Belgique

Marchés publics : quelles sont les règles pour les appels d’offres ?

© Getty Images – May Lim / 500 px

Par Jean-François Noulet

Le nouveau bureau du Parlement wallon continue de se pencher sur les affaires qui secouent l’institution régionale wallonne depuis plusieurs mois. Il le fait encore ce lundi 15 mai. La dernière affaire en date, c’est celle qui a trait à l’achat du mobilier de la Maison des parlementaires. De récentes révélations indiquent que cet appel d’offres pour ce mobilier aurait été taillé sur mesure pour un fournisseur.

C’est l’occasion de s’interroger sur les règles en matière de marché public et d’appel d’offres. Quels sont aussi les recours et les sanctions éventuelles ?

La règle de base : éviter de dépenser l’argent public sans mise en concurrence

Pourquoi les marchés publics sont-ils réglementés ? De manière générale, l’idée, "c’est de pouvoir dépenser l’argent public de la manière la plus objective possible, avec la plus grande mise en concurrence des différents opérateurs économiques", nous explique Me Cyrille Dony, avocat spécialisé en droit des marchés publics que nous avons contacté pour faire le point sur cette matière.

Bref, il s’agit de faire jouer la concurrence et de ne pas traiter directement avec l’une ou l’autre entreprise prestataire.

Selon quels critères ?

Comment sélectionne-t-on le prestataire ? L’autorité qui organise un marché public prévoit des critères d’attribution qui vont lui permettre d’évaluer chacune des offres qu’elle recevra. "C’est l’administration qui définit elle-même les critères", explique Me Dony tout en précisant qu’il y a un minimum d’obligations à respecter. "Il y a toujours un critère 'prix' qui doit être prévu. C’est obligatoire", poursuit Me Dony.

Pour les autres critères, les règles sont plus vagues. "On peut avoir des critères de qualité quand ce sont des fournitures à livrer ou des travaux à réaliser, cela peut être des critères de délais", détaille Me Dony. Toute une panoplie de critères est possible, tant que le critère prix est prévu dans l’appel d’offres.

C’est sur base des critères établis que l’autorité qui organise le marché public évaluera les offres reçues.

Le critère "prix" n’est pas forcément prépondérant

L’autorité ne sélectionne pas forcément l’offre la moins onéreuse. "C’est à l’administration de déterminer si elle a envie de faire un effort plutôt sur le prix ou sur la qualité", résume Me Dony.

Cet expert juridique donne l’exemple du secteur médical. "Généralement, dans les marchés publics passés par les établissements hospitaliers, vous avez assez souvent un critère 'qualité' qui représente plus de points que le critère 'prix' parce qu’on préfère avoir du matériel qui fonctionne bien et de qualité plutôt que d’essayer de faire un effort sur le prix et d’avoir, peut-être, du matériel qui est de moins bonne qualité", explique Me Cyrille Dony.

Le critère de prix, bien que présent dans l’appel d’offres, peut donc être pondéré par d’autres critères.

Est-il possible d’orienter l’appel d’offres pour favoriser un fournisseur ?

Pour un marché public, l’appel d’offres contiendra un cahier des charges. "Il contient également une partie technique dans laquelle on décrit ce dont on a besoin", explique Me Dony. Par exemple, pour des fournitures, "les spécifications du matériel qu’on doit fournir", poursuit Me Dony, mais "ça doit être objectif", ajoute-t-il. Selon ce juriste, "on ne peut pas favoriser un prestataire de manière tout à fait subjective et arbitraire", même si, il faut le reconnaître, il y a une part de subjectivité quand on apprécie la qualité d’un matériel.

Alors, est-il envisageable que l’appel d’offres soit calibré pour ne correspondre qu’à un fournisseur ? "Cela peut s’envisager pour autant que cela soit objectif" répond Me Dony. "Si on arrive à démontrer qu’on avait besoin d’abat-jour de telle dimension parce qu’il y avait un réel besoin d’avoir cette dimension-là, oui", ajoute-t-il.

Mais si, en rédigeant l’appel d’offres, on a dans un coin de la tête de favoriser un fournisseur en particulier, on s’éloigne du principe de base de la réglementation sur les marchés publics qui est d’essayer d’avoir la concurrence la plus large possible, d’avoir le plus d’appels possibles et, in fine, la meilleure offre dans l’intérêt des finances publiques.

Dans la pratique, il arrive aussi que des appels d’offres soient plus ou moins fortement inspirés du catalogue d’un fournisseur. "Ce qui arrive, c’est qu’on ne connaît pas très bien le marché. On reçoit un catalogue d’un prestataire et, comme on ne connaît pas bien, on écrit son cahier des charges sur base de ce qu’on a reçu comme informations", explique Me Dony. Mais, "ça, on ne peut pas le faire. On ne peut pas rédiger un cahier des charges sur la base du matériel que va fournir un fournisseur spécifique parce que, de facto, cela exclut un peu tous les autres", ajoute le juriste.

Quels recours, quelles sanctions en cas d’appel d’offres irrégulier ?

Si un appel d’offres pour un marché public comporte des conditions trop restrictives, c’est d’abord aux entreprises susceptibles de participer à l’appel d’offres de s’en rendre compte et d’agir. "On peut attaquer en justice, on peut attaquer le marché public en tant que tel", explique Me Cyrille Dony.

Par exemple, un fournisseur qui n’aurait pas pu participer à un marché parce que les conditions étaient trop restrictives sans être objectivement justifiées peut se tourner vers la justice. "Vous avez des opérateurs économiques qui introduisent des recours en suspension ou en annulation, où on essaye de casser le marché pour pouvoir y participer", explique Me Dony. Ces fournisseurs tentent alors de convaincre la justice que rien ne justifie objectivement les conditions techniques d’un appel d’offres si ce n’est de réussir à restreindre le nombre de candidats.

L’autorité qui organise le marché public est alors amenée à justifier les critères qu’elle a inscrits dans l’appel d’offres.

Ces recours en annulation ou en suspension sont les recours les plus fréquents. Ils ont des chances d’aboutir, mais il faut les tenter dans les délais, c’est-à-dire avant que le marché soit attribué. Après, c’est trop tard.

Une fois le marché attribué, un fournisseur peut encore tenter la voie judiciaire pour demander une indemnisation au prétexte qu’il n’a pas pu participer à l’appel d’offres en raison des conditions restrictives. Ce type d’action en justice est plus rare, "simplement parce que c’est compliqué d’obtenir gain de cause", selon Me Dony. "On doit réussir à convaincre un juge qu’on aurait pu participer au marché et que si on avait participé on aurait sans doute eu une bonne chance de l’obtenir", explique Me Dony en précisant que "c’est évidemment fort compliqué".

A part les recours en annulation ou en suspension avant l’attribution du marché et les demandes d’indemnisation de prestataires lésés une fois le marché attribué, la justice a peu d’emprise sur les marchés publics. Sauf s’il y a des malversations de la part des organisateurs du marché public avec, par exemple, un enrichissement personnel ou la perception de pots-de-vin.

La Cour des comptes pourra, peut-être, dans le cadre de ses audits, se pencher sur un marché public et rendre un avis négatif mais celui-ci n’entraînera pas forcément des sanctions.

Il semble qu’il faut davantage compter sur les règles internes à l’autorité qui a organisé le marché public. C’est à ce niveau-là qu’éventuellement des sanctions pourraient tomber. Telle ou telle personne impliquée dans le marché public pourrait se voir reprocher des responsabilités et subir des sanctions disciplinaires, voire un licenciement.

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