormément d’entrepreneurs. Les deux font la paire ! Les premiers ramènent du monde mais derrière, il y a toujours un entrepreneur qui travaille dur.

Beaucoup de personnes du milieu auraient choisi de refaire leur vie si on leur avait dit que cette crise allait durer si longtemps. Ils ne se seraient pas endettés autant. Certains se sont même suicidés. C’est vraiment grave ce qu’il s’est passé ! Un vrai manque de respect et d’humanité et par ailleurs en contradiction totale avec l’article 23 de la constitution. Ce dernier dit notamment que chacun à droit à la dignité humaine, à son travail et à choisir celui-ci. Il a clairement été bafoué. À un moment donné, le gouvernement aurait pu dire qu’ils n’allaient pas nous aider financièrement à hauteur de nos pertes et que la crise allait durer au moins un an.

Est-ce qu’on peut s’attendre à ce que la prochaine édition du Listen ! Festival voit le jour ?

Nous travaillons sur la prochaine édition qui devrait avoir lieu fin mars 2022 dans un schéma identique voir un rien plus grand de ce qu’il aurait dû être en 2020. On y croit et on s’est mis en route. Nous attendons avec impatience le prochain Codeco pour savoir si on va pouvoir y aller. Il y a plusieurs choses que je ne peux pas imaginer aujourd’hui. Je ne comprends pas pourquoi nous n’avons pas fait comme les Anglais cet été car le parallèle entre les soins intensifs et les contaminations n’est plus d’actualité. Il y aura des morts mais cela fait partie de la vie humaine. Nous avons payé des tests PCR pour que les gens aillent dépenser leur argent hors de nos frontières. C’est le monde à l’envers. J’espère que nous allons vers un courage politique et qui va dire que nous allons vivre avec ce foutu virus.

Un petit mot de fin positif pour les gens qui veulent à nouveau faire la fête ?

Pour moi, il y en a plusieurs. Premièrement, les contaminations ont beau augmenter, ça ne se traduit pas dans les soins intensifs et encore moins dans la mortalité. C’est un très bon signe. Cela veut dire que la vaccination, ça fonctionne. Deuxièmement, c’est notre collaboration avec la région et la ville de Bruxelles capitale. J’espère que cela va continuer sur le long terme. La troisième chose qui est fabuleuse c’est qu’on a retrouvé la vie, nos émotions et le fait d’être ensemble. Et cela n’a pas de prix !

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