Un jour dans l'histoire

Marie Bonaparte, une psy à la recherche du plaisir féminin

Un Jour dans l'Histoire

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Qui était la princesse Marie Bonaparte qui considérait sa rencontre avec Freud comme "le plus grand événement de sa vie" ? De quelle manière s’est-elle intéressée au plaisir féminin ? Que nous révèle sa correspondance avec Freud, dont elle sera bien plus qu’une disciple dévote ? Comment ses travaux ont-ils été perçus par ses contemporains ? Que peut-on en retenir aujourd’hui ?

Rémy Amouroux, docteur en histoire de la psychologie, enseignant à l’Institut de psychologie de l’Université de Lausanne, a établi l’édition et l’appareil critique de la Correspondance intégrale entre Marie Bonaparte et Sigmund Freud, un ouvrage publié chez Flammarion.

Ce sont près de 900 lettres qui ont été échangées entre Freud et Marie Bonaparte, l’arrière-petite-nièce de Napoléon 1er.

Après une enfance assez solitaire, Marie Bonaparte va épouser le prince Georges de Grèce et du Danemark et connaître une relation compliquée. Son mari n’est pas intéressé par les femmes et ne va pas la satisfaire sur le plan sexuel. Il entretiendra pendant toute sa vie une relation homosexuelle avec son oncle Waldemar.

Marie a soif de sensualité et de connaissances. Elle multiplie les relations amoureuses.

© Domaine public

Le chemin de la psychanalyse

1923 est pour elle une année difficile : elle fait le constat de l’échec de son mariage, son père décède. Elle entre dans une sorte de dépression, elle cherche quelque chose de nouveau, elle cherche aussi le plaisir sexuel qu’elle ne trouve pas auprès de ses multiples conquêtes.

En recherche d’aide, elle va se tourner vers la psychanalyse. Freud, au départ, refuse de la recevoir.

"Probablement qu’il est dubitatif par rapport à cette femme, princesse, descendante de l’empereur. Peut-être l’idée d’une femme oisive, pas forcément très sérieuse… La question des motivations aussi se pose, dans la mesure où elle a une vie assez chargée, des responsabilités en lien avec son statut. Passer du temps à Vienne implique de rompre avec cette vie-là et elle n’est pas sûre au début de pouvoir le faire."

La première rencontre aura lieu le 30 septembre 1925 à Vienne. Marie Bonaparte y fera ensuite de nombreux séjours, notamment pour traiter sa frigidité.

Convaincue de la puissance de la psychanalyse, elle va ensuite consacrer son énergie et son argent à structurer le mouvement en France. Elle va faire partie des membres fondateurs de la Société psychanalytique de Paris, financer la Revue française de Psychanalyse et en influencer le contenu, financer un institut de formation et coordonner la politique éditoriale des traductions en français des écrits de Freud.

Les relations avec Freud

A la lecture de cette correspondance, on est frappé par l’intensité des relations qu’ils nouent, souligne Rémy Amouroux.

Le début est marqué par l’admiration de Marie Bonaparte pour Freud, qui manifeste envers elle une forme de paternalisme.

Peu à peu, dans ses lettres, elle va montrer un désaccord avec la vision que Freud a de la sexualité de la femme, de la place des femmes et de leur liberté sexuelle. Au début des années 30, elle développe sa propre activité psychanalyste.

Les dernières années de leur correspondance marque un 3e tournant dans leurs relations. Marie ne cherche plus l’assentiment de Freud sur sa vie amoureuse.

Après la mort de Freud en 1939, lors de son exil à Londres, Marie Bonaparte, âgée de 60 ans, s’exile avec sa famille en Afrique du Sud, où elle continue sa pratique psychanalyste. Elle décédera en 1962 d’une leucémie.

Son œuvre sera en grande partie oubliée, malgré ses nombreuses publications traduites en plusieurs langues. Ses écrits ne sont pas dans l’air du temps, trop centrés autour des sciences humaines, trop biologisants.

Que retenir de l’œuvre de Marie Bonaparte ?

"On a souvent pointé le caractère biologisant de son œuvre, l’accent mis sur une forme de radicalisation des thèses de Freud, d’une incompréhension peut-être même des thèses de Freud et de la féminité, explique Rémy Amouroux.

Je pense qu’il faut adopter une perspective plus large et voir qu’on est à un moment où on a très peu de connaissances sur la réalité de la sexualité de la femme. Elle va faire partie des pionnières parmi ceux qui vont s’intéresser, en psychanalystes, à cette question, mais elle s’y intéressera aussi d’un point de vue biologique et anatomique."

Une étude étonnante sur la frigidité

En 1924, Marie Bonaparte, sous le pseudonyme de Narjani, publie, dans la revue Bruxelles Médical, un article intitulé "Considérations sur les causes anatomiques de la frigidité chez la femme". Elle a essayé d’établir, sur 200 femmes, les caractéristiques anatomiques spécifiques en lien avec la possibilité d’éprouver du plaisir sexuel. Pour cela, elle a mesuré la distance entre le clitoris et le méat urinaire, avec l’idée que cette distance pourrait être l’indice d’une sorte de disposition anatomique vertueuse ou vicieuse, permettant le plaisir ou pas. Elle y interroge aussi ces femmes sur leur sexualité.

C’est une enquête qui est étonnante de modernité, en un sens.

Pour remédier aux problèmes de la frigidité psychique, elle propose la psychothérapie. Pour les téléclitoridiennes, soit pour celles qui ont un problème de distance, elle propose l’intervention chirurgicale, qu’elle subira elle-même trois fois.

"Alors ça, c’est le côté qui justifie un peu la critique. […] Ses interventions semblent lui apporter quelque chose. Elles sont globalement décevantes mais ne sont pas aussi inutiles que ce que l’on en a retenu. Sachant qu’il y a peut-être aussi un malentendu, parce que ce qu’on a appelé frigidité - et on a fait de Marie Bonaparte une sorte d’incarnation de la frigidité, puisqu’elle en parle assez souvent, effectivement - ne correspond en fait pas du tout à ce que nous entendons par frigidité."

Marie Bonaparte entendait par frigidité le fait de ne pas éprouver d’orgasme vaginal.

>> Marie Bonaparte s’intéresse aussi au plaisir des femmes dans d’autres civilisations. Ecoutez la suite dans Un Jour dans l’Histoire, ci-dessus >>

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