"Moi je suis conseillère communale depuis 2006, à Bruxelles-Ville, qui est la plus grande municipalité du pays. Donc, je suis une femme politique et je suis aussi une servante de Dieu. Je suis chrétienne. Je sers Dieu depuis mon enfance. Dans la chorale, je chante, je dirige aussi." Voilà comment se présente Lydia Mutyebele, toute nouvelle échevine bruxelloise, le 13 septembre dernier, dans une vidéo pour la chaîne Youtube "The Prophetic Lady TV".
A cette période, les discussions politiques fédérales sont encore dans l’impasse, le nouveau gouvernement n’est pas encore en place, Karine Lalieux (PS) n’a pas encore été désignée ministre. Mais depuis ce jeudi, c’est fait. Place au jeu de chaises musicales politiques à la Ville de Bruxelles. Karine Lalieux est remplacée au poste de présidente du CPAS par Khalid Zian et ce dernier est remplacé par Lydia Mutyebele à l’échevinat du Logement, du patrimoine et d’égalité des chances. Lors des communales de 2018, Lydia Mutyebele avait récolté 891 voix. Un score, le 14e de la liste PS, qui n’est pas le plus significatif en termes de poids électoral. Mais voilà, c’est Lydia Mutyebele qui a été choisie par les instances PS locales.
Martin Mutyebele, figure des églises pentecôtistes
Mais qui est Lydia Mutyebele ? C’est la fille de Martin Mutyebele, pasteur chrétien pentecôtiste, figure des églises africaines en Belgique et de la diaspora congolaise. En 1985, cet ingénieur civil fonde La Nouvelle Jérusalem sur les bases de l’Assemblée africaine de Bruxelles, émanation chez nous de la Church of God américaine.
La Nouvelle Jérusalem va grandir considérablement et compter des milliers de fidèles. "L’église-mère se situe à Bruxelles. L’église La Nouvelle Jérusalem a donné naissance à une trentaine d’églises réparties essentiellement sur tout le territoire belge, mais aussi en Allemagne, en France, en Russie, aux États-unis et en République démocratique du Congo", indique le site officiel.
Décédé en août 2019, celui-ci a eu six enfants avec Rosiane Ngoi dont Lydia. Née en 1978 à Lubumbashi, Lydia effectue des études de droits à l’ULB assorties d’un diplôme en droit international. Inscrite au barreau de Bruxelles, elle travaille chez Avocats sans frontières et dans une ASBL de lutte contre les mutilations génitales. Puis, au milieu des années 2000, elle rejoint des cabinets politiques, dont celui de l’échevin Georges Dallemagne puis de Bertin Mampaka (depuis passé au MR). Car à l’époque, Lidya Mutyebelle est cdH. Ses inspirations d’alors se nomment Bertin Mampaka qui fréquente la même église et la présidente et cheffe de file du cdH à Bruxelles, Joëlle Milquet.
"Le cdH est un parti dynamique qui veut booster les jeunes, les nouvelles personnalités. Et le fait d’avoir travaillé avec Bertin, avec Joëlle a été le phénomène d’inspiration. J’ai donc été sollicitée pour occuper la septième place aux élections sénatoriales", dit-elle dans une interview à congoforum et reprise sur un blog.
Nous sommes donc en 2007. Celle qui est conseillère communale depuis 2006 et siège dans divers ASBL de la Ville se présente au Sénat (septième place). Son programme : solidarité, droits des femmes, lutte contre les discriminations… Elle n’est pas élue.
Rappelons qu’en 2006, une polémique naît au conseil communal. Le MR l’accuse, ainsi que d’autres nouveaux élus cdH, d’être domiciliés fictivement sur le territoire de la Ville. Lydia Mutyebele annonce qu’elle va porter plainte. L’affaire s’éteint.
Départ du cdH vers le PS
2010, place aux législatives, toujours au cdH. Nouvel échec. Mais en 2012, c’est la bisbrouille. Lydia Mutyebele ne se sent plus à l’aise chez les humanistes et part au PS, qui recherche également des figures issues des communautés subsahariennes. La nouvelle recrue ne fait cependant que 514 voix aux communales et se console en tant que conseillère CPAS.
Elle se console aussi dans la religion. Fervente chrétienne, pratiquante, active au sein des paroisses, elle rappelle dès que cela est possible son engagement spirituel et ses parents pour modèles. Sur Internet, on retrouve de nombreuses vidéos dans lesquelles elle s’adresse à ses coreligionnaires. "On est venu ici pour louer le Seigneur. Et moi je suis l’adoratrice", introduit-elle dans l’une d’elle tournée en 2012 dans une église.
Elle termine par ces mots : "Il faut consacrer sa jeunesse à Dieu. Je ne peux rien dire de plus. J’ai consacré ma jeunesse à Dieu. Je lui ai donné tout mon temps, je lui ai donné toute ma disponibilité, je lui ai donné tout mon cœur. Qu’importent les influences extérieures, qu’importent mes occupations extérieures, ma priorité c’est le Seigneur."
Je demande aux chrétiens de ne pas m’oublier demain
En 2014, nouvelle vidéo cette fois en vue des régionales bruxelloises, sur la chaîne www.yahveTV.com. Titre : "Message de Lydia Mutyebele au chrétien de Bruxelles". Elle porte un discours politico-religieux et rappelle qu’elle est la fille de Martin Mutyebele. "Je suis servante de Dieu. Je sers mon Dieu par le chant. […] Je le sers également en politique. Tout le monde ne peut pas être pasteur. Le Seigneur nous utilise d’une manière ou d’une autre. Et le Seigneur a voulu m’utiliser dans la politique."
Elle ajoute : "Le dimanche, on va voter et je suis candidate sur la liste du Parti socialiste […]. C’est important d’avoir des chrétiens en politique, des chrétiens qui connaissent Dieu et qui le servent en esprit et en vérité."
Elle insiste : "Je veux porter la voix des chrétiens là où je serai. […] Demain, j’ai besoin de 3500 voix et je sais qu’à Bruxelles, il ne manque pas 4000 chrétiens qui servent Dieu en esprit et en vérité et qui vont dire que, voilà, nous, nous avons choisi de mettre une des nôtres là. […] S’il vous plaît, demain, quand vous allez voter, ne m’oubliez pas ! Je suis 47e sur la liste du Parti socialiste. On peut voter pour plusieurs candidats. Mais moi je demande aux chrétiens de ne pas m’oublier demain."
A l’époque, la vidéo ne fait pas de vague, dans un PS tiraillé par des questions liées à la laïcité et de communautarisme. Le principe de laïcité, de la séparation stricte de l’église et de l’Etat, est par contre devenu un élément central du programme DéFi. En 2017, Lydia Mutyebele retrouve un siège au conseil communal après la démission de Pascale Peraïta. Fabian Maingain, de l’opposition, ressort la vidéo de campagne.
Sur Facebook, il tacle les socialistes : "La nouvelle ligne laïque de la majorité PS-MR de la Ville de Bruxelles et de son futur bourgmestre" Philippe Close ? Cocasse : Fabian Maingain fait aujourd’hui partie d’une majorité PS-Ecolo-DéFI à la Ville de Bruxelles. Lydia Mutyebele devient donc sa collègue au collège.
Les convictions religieuses de la nouvelle échevine sont toujours vivaces. Elles les partagent publiquement comme le montre l’interview du 13 septembre dernier, évoquée en introduction, réalisée dans un contexte personnel particulier. Lydia Mutyebele a vécu trois deuils en peu de temps dont celui de sa mère pendant la crise sanitaire du coronavirus. Un drame dans cette famille soudée.
Les sensibilités chrétiennes profondes sont assumées, même quand on milite dans un parti historiquement anticlérical. L’an dernier, pour le média en ligne Média Plus Télévision et juste avant les régionales, Lydia Mutyebelle se souvient des remarques lors de son passage au PS, parti "ouvert à tous" selon elle. "C’est vrai que de part mon origine culturelle, on me disait : 'Mais non, au Parti socialiste, ils n’aiment pas les chrétiens !' Il y avait beaucoup de gens qui avaient des appréhensions. Et en militant au Parti socialiste, je me rends compte que c’est faux. […] Il y a des musulmans, il y a des chrétiens, il y a des laïques. Et chacun a vraiment sa place et chacun peut porter les projets qui lui correspondent."
Philippe Close, le bourgmestre, est du même avis. Il n’y a pas d’incompatibilité entre les deux facettes de Lydia Mutyebele, échevine et "servante de Dieu". "Nous avons plein de croyants au PS. On peut croire en Dieu et militer au PS. Et c’est un laïque qui le dit". "Pas de souci" non plus juge Ahmed Laaouej, président de la régionale bruxelloise du PS qui se demande si certains ne veulent pas en arriver à supprimer une "des libertés fondamentales garanties par la Constitution : le droit d’avoir la religion de son choix".
Nous sommes là pour tous les Belges
On le sait : les socialistes sont régulièrement traversés par plusieurs courants entre les tenants d’une neutralité stricte et ceux en faveur d’une autre plus inclusive. Le débat a refait surface ces dernières semaines avec l’adoption par la commune de Molenbeek d’un texte autorisant le port de signes religieux dans les services de l’administration communale. Par signes religieux, il faut principalement entendre le foulard islamique. Le débat a fait surface dans la commune après l’arrêt de la Cour constitutionnelle validant l’interdiction du port du voile dans une haute école de la Ville de Bruxelles, décision saluée par des membres socialistes du collège du bourgmestre Philippe Close.
Dans un autre registre, la polémique, en janvier dernier, ayant conduit à l’exclusion d’Emir Kir a également tendu l’ambiance dans les rangs socialistes autour du rapport de certains élus à leur communauté d’origine.
En tout cas, retour et mot de la fin pour Lydia Mutyebele. Dans l’entretien accordé à Media Plus, elle dit ceci : "Nous sommes là pour tous les Belges, qu’importe leur origine, sociale, culturelle, professionnelle. Je serai l’élue de tous les Belges. Maintenant je m’adresse à ma communauté. Je suis Belge et d’origine congolaise et je ne peux pas le nier. On n’a pas assez de mandataires d’origine africaine qui peuvent porter certaines choses qui nous tiennent à cœur. […]"