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Maltraitance infantile : un algorithme pour détecter les enfants battus développé au CHU de Dijon

© Gettyimages

La maltraitance infantile passe partiellement sous les radars des hôpitaux. Le CHU de Dijon (Bourgogne, France) a mis au point en 2019 un algorithme de repérage de ces enfants maltraités physiquement, âgés de 0 à 5 ans.

Encore fallait-il vérifier sa validité. C’est désormais chose faite : le CHU a réalisé une étude parue dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France, pour tester la pertinence de cet algorithme. Résultats : la valeur prédictive positive de l’algorithme est élevée ; plus les enfants sont jeunes, meilleure elle est. Pour les nourrissons de moins d'un an, l'algorithme peut atteindre une efficacité de 94,4%.

La méthode

Voyons d’abord comment l’hôpital a développé cet algorithme. L’équipe a utilisé les codes des hôpitaux français (ce qu’on appelle en France les données PMSI, à savoir les codes sous lesquels les hôpitaux enregistrent les diagnostics d’hospitalisations), pour les enfants de moins de 5 ans hospitalisés pour maltraitance physique.

Dans le cas de la maltraitance, les séjours à l’hôpital peuvent être codés soit de façon spécifique (le code décrit les lésions et le fait qu’il s’agit d’une agression physique volontaire), soit de façon imprécise, sans que l’origine de la blessure ne soit mentionnée. Il peut en résulter une sous-estimation du nombre de cas de maltraitance, car le fait d’être dans l’une ou l’autre catégorie ne change rien au budget de l’hôpital. D’où l’intérêt d’un algorithme, afin de repérer de façon plus réaliste les enfants de 0 à 5 ans qui pourraient avoir été hospitalisés en raison de lésions consécutives à une maltraitance physique.

"Nous nous sommes appuyés sur deux logiques", explique Catherine Quantin, cheffe de l’Unité de Biostatistique et d’Informatique Médicale du CHU de Dijon et professeure de santé publique à l'origine du projet. " La première, c’était de recenser les codes qui précisent clairement dans le libellé que l’enfant a été victime d’une maltraitance physique volontaire – c’est ce qu’on appelle notre groupe 1 – la seconde, c'est que nous avons fait un gros travail de bibliographie, de recherche de la littérature, pour aller rechercher les lésions suspectes de maltraitance. C’est-à-dire que par exemple, un enfant de moins d’un an qui va se faire une fracture grave, cet enfant ne marchant pas, on se doute qu’il ne va pas réussir à tomber tout seul… Un enfant qui va subir des fractures répétées dans le temps, là encore, on va quand même se demander pourquoi ces fractures sont répétées. Il y a eu beaucoup de littérature sur le sujet. Les médecins ont fait remonter des situations suspectes de maltraitance." Ce type de situation probable a été recensée dans le groupe 2 : maltraitance suspecte. 

Valide, cet algo ?

Venons-en maintenant à la méthode de validation de cet algorithme, qui fait l’objet de la publication actuelle.

Un médecin légiste a rouvert les dossiers médicaux des enfants des deux groupes en remontant sur plusieurs années. Ce légiste a rempli une grille standardisée pour l’étude, sur la base de cette analyse des dossiers médicaux. Dans un second temps, un groupe de trois médecins légistes a étudié, ensemble, les blessures des enfants et la description d’origine qu’en avait rapportée l’entourage. Pour chaque cas, le trio a déterminé si ce qui était présent dans le dossier médical était compatible avec les lésions présentées par l’enfant. De quoi trier les lésions potentiellement causées par la maltraitance comme "certaines, très suspectes, suspectes ou exclues".

Il ne restait plus qu’à confronter les données :

- Issues des dossiers médicaux et de l’analyse des légistes ;

- Issues des données PMSI encodées à la sortie de l’hospitalisation de l’enfant.

Parmi les enfants hospitalisés au CHU de Dijon sur la période concernée, 170 enfants ont été identifiés par l’algorithme comme des cas de maltraitance hautement probable ou suspectée.

La comparaison des données a montré que plus les enfants sont jeunes (entre 1 mois et 1 an), plus l’instrument est fiable. Lorsqu’il s’agissait de nourrissons (moins d’un an), l’algorithme a montré une efficacité de plus de 90%. "Nous avons obtenu des résultats qui sont extrêmement favorables chez les enfants de 1 mois à 1 an", explique Catherine Quantin. "Par exemple, lorsque les codes de maltraitance sont renseignés dans le résumé de l’hôpital, pour les enfants de 1 mois à 1 an, on retrouve cette maltraitance dans le dossier dans près de 95% des cas." Chez les 0-5 ans, la valeur prédictive est d’environ 80%, ce qui reste une fiabilité suffisante d’un point de vue épidémiologique.

Un baromètre

En quoi est-ce utile ? "Déjà, pour faire un baromètre de cette maltraitance", précise Catherine Quantin. "Il est impossible de répertorier tous les cas de maltraitance. A l’hôpital, la maltraitance physique est un peu plus facile à répertorier. Mais des études internationales ont montré qu’on n’arrive pas à répertorier l’intégralité de cette maltraitance. Alors, c’est très intéressant d’avoir un baromètre. Ce baromètre n’a pas pour objectif d’avoir l’exhaustivité des cas, mais de pouvoir suivre l’évolution de cet indicateur dans le temps et dans l’espace."

Ainsi, suite à la publication de l’algorithme en 2019, une première étude a montré qu’il y avait, après une période de relative stabilité de l’indicateur, une hausse de 50% de la fréquence des hospitalisations pour maltraitance physique en France pendant le confinement. Ceci a permis d’alerter les pouvoirs publics, et d’appuyer la réouverture des écoles et des crèches auprès du gouvernement français.

Vers une machine qui apprend ?

L’ambition de l’équipe du CHU de Dijon est d’aller plus loin : étendre cette étude de validation à l’échelle de plusieurs hôpitaux français et envisager un outil d’intelligence artificielle qui pourrait au fur et à mesure des résultats, améliorer progressivement l’algorithme, l’indicateur, et peut-être également un jour en faire profiter les services de soins qui pourraient adresser un signalement aux services sociaux. Au bout du compte, ce seront toujours des professionnels de la santé qui suivraient les signalements. L’algorithme pourrait servir d’outil, d’aide au diagnostic et au signalement.

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