C'est génial

Malpertuis, le livre de Jean Ray, continue de fasciner et de désorienter le lecteur

Malpertuis, le chef d'œuvre de la littérature fantastique belge de Jean Ray, n'en finit pas de fasciner par la complexité de son étrange intrigue. A la fois huis clos horrifique et roman d'aventures pirates, plongez au cœur d'un étrange voyage dont nul ne ressort indemne... Plus de 80 ans après sa sortie, le roman continue de fasciner sans se dévoiler complètement. Jacques Carion, écrivain et sociologue et François Crunelle, professeur de géopolitique à l'EPFC et spécialiste de Jean Ray, nous en parlent dans C’est génial !.

Écrit en 1943 par Jean Ray et adapté au cinéma en 1971, Malpertuis est un livre de la littérature fantastique dont on n’a pas envie d’être le héros… Dans un top 10 des maisons les plus effrayantes, celle de Malpertuis y figurerait en bonne position.

Un auteur aux multiples pseudonymes

Jean Ray

Raymond Jean Marie De Kremer, dit Jean Ray, est un écrivain belge, né et mort à Gand (1887-1964). Journaliste, il consacre sa vie à l’écriture en français et en néerlandais de nouvelles fantastiques. Homme paisible dont on a brodé tout une légende sur sa personne, comme l’explique Jacques Carion, écrivain et sociologueHenri Vernes, l’auteur de Bob Morane, va entretenir cette légende de Jean Ray marin, aventurier et même pirate.

Il crée une œuvre à partir de récits entendus dans les tavernes, de légendes racontées dans son enfance, de ses lectures. Il a compris qu’il fallait fidéliser ses lecteurs en utilisant des marqueurs reconnaissables et qui annoncent la peur (un nom de fleuve ou de ville qui existe, une porte qu'on a peur d'ouvrir…).

Jean Ray a utilisé également plusieurs pseudonymes, dont celui de John Flanders quand il écrit en néerlandais. Ces pseudonymes permet de se perdre davantage dans son œuvre.

Un roman aux frontières de l'étrange, à huis clos

L’histoire débute dans la chambre d’un mourant immensément riche qui convoque les membres de sa famille à un jeu étrange : pour hériter de sa fortune, ils doivent accepter de tout quitter et venir vivre dans sa maison, Malpertuis. Une vaste demeure où se produit des phénomènes inexpliqués. Le dernier survivant héritera.

Construit grâce à une succession de manuscrits inachevés, Malpertuis mélange les codes du huis clos, du mythe et de l’aventure marine, enchaînant les mystères dont certains ne seront que partiellement expliqués. Mais tous jouent sur les mécanismes de la peur et de l’inquiétante étrangeté.

Le roman a marqué l’imaginaire collectif, notamment chez l’écrivain anglais Neil Gaiman.

La peur qui se transmet du narrateur au lecteur

Pourquoi ce roman a-t-il marqué la littérature belge ? Pour Jacques Carion, sociologue, le roman rend le lecteur plus dépendant. Dans le texte, il est d’ailleurs mentionné : "Je suis entré dans Malpertuis. Malpertuis me tient".

Jean Ray a conçu une succession de narrations qui jamais ne s’imbriquent, ne se superposent, mais qui sont annoncées par l’auteur comme une sorte de témoignages, ce qui devrait nous rendre confiance : "Je retranscris ici des gribouillis sur des feuillets jaunis dont je ne comprends rien"Ainsi, de cercle en cercle, on enserre le sujet sans en trouver le centre, car chaque témoin a peur de ce qu’il voit. Et finalement, qui commence à avoir peur et ne plus comprendre ? C’est le lecteur !

Pour François Crunelle, professeur de géopolitique à l'EPFC et spécialiste de Jean Ray, le roman est génial parce qu’il est gothique et le mystère est partout. "C’est le procédé littéraire de la mise en abyme qui permet à l’auteur de jouer avec ses lecteurs, en plaçant dans l’histoire d’autres récits qui vont permettre un écho". Et il ajoute :

C’est l’histoire d’une maison où le lecteur est souvent déstabilisé, sans savoir s’il est dans la réalité ou la fiction.

En quoi est-ce un classique ?

Selon Jacques Carion, Jean Ray est arrivé à un point de non-retour. L’auteur ne peut aller plus loin dans sa manière de raconter. "Il a créé une situation nouvelle : après un certain temps, le lecteur – bien qu’il ait peur – en sait plus que le personnage qui vit l’aventure"."

Jean Ray a parsemé ses textes d’épigraphes, réelles ou imaginaires, pour donner de l’assurance ou faire référence – dont notamment celle de l'auteur Stern qui a inventé le récit désarticulé… Un indice pour le lecteur attentif. 

Jacques Carion nous l'explique avec l'épigraphe qu'écrit Jean Ray en citant l’écrivain anglais Nathaniel Hawthorne : "Vous aurez beau bâtir des églises, jalonner les chemins de chapelles et de croix, vous n’empêcherez pas les dieux de l’ancienne Thessalie de réapparaître à travers les chants des poètes et les livres des savants". Un indice pour le lecteur. Mais le personnage Grandsire qui, lui, est dans le roman et non dans l’épigraphe, ne comprend pas. Et quand un personnage, dont le flanc est rongé par un énorme oiseau, dit : "Prométhée ! Prométhée !", Grandsire comprend qu’il faut promettre...

Malpertuis au cinéma

Affiche du film "Malpertuis" de Harry Kümel, en 1971

En 1971, le cinéaste belge Harry Kümel adapte le roman au cinéma avec Orson Welles, Jean-Pierre Cassel, Michel Bouquet, Susan Hampshire… et Sylvie Vartan.

Selon Jacques Carion, le film est fait de bric et de broc, malgré une distribution exceptionnelle (mais diverse à cause de la coproduction) et réalisé avec un équipe technique extraordinaire dans laquelle on retrouve un scénariste du groupe Clouseau, le maquilleur de La planète des singes

Toutefois, le sociologue admet que le film a le mérite d’être vu, car il raconte bien le récit, à sa manière.

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