Mais ce chef de communauté est tiraillé.
"Comme dirigeant, je suis obligé de rapporter ça aux autorités… J’ai téléphoné aux gardes-frontières pour les informer qu’il y avait des migrants parce qu’évidemment, tu ne sais pas ce qu’il y a dans la tête de chaque personne qui entre sur le territoire… On a peur que le flux devienne important, on est un petit village, et de ce que certains réfugiés pourraient avoir en tête."
Rêver d’Europe, terré en forêt
Chez Ewa, c’est le thé qui est amené à table. Parce que ça tient chaud dans cette zone forestière où le soir est tombé et parce que ça tient éveillé quand la nuit est longue. Comme la nuit dernière : Ewa avait quitté sa maison après avoir été avertie de la présence, quelque part dans les bois, d’une famille en difficulté avec un bébé. Dans son sac à dos : de la soupe, de l’eau, des céréales, des bandages.
Pendant plus d’une heure, elle a progressé difficilement dans l’obscurité, guidée par les pleurs du bébé. Puis elle soudain réalisé qu’elle ne pourrait pas le rejoindre, parce que les pleurs venaient désormais… De l’autre côté de la frontière. Le bébé et sa famille se trouvaient à nouveau en Biélorussie. Elle a alors déposé dans le bois le colis de nourriture et est rentrée chez elle, vidée comme son sac à dos.
"C’est encore un cas clair de refoulement", dit-elle, avant d’entamer le récit d’une autre rencontre.
"C’était un groupe de 10 hommes… Gelés. Ils étaient tout mouillés. Ils avaient des sandales ou des chaussures cassées. Et ils étaient très effrayés. Nous avons passé quelques heures avec eux à écouter leurs histoires".
Certains, explique-t-elle, disent avoir pris un avion à Istanbul, direction la Biélorussie : il y a une connexion aérienne Istanbul-Grodno, ville biélorusse proche de la frontière. Ils viennent d’Irak, d’Afghanistan, de Syrie ou encore d’Afrique subsaharienne. Impossible de savoir combien ils sont. Les autorités polonaises font état de 1200 arrestations et 8200 tentatives déjouées d’entrer sur le territoire. Mais il peut y avoir plusieurs tentatives comptées pour une seule personne:
"Ils nous disent souvent avoir été refoulés vers la Biélorussie, pour certains 2 fois, 5 fois, ou même 17 fois ! Nous observons que c’est commun d’être refoulé."
Après un refoulement, explique cette habitante, l’histoire se répète. Ces migrants n’étant pas les bienvenus en Biélorussie non plus, ils ne tardent pas à repasser les barbelés vers la Pologne pour y guetter une issue favorable : parvenir à sortir de la zone (une gageure vu le déploiement de forces de l’ordre), trouver un avocat qui les aiderait à entamer une demande d’asile. Le temps qu’une ouverture se dessine, ils attendent cachés dans les bois, sans matériel ni nourriture.
"Ma région est devenue un piège" estime cette habitante.
Soutenir ou bien signaler les migrants
La maison d’Ewa est encombrée de dizaines de colis : des pulls, des chaussures, de la nourriture et des sacs de premiers soins.