Monde

Maroc: les élections porteront-elles les espoirs de changement? "Ce que les gens voient surtout, c'est que leur niveau de vie a encore été altéré"

Une Marocaine dépose son bulletin dans un des bureaux de vote de la capitale Rabat ce mercredi matin.

© AFP or licensors

Environ 18 millions de Marocains sont attendus aux urnes ce mercredi pour des élections générales cruciales, les premières au Maroc depuis le début de la crise sanitaire. Ils doivent renouveler les 395 députés de la Chambre des représentants et plus de 31.000 élus communaux et régionaux.

En jeu: l'avenir du parti islamiste au pouvoir depuis une décennie. Les espoirs de sortie de la crise économique aggravée par la pandémie sont grands, mais de nombreux Marocains se détournent des élections, conscients que quel que soit le résultat, le monarque restera le maître du pays.

Les Marocains ont la tête ailleurs

Comme ses deux voisins d'Afrique du Nord, l'Algérie et la Tunisie, le Maroc est aux prises avec une nouvelle vague de Covid liée au variant Delta. Vu les restrictions qui s'imposent - les partis politiques ne peuvent par exemple descendre en rue que par groupe de 25 - c'est surtout sur les réseaux sociaux que la campagne marocaine s'est jouée.

"Il est vrai que les RS sont très présents au Maroc. Plus de 20 millions de Marocains les utilisent, soit pratiquement tout le corps électoral", observe Pierre Vermeren, professeur d'histoire contemporaine du Maghreb à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui n'y voit cependant pas d'enjeu majeur.

"Ce sont les premières élections depuis la pandémie qui a complètement mis sous cloche tout le Maghreb", rappelle le spécialiste du Maghreb, "de ce fait, la campagne électorale a été très courte, de surcroît avec un été très chaud. Les Marocains, qui retrouvent seulement le chemin du travail et de la rentrée, ont la tête ailleurs".

Je choisirais de migrer pour atteindre mon rêve

Si elle a impacté la campagne, la pandémie a également été l'une des principales préoccupations des électeurs. 

Redouane Bahemmou, 23 ans, est au chômage. Il vit à Témara, une ville côtière près de Rabat. Comme d'autres jeunes Marocains qui ne trouvent pas d'emploi, aujourd'hui il considére l'émigration comme une option: "Je choisirais de migrer pour atteindre mon rêve et mes objectifs, pour bien vivre, pour avoir de bons soins de santé [...] Je sais que nous aimons tous notre pays, c'est le meilleur pays, mais nous avons besoin de changement, nous espérons qu'il y aura un changement avec le nouveau gouvernement", confie-t-il à nos confrères d'AP.

Fatima, veuve, 4 enfants

Manque de travail, manque de clients, manque de soutien financier, c'est ce que la crise sanitaire a signifié pour Fatima, une veuve de 41 ans et mère de quatre enfants qui tient un salon de beauté à Salé, près de la capitale Rabat. Son mari est mort il y a deux ans. Elle avait de quoi subvenir aux besoins de leurs enfants avec l'argent qu'elle gagnait à l'époque en travaillant comme coiffeuse, mais lorsque la pandémie a frappé l'Afrique du Nord, sa situation est devenue plus difficile.

"Nous avons vécu une grave crise, il n'y a pas de revenus, surtout après la décision de fermer à plusieurs reprises les salons de coiffure. Encore aujourd'hui, je peux travailler dans le salon ou parfois vendre des vêtements pour aider mes enfants et ma famille, mais ce n'est pas suffisant", déplore-t-elle.

"Ce que les gens voient surtout, c'est que leur niveau de vie a encore été altéré", observe Pierre Vermeren, "toutes les difficultés remontant du terrain prouvent que les familles pauvres le sont encore plus, également en raison l'effondrement de l'économie touristique, à peine sorti de l'ornière, et déjà frappée il y a un mois par une réduction de l'arrivée de touristes. Dans ces conditions, les Marocains ont plus de préoccupations socio-économiques que politiques", assure le professeur qui doute que les changements espérés passeront par les urnes...

Le parti islamiste relégué dans l'opposition?

Le gouvernement marocain est dirigé depuis dix ans par le PJD, le parti de la justice et du développement. Les Marocains avaient massivement voté pour les islamistes en 2011, dans le sillon des printemps arabes, et de nouveau en 2016, comptant sur eux pour mettre fin à la corruption et au favoritisme. Mais leurs espoires ont été déçus et après une campagne terne sans gros engouement, le PJD pourrait aujourd'hui aller dans l'opposition.

Il pourrait par ailleurs aussi pâtir d'une nouvelle loi électorale inédite, qui prévoit une répartition des sièges à la Chambre sur base du nombre d'électeurs inscrits et non plus des votants. Ce nouveau mode de calcul devrait affaiblir les grands partis au profit des petites formations.

Tout est fait pour que le Parlement soit émiétté

"Tout est fait pour que le Parlement soit émiétté", commente Pierre Vermeren. "Même s'il y a une forte mobilisation des islamistes, il est très probable qu'ils aient moins de députés, et que dès lors puisse s'organiser une coalition alternative sous la direction du RNI, le Rassemblement National des Indépendants", soit le rival libéral du PJD dirigé par un riche homme d'affaires, réputé proche du roi Mohammed VI.

En l'absence de sondages d'opinion pour ces élections, les prédictions des médias locaux pointent également les chances du Parti authenticité et modernité (PAM, libéral) et du Parti de l'Istiqlal (centre-droit), tous les deux dans l'opposition. Ceci étant dit, "le pouvoir du parlement est surtout entre les mains du palais", rappelle Pierre Vermeren. 

Doubler le PIB d'ici 2035 

Depuis 2011, la nouvelle Constitution marocaine accorde de larges prérogatives au Parlement et au gouvernement. Mais les décisions et les grandes orientations du pays restent l'apanage du monarque qui nomme le chef du gouvernement et ceux des principaux ministères.

Mohammed VI dicte aussi la politique menée dans des domaines stratégiques comme l'agriculture, l'énergie ou l'industrie, ainsi qu'en matière de sécurité et pour les affaires religieuses.

Quel que soit le résultat, le nouveau gouvernement marocain aura pour mission de réduire les profondes inégalités qui frappent le royaume, avec comme boussole un "nouveau modèle de développement" (NMD) prôné par le souverain. 

Ce plan de modernisation du pays promet notamment une réforme fiscale et un investissement massif dans les secteurs de l'éducation et de la santé, avec pour ambition de doubler le PIB à l'horizon 2035.

Elections au Maroc : extrait du JT de 19h30, ce mercredi 8/9/2021

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous