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L’ouverture du canal de Panama a 109 ans : scandale financier français et indépendance appuyée par les Américains

L'oeil dans le rétro

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Le 10 octobre 1913, il y a 109 ans, avec l’explosion de la digue de Gamboa commandée par le président Wilson, s’achevait un travail qui allait changer la face du continent américain : le percement du canal de Panama. Retour sur un chantier colossal passé des mains françaises au pavillon américain, des pots-de-vin au coup d’État.

Pharaonique : c’est sûrement l’adjectif qui correspond le mieux au canal de Panama, en référence aux impressionnants temples et aux pyramides d’Egypte.

Par contre, chacun sait que les chantiers pharaoniques se terminent rarement dans les temps et coûtent beaucoup plus chers que prévu… Pour le canal de Panama on peut le chiffrer : plus de 25 ans entre la date annoncée et le premier passage d’un bateau. Et il aura causé d’abord à Paris un scandale politico-financier retentissant et ensuite provoqué au Panama un coup d’État avec la complicité des États-Unis.

Un scandale politico-financier qui entache même la réputation de Gustave Eiffel

De quel scandale politico-financier parle-t-on ? Il sera à la mesure des espoirs déçus et des fausses promesses. Celles du promoteur du projet, Ferdinand de Lesseps qui jouissait d’un immense prestige puisqu’il avait construit le canal de Suez.

Percé en 1869 entre la Méditerranée et la Mer rouge, il permet encore aujourd’hui aux navires de faire le tour de l’Afrique pour relier l’Europe à l’Asie. Réaliser un canal au Panama, c’est permettre de relier l’Atlantique au Pacifique en évitant de naviguer jusqu’au cap Horn tout en bas de l’Argentine. En 1879, de Lesseps promet un canal à niveau, comme à Suez, autrement dit sans écluse. "J’ai fait Suez, je ferai Panama" affirme-t-il au lancement de sa compagnie. L’enthousiasme est général et convainc des centaines de milliers d’épargnants d’acquérir des actions pour financer le projet.

Sauf que sur place le chantier s’avère bien plus complexe que prévu : la fièvre jaune décime les ouvriers et les cubages de terre à déblayer ont été largement sous-évalués.

Autrement dit il faut de l’argent, énormément, bien plus que prévu. Et comme à Paris le doute commence à s’installer dans les milieux économiques et politiques sur la viabilité financière, la compagnie de Panama va dépenser sans compter. En publicité, mais cela ne suffit plus. On passe dès lors aux pots-de-vin et pour vaincre les résistances, on offre des millions à des intermédiaires pour trouver de l’argent. Et pour autoriser des opérations financières toujours plus risquées, on arrose des dizaines de parlementaires. Mais comme un train lancé à toute allure dans un tunnel sans issue, la compagnie de Panama s’enfonce toujours plus vers la faillite. Par ailleurs, en 1888, après 8 ans de travaux et d’études en tous sens, de Lesseps finit par accepter de revoir le projet : il faudra bel et bien des écluses et pour les construire, on appelle Gustave Eiffel qui vient de terminer sa célèbre tour. Et il monnaie très cher sa contribution au projet.

Après toutes ces dépenses, la compagnie de Panama est contrainte au dépôt de bilan et l’enquête judiciaire révèle bientôt l’ampleur du désastre. Le scandale est énorme. Il aboutira à des condamnations judiciaires, y compris d’ailleurs de Gustave Eiffel. Le scandale de Panama a lieu au même moment que l’affaire Dreyfus et va contribuer à développer l’antisémitisme car parmi les intermédiaires impliqués dans la corruption, il y a des financiers étrangers et juifs. Bref, ce projet pharaonique a débouché sur fiasco.

Un siècle de domination américaine

Pourtant une jeune nation en plein développement aurait bien besoin d’aboutir au projet : avec un canal à Panama, il faudrait trois fois moins de temps pour aller de New York à San Francisco.

Les Etats-Unis vont donc se lancer eux-mêmes dans la construction du canal mais il y a un hic : à l’époque, Panama fait partie de la Colombie, et celle-ci n’est pas très encline à les accueillir.

Qu’à cela ne tienne. Il y a à Panama des indépendantistes. Les Américains sont prêts à les soutenir discrètement, et en échange ils vont prendre possession de la zone du futur canal. Ainsi, Panama accède à l’indépendance en 1903 et dix ans plus tard, le 10 octobre 1913 le canal est enfin percé, avec des écluses, tel qu’imaginé par Eiffel. Le canal devient d’un intérêt commercial et militaire majeur pour les États-Unis qui en conserveront la souveraineté durant tout le XXe siècle. Elle n’a été rendue au Panama qu’en 1999.

On teste les écluses du canal de Panama à Gatun locks, le 26 septembre 1913.
On teste les écluses du canal de Panama à Gatun locks, le 26 septembre 1913. © PhotoQuest/Getty Images

Les défis du canal de Panama au XXIe siècle

Preuve de l’importance du canal : il vient récemment d’être élargi pour permettre aux grands porte-containers de le traverser.

C’est-à-dire les panamax comme on dit dans le monde de la navigation pour désigner la taille maximale compatible avec la traversée du canal de Panama, comme on parle de SuezMax pour le canal de Suez. Le canal de Panama fait 76 kilomètres de long avec de nouvelles écluses et des lacs artificiels qui suscitent aussi des inquiétudes environnementales. Il faut 9 heures pour le traverser mais vous pouvez compter deux fois plus en raison de l’attente avant d’y entrer, preuve que le trafic y reste très important. Au point d’ailleurs de faire naître de nouveaux projets comme celui du canal du Nicaragua : trois fois plus long que celui de Panama, son coût a été estimé à 40 milliards d’euros.

Malgré une forte opposition scientifique et écologique, les travaux ont été lancés en 2014 par un milliardaire chinois, Wang Jing mais celui-ci a perdu presque toute sa fortune dans un krach financier et plus aucun coup de pioche n’a été donné depuis six ans.

Retour en arrière : que l’on soit à la fin du XIXe ou au début du XXIe, les projets pharaoniques tombent fréquemment sur les mêmes embûches, faute sans doute d’avoir intégré le proverbe : "Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise…"

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