Après une journée de manifestations dimanche dans de nombreuses villes du pays, le président tunisien Kais Saied a décidé de démettre de ses fonctions le Premier ministre Hichem Mechichi. Il a également annoncé "le gel" des activités du Parlement pour 30 jours. Décryptage de cette crise constitutionnelle en pleine pandémie avec Khadija Mohsen-Finan, politologue spécialiste des conflits politiques dans les pays du Maghreb et auteure de l’ouvrage "Tunisie l’apprentissage de la démocratie 2011-2021".
Comment avez-vous vécu ces dernières heures à Tunis ?
Les événements du 25 juillet ont surpris. Même si, on s’attendait à ce qu’il se passe quelque chose parce que la pression était très forte ces derniers jours. Il y avait beaucoup d’immobilisme politique. Cela a créé un mécontentement général. Le jour de l’Aïd, on a demandé aux gens d’aller se faire vacciner s’ils le souhaitaient sans rendez-vous. Il y a eu des bousculades. Les doses étaient insuffisantes. Cela a mis le feu aux poudres. Dans plusieurs villes, il y a eu des manifestations ce dimanche. Ils ont investi la rue pour demander la dissolution du Parlement. Ils ont demandé le départ du Premier ministre.
Un appel suivi par le président Kais Saied qui s’est arrogé tous les pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire?
Oui, il a réuni un conseil de sécurité qui compte des éléments de l’armée, de la police et de la gendarmerie. Il s’est appuyé sur ce conseil pour dire que la sécurité des Tunisiens n’avait pas été assurée le jour de l’Aïd quand il y a eu des bousculades pour les vaccins. Il a accusé son Premier ministre, Hichem Mechichi, de ne pas avoir gérer la crise sanitaire. Il l’a fait arrêter le soir même et il s’est octroyé les pleins pouvoirs en s'appuyant sur l'article 80 de la constitution qu'il a interprété à sa guise. Cet article lui donne des pouvoirs exceptionnels quand la sécurité de la nation est en jeu.
Ennahdha, principal parti d’opposition, dénonce "un coup d’État", que pensez-vous de l’utilisation de ce terme ?
Oui, on peut dire que c’est un coup d’Etat. Kais Saied a joué sur l’irritation des Tunisiens. En Tunisie, ces derniers mois, on avait un cumul entre un exécutif bloqué sur fond de crise sociale et économique et, la crise sanitaire qui a été extrêmement mal gérée. Le président a joué sur l’insatisfaction générale de tous les Tunisiens pour se permettre ce qu’en d’autres temps, il ne se serait pas permis de faire. Ce contexte a joué en sa faveur. Nous sommes aujourd’hui dans une situation d’exception où le chef de l’Etat a les pleins pouvoirs. Mais, il n’a pas d’autres alliés que l’armée.
Depuis la révolution de 2011 et le départ du dictateur Ben Ali, c’est la première fois qu’un acteur semble ne plus respecter les règles du jeu démocratique. Est-ce que ce n’est pas l’héritage du printemps arabe de 2011 qui est en danger aujourd’hui ?
Oui, bien sûr. Il y a des risques de contre-révolution. La révolution de 2011 avait fait naître un pluralisme politique et malheureusement avec cet événement on revient à cette Tunisie divisée en deux avec les modernistes d’un côté et les Islamistes de l’autre. On ne sait pas quel genre de violence cela va engendrer. On ne peut pas exclure des affrontements dans la rue.
Dans ce pays de 12 millions d'habitants, la pandémie de Covid-19 a fait plus de 18.000 morts. Est-ce que la crise sanitaire pourrait s’améliorer dans les prochains jours ?
Effectivement, la crise sanitaire c’est la priorité. Le président Kais Saied a promis 5 millions de vaccinés à la fin du mois d’août. Il a confié la vaccination à l’armée. Cela devrait donc aller plus vite. Mais, je crois que c’est insuffisant et que le chef de l’Etat devra annoncer un calendrier électoral pour des élections législatives anticipées. Il est obligé de dire ce qu’il va faire de ce gel du Parlement.