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Mais qui es-tu, Yves Tumor ?

Un nouvel album pour Yves Tumor : de plus en plus fort.

© Jordan Hemingway

Par Nicolas Alsteen via

Personnage transgenre et gentiment transgressif, Yves Tumor interroge le réel et remet en cause notre perception du monde sur un album niché à la lisière du R&B, du rock shoegaze et de l'électro. Au-delà des cases et des kits de rangement traditionnellement fournis par l'industrie musicale, Yves Tumor préconise le hors-piste : une pratique dangereuse, mais incroyablement excitante.

Signé sur l'influent label Warp (Flying Lotus, Aphex Twin, Broadcast), le nouvel album d'Yves Tumor s'intitule "Praise a Lord Who Chews But Which Does Not Consume ; (Or Simply, Hot Between Worlds)". Déjà en lice pour une victoire au saut en longueur lors des prochains JO, ce titre kilométrique donne, d'emblée, une brève idée du chantier à venir... Chargé de questions existentielles, de réflexions sur l'apparence, l'appartenance et les croyances, le quatrième essai de l'artiste américain s'appuie sur toutes les recherches entamées, en solitaire, au cours des dernières années. Dans son laboratoire, inauguré en 2015, Yves Tumor confectionne d'étranges parfums R&B, s'essaie à des expériences psychédéliques, se risque à des tests de résistances électroniques et n'est jamais à l'abri d'explosions bruitistes. Fourré dans un accélérateur de particules, tous ces éléments brûlent à présent au cœur d'un projet hybride et totalement débridé.

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Mykki va là

Arrivé sur Terre, à Miami, dans la peau de Sean Bowie, Yves Tumor s'est construit un personnage à part au contact de Mykki Blanco. Rencontrée sur les bancs de l'école, du côté de Los Angeles, cette figure phare de la scène queer lui a ouvert les yeux sur la vie et la musique. Inspiré.e par le hip-hop, l'énergie punk et les revendications du mouvement Riot grrrl, Mykki Blanco brouille allégrement les pistes, questionne ouvertement les genres et touche à tous les styles. C'est sur cette base pluridimensionnelle qu'Yves Tumor s'invite dans le paysage musical. Affublé d'une camisole de force, l'artiste se fait d'abord un nom sur la scène noise et expérimentale, transgressant volontiers les codes de l'électro et du R&B. Depuis, l’artiste entrevoit chaque album comme une occasion de repousser le champ des possibles. Son dernier essai ne fait pas exception à la règle...

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Touffu et très fou

Avec son quatrième album studio, Yves Tumor s’enfonce un peu plus loin encore dans la forêt : une jungle luxuriante, extrêmement vivace, où les matières se combinent et se conjuguent. À tous les temps. Passé et futur de la musique convergent ainsi, en harmonie, vers un disque touffu, mais surtout très fou. Souvent hantés par le fantôme de Prince, les douze morceaux proposés par Yves Tumor explorent des thèmes intimes, sans jamais renoncer à l’universalité. Ouvertes d’esprit, touche-à-tout, les chansons de ce nouvel album empruntent généralement plusieurs routes pour atteindre la même destination. C’est parfois déstabilisant mais, à l’arrivée, au fil d’écoutes répétées, cela rend le voyage d’autant plus passionnant.

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Un bric-à-brac très chic

À des années-lumière des prétentions expérimentales des débuts, Yves Tumor vise désormais les sommets. Sa nouvelle tournée démarre d’ailleurs par une "petite date de chauffe" du côté de Coachella. Cela étant, cette volonté de toucher les foules, de gravir une marche supplémentaire vers la célébrité, n'affecte jamais sa créativité. Chaque morceau est même un prétexte pour prendre davantage de risques et rassembler les communautés, au-delà des cercles circonscrits. Sur son nouvel album, Yves Tumor s’approprie ainsi des idées chipées chez d’autres explorateurs sonores. L’introductif "God Is A Circle" rappelle les tours de force de TV On The Radio, le refrain de "Lovely Sewer" évoque la figure de Florence + The Machine, les guitares de "Meteora Blues" convoquent le savoir-faire de Deftones, la sensibilité de "Parody" renvoie inévitablement à Frank Ocean, tandis que le tourbillon électronique de "Purified By The Fire" est, nécessairement, un clin d’œil aux échantillonnages déments de The Avalanches. Dans ce bric-à-brac de références éclectiques, Yves Tumor parvient – et c’est toute la magie de son album – à établir une cohérence d’ensemble, jusqu’au final ultra cinématographique emmené par "Ebony Eye" et ses cordes magistrales.

 

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Duo de choc

Pour assembler toutes les pièces de son nouveau puzzle, Yves Tumor s’est tourné vers deux magiciens des studios d’enregistrement. À commencer par Noah Goldstein, producteur du "Motomami" de Rosalía, mais également aperçu dans les coulisses d’albums décisifs. À l’œuvre chez Frank Ocean ("Blonde"), Anohni ("Hopelessness"), Kanye West ("My Beautiful Dark Twisted Fantasy") ou FKA Twigs ("Magdalene"), l’ingé-son maîtrise son sujet et répond aux exigences de fortes personnalités. Côté mixage, Yves Tumor confie ses idées composites à Alan Moulder, expert des maelströms super soniques (My Bloody Valentine, Nine Inch Nails). En tandem, les deux hommes font la paire.

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Questions sans réponses

Entre dissonances et harmonies, sensualité et colère sourde, Yves Tumor est à la fois le sujet et le témoin des thèmes abordés dans ses chansons. Questions spirituelles, sexuelles et existentielles se posent ainsi d’un bout à l’autre de l'album. Sans vraiment trouver de réponses à ses interrogations, Yves Tumor pousse toujours son personnage à fond. Dans "Parody", par exemple, l’artiste se lance dans une forme d’autocritique extrêmement lucide. Riche en contradictions, sa chanson démonte, avec douceur et volupté, le mythe de la pop star. Nombrilisme, égocentrisme et superficialité sont ainsi au programme d’un morceau ambigu et schizophrène à souhait. À l’image de son auteur. Assurément l’un des plus beaux mystères de la pop moderne.

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