Cela paraît dingue quand on y pense, mais en deux ans et demi de présidence des deux hommes, ils n’avaient jamais débattu face à face. On les a vus ensemble sur des plateaux télé, mais jamais seul à seul. Et ce, alors qu’ils s’envoient régulièrement des petites joyeusetés par presse interposée. Ce face-à-face, c’était donc une première, organisée par deux groupes d’étudiants, les libéraux et les socialistes de l’université Saint-Louis.
Guère d’étincelles
Le débat n’a pas donné lieu à de grandes lyriques. Ce n’était même pas un tour de chauffe avant le départ d’un Grand Prix de Formule 1, non, c’était les essais libres. Vous savez, on sort la voiture, on teste un peu la piste, les pneus, le moteur, on n’y va pas à fond. Chacun des deux hommes pouvait s’exprimer, sans être interrompu vu les soucis techniques des micros, ça tombait bien. Les deux présidents ont donc eu du temps pour développer leurs idées de façon assez claire. C’était relativement convenu, mais les deux hommes avaient des postures différentes : GLB était très sérieux, avec des chiffres, très responsable, "réaliste", comme il le disait lui-même. Paul Magnette a aussi pris l’exercice au sérieux mais il était aussi là pour rire, s’amusant à compter les soi-disant "convergences" entre libéraux et socialistes. La socialiste a vite compris qu’il était, certes, dans un environnement qu’il maîtrisait, un auditoire face à plusieurs centaines d’étudiants, mais le public lui était majoritairement hostile. C’est que, comme m’expliquait un étudiant libéral, St-Louis, c’est à droite, et je cite, "Georges-Louis Bouchez jouait à domicile". Un petit sondage au début, les votes à main levée ensuite ont montré que le président libéral était clairement le plus plébiscité avec environ deux tiers de la salle acquis à sa cause.
Du fond, quand même
Ce sont les étudiants qui ont choisi les thèmes et les questions. En économie, il a surtout été question de l’allocation universelle. Il y avait une thématique immigration où il a été question de Molenbeek, bon, mais aussi du cordon sanitaire. Le réchauffement climatique, l’énergie et des questions d’enseignement supérieurs ont été aussi abordés en fin de débat. Paul Magnette a été assez percutant sur l’allocation universelle, qu’il combat désormais, lui qui en 2016 disait pourtant que c’était "le sens de l’histoire". Georges-Louis Bouchez a été très convaincant sur le nucléaire et la sécurité d’approvisionnement. Le débat s’est nettement durci sur le cordon sanitaire, on sent les deux présidents tendus sur la question. Au final, c'était assez équilibré, chacun a eu sa mi-temps, même si à l’applaudimètre, c’est le Montois qui l’a emporté.
2024
Est-ce que ce débat préfigure déjà le scrutin de 2024 ? Pas nécessairement. Deux ans, c’est très long en politique. On verra d’abord si les deux hommes seront prolongés à la tête de leur parti respectif, l’an prochain. Cela ne devrait pas poser de problème au PS. En face, on verra si une personnalité voudra s’opposer à Georges-Louis Bouchez, rien n’est moins sûr. Et puis, c’est évidemment impossible de prévoir ce que seront les grands axes de ce futur méga scrutin. Hier soir, la fiscalité, les finances au sens large, l’économie n’ont pas vraiment été évoqués. Ni, non plus, les enjeux communautaires, ce qui aurait valu une passe d’armes intéressante entre le belgicain Bouchez et Magnette qui travaille à une recomposition du paysage institutionnel francophone, avec dans le viseur le sort de la Fédération Wallonie-Bruxelles dont on a fêté les 50 ans l’an dernier et dont il serait présomptueux de parier sur un chouette anniversaire des 60 ans. Au final, le choc des titans n’a pas provoqué de révélations particulières : l’un avait plus envie que l’autre de se bagarrer, ce dernier l’a joué plus tranquille que l’autre, se sentant en terrain hostile, bref la rencontre n’a pas débouché sur une explosion d’étincelles. Mais c’était une première mise en jambes publique, bien éloignée, sur la forme, des missiles que les deux hommes s’envoient habituellement. De quoi, aussi, relativiser quelque peu la pertinence de certaines déclarations tapageuses de l’un ou de l’autre. Reste qu’en tout cas, la salle était soldout, avec un public très bigarré, avec pas loin d’une parité homme femme, à vue de nez. Observer plusieurs centaines de jeunes enthousiates passer une soirée dans un auditoire (trop chaud) à écouter religieusement deux personnalités politiques, c’était quand même une sacrée bonne nouvelle. Et rien que pour ça, la soirée d’hier en valait la peine, et en appelle, évidemment, bien d’autres.