Belgique

Malgré le régime taliban, il y a douze fois plus de demandeurs d’asile afghans refusés en Belgique ce mois-ci

Sur les 754 décisions prises en mars 2022, il y a eu 390 refus.

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Par Marie-Laure Mathot

De 32 à 390 refus : le nombre de refus de demandes d’asile d’Afghans a explosé de février à mars 2022. En cause, le CGRA, le Commissariat aux réfugiés et apatrides qui analyse les demandes d’asile, ne prenait plus de décisions sur la protection "subsidiaire" depuis août 2021. Les dossiers se sont accumulés et les décisions tombent depuis un mois. C’est la douche froide pour bon nombre de demandeurs d’asile afghans.

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© RTBF – Julie COREMANS

Au centre d’accueil des mineurs étrangers non accompagnés (MENA) de Gembloux, les jeunes Afghans sont majoritaires. "Sur les 10 résidents en kots supervisés que nous avons, huit sont afghans", explique Sarah Bodart, travailleuse sociale. Tous ont demandé à pouvoir s’installer en Belgique. La demande est analysée par le CGRA, le Commissariat général aux réfugiés et apatrides.

Si les réponses se sont davantage fait attendre que d’habitude, elles commencent à tomber. "Sur les huit, deux ont déjà eu une réponse négative. Ça veut dire qu’ils ne peuvent pas rester en Belgique. Et ils nous disent que plein de copains à eux sont refusés aussi… On a de moins en moins d’espoir pour les autres depuis que la Belgique a décidé que l’Afghanistan n’était plus en guerre et donc qu’il n’y avait pas de protection à donner", explique-t-elle, dépitée.

Des critères à réévaluer

"Ce ne serait pas correct de dire qu’on ne considère pas que l’Afghanistan est un pays en guerre", réagit Damien Dermaux, porte-parole du CGRA. "Plusieurs éléments expliquent cette augmentation du nombre de refus entre février et mars 2022. Hausse qui n’est pas du tout représentative du taux de protection octroyé aux Afghans", explique-t-il soulignant que près de la moitié des Afghans ont reçu une protection en 2021.

Premier élément d’explication : l’embouteillage. Pour comprendre, il faut remonter en août 2021. Les Américains et l’OTAN retirent leurs troupes d’Afghanistan. Les Talibans arrivent au pouvoir. La situation du pays a changé et donc, les critères d’octroi de statut subsidiaire avec. Ce statut, contrairement à celui de réfugiés (qui est définitif) donne la permission de rester un an (renouvelable) sur le territoire belge. Résultat, le CGRA statue sur certains dossiers mais pas sur d’autres : les Afghans sont soit réfugiés, soit refusés, mais il n’y a plus d’octroi de statut subsidiaire. Les dossiers sont "gelés".

"Entre fin août et mars, nous n’avons pris que des décisions d’octroi de statut de réfugié ou des décisions d’irrecevabilité pour les Afghans qui avaient déjà un statut de réfugié dans un autre pays européen, explique Damien Dermaux. Ça veut dire qu’on ne leur demandait pas de repartir en Afghanistan. Pour ceux-là, on a pris le temps de rassembler les informations." Informations qui étaient difficiles à rassembler car il y avait moins d’acteurs internationaux sur place.

Le CGRA prend finalement six mois à analyser la situation. En attendant, les entretiens continuent d’avoir lieu avec les Afghans qui ont demandé l’asile chez nous mais les décisions finales pour ceux dont le statut subsidiaire pourrait (ne pas) être octroyé sont suspendues. La pile s’accumule sur le bureau du CGRA. Et ils sont nombreux ces dossiers : 1/5e des demandes d’asile en 2021 viennent d’Afghans. C’est la première nationalité à demander l’asile chez nous l’année dernière.

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Les critères tombent finalement le 2 mars 2022 et, mauvaise nouvelle pour les milliers de migrants afghans, les critères d’octroi de statut subsidiaire sont plus stricts qu’auparavant. Résultat : 12 fois plus de refus en mars 2022 par rapport à février où les dossiers étaient encore gelés. C’est la deuxième cause de cette augmentation importante.

"Aujourd’hui, on estime que nous ne sommes plus dans le cadre d’un 'conflit aveugle' comme l’exige la définition de la protection subsidiaire. Bien sûr qu’il y a toujours des attentats, des incidents de sécurité mais qui, selon nos informations, ciblent des publics bien précis. Et ces profils-là sont reconnus par le CGRA." Mais pas les autres.

Femmes, filles, personnes LGBT, journalistes, interprètes ayant travaillé pour les forces internationales, minorités ethniques… toutes ces personnes reçoivent l’autorisation de rester en Belgique et même définitivement puisqu’ils ont le statut de réfugiés. Mais pour la plupart de ceux qui étaient en attente, c’est le refus.

"Auparavant, pour les Afghans issus de certaines provinces, en raison des combats, le CGRA estimait qu’il y avait lieu d’octroyer une protection subsidiaire aux civils qui venaient de cette région, continue Damien Dermaux. On estime aujourd’hui que la situation est plus 'calme' sur l’ensemble du territoire mais il n’en reste pas moins que la situation reste problématique et que des profils particuliers doivent bénéficier d’une protection. C’est ainsi que 207 personnes ont déjà reçu un statut de réfugiés cette année."

Une situation dénoncée par les associations de défense des étrangers, comme le Ciré. "Le gros problème de ces nouveaux critères, c’est que le taux de protection risque de descendre énormément en 2022, explique Clément Valentin, chargé de plaidoyer politique au Ciré. Or, le droit étranger est sujet à interprétation."

Pour le chargé plaidoyer, il y a un critère qui pourrait être mis en avant pour octroyer la protection subsidiaire, c’est le risque de traitement inhumain ou dégradant du ressortissant dû à la crise humanitaire que connaît le pays. Et ce, à cause de la crise humanitaire que connaît le pays. "Mais pour faire valoir ce critère, il faut que les autorités étatiques du pays, les talibans donc, soient en partie ou totalement responsable de la situation humanitaire et c’est là que c’est difficile à prouver."

Et Clément Valentin de mettre en avant une première décision du Conseil du Contentieux des Etrangers qui va dans ce sens. Une jurisprudence qui pourrait pousser le CGRA à revoir ses décisions.

Si toutes ces explications peuvent paraître un peu techniques, elles ont des conséquences concrètes sur la vie des Afghans arrivés sur le territoire belge. Comme pour les jeunes garçons qu’accompagne Sarah Bodart. "Ils ne retourneront pas en Afghanistan. Doc ils vont devenir sans papier chez nous ou bien tenter leur chance vers le Royaume-Uni." C’est déjà ce qu’a fait l’un des deux jeunes gars déboutés. "Il est à présent à Calais dans des conditions déplorables. Là-bas, il va tenter la traversée de la Manche au péril de sa vie. Il lui faut 4000 euros… qu’il n’a pas. Il va donc s’endetter avec un passeur pour pouvoir monter sur un bateau de fortune pour rejoindre le Royaume-Uni. Et il devra le rembourser une fois sur place."

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