C’est l’été à Louvain-la-Neuve. Les rues de ce campus universitaire d’habitude remplies d’étudiants, à toute heure du jour et de la nuit, sont aujourd’hui bien vides. Faute d’étudiant, les sandwicheries, imprimeries ou autres commerces tournés vers le monde universitaire sont fermés. La ville n’est pourtant pas à l’arrêt. Si le week-end, les visiteurs d’un jour se pressent dans les magasins du centre-ville, c’est en semaine que la véritable ville et ses habitants se découvrent.
Comme un grand village
Trois générations se sont déjà succédées depuis la fondation de Louvain-la-Neuve, dans les années 70. Ces Louvanistes à l’année n’habitent en général pas les hauts bâtiments du centre, réservés aux kots étudiants pour la plupart. Il faut à peine quelques pas dans les rues sinueuses de cette ville piétonne pour quitter le centre-ville de béton et de brique rouge, et arriver dans des lieux à taille plus humaine. Là, les gens se connaissent et se parlent.
Ces quartiers résidentiels, presque comme des villages, dessinent les contours de Louvain-la-Neuve. Le Biéreau, les Bruyères, La Baraque, Lauzelle, L’Hocaille ou encore Courbevoie disposent chacun d’une identité propre, rapidement développée malgré le jeune âge de la ville d’à peine 50 ans.
Les "pionniers" sont toujours là
Surnommés les pionniers, les premiers habitants de la ville sont comme leur nom l’indique, arrivés à la création de Louvain-la-Neuve. Ils étaient essentiellement des chercheurs, ou des membres du personnel de l’université. Avec l’extension de la ville, des familles sont venues s’installer. Une deuxième génération composée aussi des enfants des pionniers, pour certains restés à Louvain-la-Neuve. Une troisième génération voit aussi le jour, des enfants et petits enfants des premières générations. Des anciens étudiants de l’UCLouvain s’installent aussi à Louvain. Eux sont de passage, attachés à la ville et en transition après la fin de leurs études pour leur premier job.
Si les pionniers se sont principalement installés au Biéreau, le premier quartier de la ville, d’autres ont vu les quartiers se construire. C’est le cas de Chantal, une pionnière de Lauzelle croisée au détour d’un sentier du parc de la Source : "Dans notre rangée de maisons, nous étions la première. Mon ex-mari était étudiant en médecine ici, et je travaillais en tant qu’infirmière à Woluwe. J’étais donc considérée comme personnel de l’université, ce qui a permis d’avoir des prêts intéressants pour un terrain, où nous avons décidé de construire. C’est comme ça que j’ai atterri à Louvain-la-Neuve, il y a presque 40 ans". "Les étudiants étaient déjà là, on a vu des familles arriver et la ville se construire peu à peu, comme l’Esplanade (centre commercial) qui nous inquiétait un peu au début".
D’autres séniors viennent à Louvain pour les facilités qu’offre la ville. À côté de Chantal se trouve sa maman. Jeune néolouvaniste, Marie-Anne fait le choix de venir y habiter même elle n’a "pas choisi Louvain-la-Neuve en tant que telle, mais bien cette maison qu'(elle) connaissait déjà".
L’aspect piétonnier de la ville reste un atout pour elle, mais aussi pour sa fille Chantal : "Ici, les habitants peuvent tout faire à pied. Je viens en ville à vélo, ou à pied, je prends mon caddie pour les courses mais en tout cas jamais la voiture pour aller dans le centre. Et il y a la gare, les bus, pour quelqu’un qui n’a pas de voiture il y a tout ce qu’il faut à Louvain. La ville est centrale, on est tout de suite à Bruxelles ou ailleurs".
Elle s’adresse ensuite à sa maman : "Tu peux marcher jusqu’ici (au parc) sans avoir le danger de traverser des grands boulevards, comme dans d’autres villes", ajoute-t-elle. Marie-Anne se déplace encore, mais à l’aide d’une tribune : "Ce côté piéton de la ville est pratique, même si je ne sais plus marcher beaucoup". "J’ai même revendu ma voiture, je l’ai gardée que les 3 premiers mois. Je marchais encore beaucoup à l’époque".
De nouveaux horizons à Louvain-la-Neuve
Des habitants extra-ordinaires font aussi partie de cette fresque louvaniste. De nombreuses associations pour personnes porteuses de handicap y sont implantées. Des résidences, mais aussi des logements supervisés, des centres de jour et même des écoles.
L’école fondamentale de l’association Escalpade a ainsi été créée en 1999 pour répondre à l’inexistence en Brabant wallon d’établissement scolaire répondant aux besoins des enfants atteints de lourdes déficiences physiques. Située près du lac, elle accueille ces enfants dans des classes respectant le rythme scolaire de chacun. Et les 64 élèves ne sont pas oubliés l’été. L’Escalpade organise des stages adaptés dans ses locaux : "Il existe peu voire pas d’autres stages de ce type en Wallonie. Nous fonctionnons sur base de binômes animateur/enfant, pour éviter que le stage ressemble à une garderie. Une dizaine d’enfants sont au total accueillis dans les locaux de notre école, un milieu connu et adapté pour eux". La coordinatrice générale des stages Martine Mortelmans nous signale que de par leur rareté, ces stages sont rapidement complets.
Plusieurs thèmes étaient proposés pour cet été : cirque, art ou ferme et nature… "Louvain-la-Neuve apporte quelque chose de différent. L’accès aux activités y est facile. Les déplacements se font à pied, de par la zone piétonne dans le centre. Les enfants sont poussés par les animateurs, et peuvent accéder à Louvain-la-Plage, des promenades, ou à une ferme équestre à deux pas".
L’Escalpade intègre "son message positif" dans cette ville si particulière, et à l’écoute des besoins liés au handicap moteur selon Martine Mortelmans : "Nous sommes très bien accueillis en ville. Les habitants sont prêts à aider. Chaque année, il y a des améliorations des chemins. Des groupes de réflexion existent dans les quartiers pour relever les points de la ville qui posent problème par rapport aux PMR (personnes à mobilité réduite)".
Les étudiants participent aussi au projet. Harold est bénévole pendant l’année scolaire : "J’accompagnais les professeurs dans leurs activités. Dessins, écriture, jeux de société en classe, ou des balades autour du lac avec les enfants. Leur école est comme un 'petit village' pour eux, idéalement pensée, avec une ambiance très chouette et même unique".
L’Escalpade dispose aussi d’une école secondaire à Limal depuis 2009, et a ouvert en 2016 un centre de jour pour adultes atteints de déficiences physiques de grande dépendance à Louvain-la-Neuve.
Autre association présente sur le campus, Horizons neufs s’adressent eux à un public essentiellement adulte. Leurs services adaptés sont répartis dans l’ensemble de la ville, notamment 3 résidences pour adultes porteurs d’une déficience mentale modérée à profonde.
Pour ces résidents, l’été est synonyme de repos et de vacances. Le centre d’activités de la Baraque est en effet fermé en juillet, et le tri de bouchons, la table d’Autres (d’hôtes) ou le Baratroc reprendront dans quelques semaines. En attendant, l’été s’alterne entre retour en famille, voyage en Ardenne et promenades en ville.
A Louvain-la-Neuve, les résidents d’Horizons neufs sont bien connus. Pour certains présents depuis près de 40ans, ils sont eux aussi des pionniers de la ville. Ils en connaissent bien les rues et commerçants, comme le gérant du café l’Augustin où le groupe déguste parfois un petit coca, ou comme Bernard et George, une bière sans alcool : "A Louvain-la-Neuve, on aime tout" s’exclament-ils en chœur. S’ils sortaient souvent seuls en ville avant le Coronavirus, ils peuvent depuis peu y retourner en groupe.
Depuis son transat, George avoue aimer Louvain-la-plage, le soleil et l’été plus calme, mais tout de même préférer lorsque "le sable est enlevé de la Grand-Place, et que les étudiants reviennent", pour "faire des fêtes et des activités avec eux" ajoute Bernard.
D’autres comme Anne-Marie préfèrent "aller se promener le dimanche", souvent avec Benoit qui part volontiers en vadrouille dans la ville pour glaner des dessins et papiers en tous genres.
Ces associations liées au handicap sont loin d’être les seules présentes sur le campus. Sont notamment installées, la communauté de l’Arche, les activités de "loisirs différents" par l'ASBL Gratte, l’école des Fantastiques, les logements supervisés de l'ASBL Côte-à-Côte, et bien d’autres… Dans cette ville reconnue "accessible pour tous" par le label européen EDEN (European Destinations of Excellence) en 2013.
Beaucoup de bâtiments, mais pas de toit pour tous
Les habitants les moins visibles de Louvain-la-Neuve sont peut-être ceux qu’on voit le plus dans les rues. Ces personnes parfois sans domicile, en situation d’exclusion ou de vulnérabilité socio-économique bénéficient d’un centre d’accueil de jour.
C’est le projet de "Un Toit un Cœur" ou UTUC, unique en Brabant Wallon par son partenariat entre habitants et étudiants de trois kots-à-projet et par l’accueil des chiens accompagnant leurs maîtres. Stéphanie Seutin, coordinatrice sociale, nous parle des débuts de l’association en 2008 : "L’UTUC n’a pas de suite été bien accueillie par la population. Les gens ne veulent pas près de chez eux d’un centre d’accueil de ce type. Ils ont peur du bruit, des bénéficiaires qui traînent devant ou dorment non-loin car se sentent en sécurité à proximité du bâtiment". Encore aujourd’hui, l’UTUC connaît pour ces raisons des difficultés à trouver un bâtiment stable en ville. Ses locaux sont des préfabriqués déposés de manière provisoire sur un ancien parking. L’association cherche à trouver un bâtiment à louer ou acheter à Louvain-la-Neuve, pour garder la proximité avec leurs bénéficiaires et éviter de se retrouver "à la porte".
Les bénéficiaires de l’UTUC sont principalement de Louvain-La-Neuve, explique la coordinatrice sociale :" S’ils ont un domicile, il est souvent insalubre ou un squat. Les logements sont chers ici, parfois 500 euros pour 20 mètres carrés. A ça s’ajoute parfois une polytoxicomanie, qui n’aide pas pour se présenter aux propriétaires", d’autant plus avec la forte concurrence dans les demandes avec des étudiants en recherche de logement. Le choix est souvent vite fait. "Nous les aidons dans cette recherche difficile de logement, et apportons un soutien aux personnes en demande. L’action est bien sur base volontaire, et la demande doit venir d’eux. Certains passent quotidiennement, pour une douche, un repas… D’autres ne viennent pas de l’été et reviennent à l’automne. Le plus gros du travail est en hiver".
Le Brabant Wallon ne dispose pas de d’abri de nuit. L’association étant le seul service d’accueil de jour de la province, elle oriente également vers les maisons d’accueil. Cette association est "finalement représentative de la population" pour Stéphanie Seutin :"L’UTUC est basée sur ce triangle travailleurs, bénévoles et étudiants", les bénévoles étant pour la plupart des séniors habitants sur place.
Et le reste de l’année ?
Quand septembre arrive, les étudiants reviennent. Louvain-la-Neuve redevient alors hybride, composée d’environ 10.000 habitants et 11.000 étudiants. Le président de l’Association des Habitants de Louvain-la-Neuve, Sébastien Combéfis, revient sur ce lien entre habitants et étudiants : "D’un point de vue global, tout se passe très bien. Des éléments ponctuels peuvent toutefois avoir lieu : des nuisances sonores, des problèmes de propreté… Qui ne sont pas toujours à l’origine des étudiants. Et les personnes extérieures pensent souvent que c’est le cas". De nombreux jeunes de la province viennent aussi les vendredis faire la fête sur le campus.
Celui qui est aussi habitant de Louvain-la-Neuve ajoute que : "pendant l’été, certains habitants sont heureux de retrouver une ville ou ils sont majoritaires. Le rythme est différent, la population aussi. Avant, la ville était surnommée "Louvain-la-morte" l’été sans l’Esplanade (ouverte en 2005), ou Louvain-la-Plage qui ont redonné de l’attractivité à la ville l’été, ou sans les activités des kots-à-projet".
Les kots-à-projet sont des associations étudiantes menant des projets sur le campus pendant l’année scolaire. Cyprien Lahaise est l’ex-président externe de l’Organe des kots-à-projet, réalisant le lien entre les près de 80 KAP’S, l’université et les habitants et faisant la promotion de leurs activités :" Les kots-à-projet vivent de ces liens. A peu près tous les thèmes sont abordés, et touchent presque l’ensemble des habitants de la ville. Handicap, séniors, enfants… Et culture, musique, sport ou théâtre, tous s’y retrouvent. Un des critères de reconduction du kot est d’ailleurs ce qu’il apporte à la ville. La plupart des activités sont ainsi ouvertes au public, mais elles sont souvent méconnues. Nos canaux de publicités sont principalement les réseaux sociaux. Ils ne touchent pas toujours les habitants, même si nous tentons de les élargir en apposant par exemple des affiches en ville".
Ce problème de communication est aussi constaté par le président de l’association des habitants : "Faire le relais est difficile. Nous aimerions aussi avoir plus d’étudiants à nos événements, comme nos cinés cocktails qui ne les touchaient pas vraiment. Nous comptons aussi travailler sur ces liens à l’avenir".
Ce caractère hybride, "c’est ce qui fait la beauté de Louvain-la-Neuve" pour Cyprien Lahaise. "La particularité de cette ville est qu’elle est universitaire, à majorité étudiante, et elle doit le rester. Mais des familles, des enfants, des séniors y habitent… Nous devons nuancer et respecter les gens qui y habitent. Eux doivent en retour avoir conscience de cette particularité. C’est l’art du vivre ensemble. Aucun n’a de priorité, mais nous vivons en alchimie".