Cyclisme

Louis Vervaeke, écorché apaisé devenu bodyguard de Remco Evenepoel : "J’aurai une oreille attentive quand il aura besoin de parler"

Louis Vervaeke avec son épouse Astrid et son jeune enfant Augustin. "Mon bonheur, c'est ma famille!"

© RTBF / Samuël Grulois

Ça n’arrive pas tous les jours dans une carrière de journaliste : clôturer une interview, ranger son micro et se dire, l’esprit un peu chiffonné, qu’on vient d’interroger un mec bien. Louis Vervaeke a une sensibilité à fleur de peau. Une enfance difficile, des déceptions sportives, des troubles de l’alimentation, un équilibre personnel fragile… ça vous endurcit un homme. Un homme qui, au moment de répondre à vos questions, a alors le choix entre endosser sa carapace et jouer les gladiateurs impassibles (et ça se respecte !) ou bien lâcher du lest et se confier en toute sincérité. Devant nous, Louis a opté pour la deuxième option. Sans tomber dans le pathos, mais avec une honnêteté qui inspire le respect.

En mai dernier, alors que toute la Belgique imaginait déjà Remco Evenepoel survoler le Tour d’Italie, un autre Belge faisait parler de lui sur les routes transalpines. Avec le maillot d’Alpecin-Fenix sur le dos, Louis Vervaeke était régulièrement à l’attaque, longtemps dans le top-5 du général, finalement 20ème du classement final. Après trois abandons en trois participations, le Renaisien d’origine réglait enfin ses comptes avec le Giro. Et il en profitait pour se rappeler au bon souvenir des amateurs de cyclisme.

Dans les semaines qui ont suivi, avec son staff, Patrick Lefevere a analysé le parcours italien compliqué de son poulain Remco mais aussi celui, beaucoup plus régulier, de ce fameux Louis. Avant l’été, le transfert était amorcé. À 28 ans, Vervaeke est engagé par " Quick Step-Alpha Vinyl " pour encadrer Evenepoel en montagne et pour l’aider à gagner. Il est désormais bodyguard du phénomène de Schepdaal.

Envolés, les tourments du passé ! Le grimpeur se sent désormais utile et apprécié. Il se sent bien, tout simplement, entouré de sa femme Astrid, la veuve du regretté Antoine Demoitié, et d’Augustin, son jeune enfant.

Voici donc l’interview d’un écorché apaisé. Un grand talent qu’on avait un peu oublié, c’est vrai. Un coureur qu’on a envie d’aimer. Louis Vervaeke.

Louis, ça vous fait quoi de porter désormais le maillot de " Quick Step-Alpha Vinyl " ?

" Quand tu es un gamin belge fan de vélo et que tu achètes un maillot, tu achètes un maillot Quick Step et pas celui d’une autre équipe ! Après, tu es fier de pouvoir faire des courses virtuelles contre tes frères avec ce maillot Quick Step. Aujourd’hui, pour moi, ce ne sont plus des courses virtuelles mais bien réelles avec cet équipement-là. Oui, c’est un rêve qui s’est concrétisé ! Je reconnais avoir été un peu bouleversé lors des stages hivernaux par ce qu’est réellement le Wolfpack. De l’extérieur, tu as parfois l’impression que c’est juste du marketing, du cosmétique créé autour de l’équipe. Mais en fait, ça existe vraiment ! Et pas seulement entre coureurs mais aussi avec les directeurs sportifs, l’encadrement, les journalistes… tout le monde est sympathique avec tout le monde. C’est terriblement familial. Et, à mes yeux, c’est ce qui permet de faire de grandes différences avec les adversaires. Un exemple ? C’est con mais… en arrivant, comme tous les nouveaux, j’ai été ‘baptisé’. Dans la plupart des équipes, ça n’existe plus. Ou alors, ce sont de bêtes blagues comme se jeter dans une piscine. Ici, sans rentrer dans les détails, et sans avoir besoin d’alcool, tu dois gentiment te ridiculiser devant le groupe. Et après ces quelques épreuves, tu es définitivement le bienvenu dans le Wolfpack ! Les anciens te considèrent alors comme un des leurs. Il y a des applaudissements, on se fait des accolades et ça rapproche les coureurs. En un mot, c’est une famille ! "

Votre transfert, vous le devez en grande partie au très bon Tour d’Italie réalisé en 2021 (NDLR : 2ème du général au soir de la cinquième étape, 20ème du classement final), non ?

" Oui, c’est surtout ce Giro qui m’a remis à l’avant-plan médiatique. Mais je suis certain que j’avais le même niveau sur Tirreno-Adriatico en 2020 (NLDR : 16ème du classement final). Cette année-là, j’ai d’ailleurs loupé d’un cheveu ma sélection pour les Championnats du monde. Une sélection qui aurait d’ailleurs déjà pu changer des choses pour moi. Quand tu es capable de faire top-20 à Tirreno, tu joues avec les meilleurs ! Mais c’est clair que quand tu luttes plusieurs jours pour un maillot rose, ça marque les esprits dans le grand public. "

J’ai eu un parcours particulier avec une vie privée très perturbée. Je n’étais pas heureux quand j’étais enfant. Et quand tu es coureur, tu ne peux pas prester au plus haut niveau si ta vie n’est pas stable. Depuis lors, j’ai fondé une famille avec Astrid qui, elle aussi, a eu un parcours compliqué après avoir perdu son mari, Antoine Demoitié. Mon bonheur, c’est ma famille. Et c’est elle qui me donne aujourd’hui la force de retrouver le meilleur Louis !

Louis Vervaeke a signé un contrat portant sur deux saisons avec Quick Step-Alpha Vinyl. "De l’extérieur, tu as parfois l’impression que le Wolfpack est juste du marketing, du cosmétique créé autour de l’équipe. Mais en fait, ça existe vraiment!"
Louis Vervaeke a signé un contrat portant sur deux saisons avec Quick Step-Alpha Vinyl. "De l’extérieur, tu as parfois l’impression que le Wolfpack est juste du marketing, du cosmétique créé autour de l’équipe. Mais en fait, ça existe vraiment!" © INSTAGRAM Quick Step-Alpha Vinyl

Le successeur désigné de Jurgen Van den Broeck

En 2013, 2014, 2015, on parlait beaucoup de vous après, notamment, un très bon Tour de l’Avenir 2014 (NDLR : vainqueur de la 7ème étape, 5ème du classement final). À l’époque, on ne connaissait pas encore Remco Evenepoel et vous incarniez le grimpeur belge du futur !

" Oui, on pouvait lire dans la presse que j’étais le nouveau talent belge pour les grands Tours. Jurgen Van den Broeck (NDLR : 3ème du Tour de France 2010 après les déclassements d’Alberto Contador et de Denis Menchovapprochait de la fin de sa carrière et on me voyait comme son remplaçant. Ça ne me dérangeait pas et j’aurais aimé assumer ce rôle-là. Mais voilà, j’ai eu un parcours particulier avec une vie privée très perturbée. Quand tu es coureur, tu ne peux pas prester au plus haut niveau si ta vie n’est pas stable. Tout doit être en ordre à 100% pour atteindre ta meilleure forme. Je suis convaincu que si j’avais eu un itinéraire personnel moins perturbé, j’aurais eu une autre carrière. Mais c’est la vie ! On ne choisit pas. Depuis lors, j’ai fondé une famille avec Astrid (NDLR : Astrid Collinge) qui, elle aussi, a eu un parcours compliqué après avoir perdu son mari, l’ancien coureur Antoine Demoitié, dans un accident (NDLR : lors de Gand-Wevelgem 2016). C’est la preuve que dans la vie, on ne choisit pas et qu’il faut prendre les évènements comme ils viennent… "

Vous êtes papa depuis peu d’un petit Augustin. Vous avez enfin trouvé l’équilibre familial que vous cherchiez. Je ne vous connais pas bien mais je sens que c’est très important pour vous…

" Sans rentrer dans les détails, il y a eu pas mal de problèmes dans ma famille. Je peux vous dire que je n’étais pas heureux quand j’étais enfant et même jeune coureur pro. Certes, j’avais des potes mais il me manquait une vraie famille proche de moi. Désormais, avec Astrid et Augustin, j’ai tout ce dont je rêvais dans la vie ! Si je dois arrêter le vélo demain, je serai très triste car c’est ma passion et mon plaisir, mais je sais que ma vie est complète avec ma femme et mon fils. Je n’ai pas peur de ce qui peut arriver plus tard. Je sais que je ne serai pas malheureux en cas de problème dans ma carrière cycliste. Ça me permet de pouvoir profiter et de me donner à fond sur le vélo. Mon bonheur, c’est ma famille. Et c’est elle qui me donne aujourd’hui la force de retrouver le meilleur Louis, celui de 2013, 2014 et 2015 ! "

Remco est une création de la nature très particulière ! Va-t-il va gagner un grand Tour ? Je ne sais pas. En a-t-il les capacités ? Oui, j’en suis convaincu ! C’est pour ça que je suis entré dans ce projet avec lui. Je veux l’aider dans les moments plus compliqués, lui tendre une oreille attentive s’il veut parler.

Louis Vervaeke a terminé 20ème du Giro 2021. Une performance qui a clairement poussé Quick Step-Alpha Vinyl a lui faire les yeux doux pour épauler Remco Evenepoel à l'avenir sur les grands Tours.
Louis Vervaeke a terminé 20ème du Giro 2021. Une performance qui a clairement poussé Quick Step-Alpha Vinyl a lui faire les yeux doux pour épauler Remco Evenepoel à l'avenir sur les grands Tours. © BELGA

Remco, une création particulière!

Vous êtes donc, cette saison, l’un des gardes du corps de Remco Evenepoel. En Belgique, il a dû gérer énormément de pression depuis ses débuts professionnels. Peut-il gagner un grand Tour ? Est-il le futur Eddy Merckx ? Exagère-t-on à son propos ? Quel est votre opinion ?

" Ce qui est certain, c’est que Remco est une création de la nature très particulière ! (sic) Mais il n’est pas tout seul. Nous avons devant nous une terrible génération avec Remco Evenepoel, Tadej Pogacar, Egan Bernal, des coureurs très jeunes mais déjà d’un très haut niveau. Un niveau que les générations précédentes n’ont jamais eu. C’est un niveau inédit ! Alors, est-ce que Remco va gagner un grand Tour ? Je ne sais pas. En a-t-il les capacités ? Oui, j’en suis convaincu ! C’est pour ça que je suis entré dans ce projet avec lui. Je vais bosser pour que ce rêve, celui de Remco et celui de l’équipe, devienne réalité. Avec lui, nous avons le leader idéal pour les épreuves par étapes. Mais il y a tellement de choses à mettre en place pour y arriver… Avant de le connaître, je trouvais Remco très sûr de lui. Il ne donnait pas toujours une bonne image dans les médias. Maintenant, j’ai compris… c’est un jeune coureur qui est encore très faible. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il est immature car, justement, il est mature pour son âge. Mais il est plus humain qu’il n’y paraît. Il est bien plus respectueux que ce qu’il laisse parfois percevoir dans la presse. C’est un gars super gentil. A côté de Remco-le-sportif, il y a un très bon mec avec un grand cœur qui donne vraiment envie de travailler pour lui ! En plus, nous nous entendons naturellement bien et c’est agréable. "

Vous devez lui apporter quelque chose sur le vélo. Mais, du haut de vos 28 ans, avec le parcours personnel compliqué dont vous nous avez parlé, pouvez-vous aussi le guider, l’aider à gérer le mental à côté du cyclisme pur et dur ?

" J’espère, oui ! Mon parcours perturbé m’a énormément appris sur la vie et sur le vélo. Ce n’est pas toujours facile… Je n’ai jamais eu le même talent que Remco. Mais je sais que même avec un grand talent, tout ne coule pas toujours de source. Tu peux être influencé par des choses que le grand public ne sait pas. Je veux donc l’aider dans les moments plus compliqués, lui tendre une oreille attentive s’il veut parler. Et sur le plan sportif, je peux le guider tactiquement. J’aimerais devenir un bon domestique sur les pédales, pédaler fort et être présent dans les instants décisifs de la course. "

Vous êtes ce qu’on appelle un " vrai Belge ". Vous êtes né à Renaix, vous avez habité avec Astrid en Wallonie, près de Huy, et vous venez de vous réinstaller en Flandre, à Gand précisément, avec votre famille. Vous êtes parfait bilingue. C’est important pour vous ?

" Je trouve malheureusement la situation de notre pays parfois très triste ! Je suis un Belge, quoi ! J’ai vécu en Flandre et en Wallonie, je connais les deux côtés. Parfois, les Wallons disent du mal des Flamands, les Flamands disent du mal des Wallons… mais moi je peux vous garantir que les deux régions ont leur charme mais aussi leurs défauts. Et moi, j’aime mélanger tout ça. "

Augustin sera-t-il " perfect tweetalig " ?

" Il sera bilingue comme il faut ! Astrid lui parle toujours en français et moi toujours en néerlandais. Certes, je parle bien français mais avec des fautes. Nous ne voulons pas lui apprendre du mauvais français ou du mauvais néerlandais. Nous lui parlons donc chacun dans notre langue maternelle, ce qui fera de lui un Belge à 100% ! "

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