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"Martin fait de la danse" : un outil pour dégenrer les activités extrascolaires

© Tous droits réservés SAES Asbl - Design by Steppers Studio, illustrations Eve Brengard

Oui, les filles peuvent jouer au foot. Oui, les garçons peuvent aimer le ballet. Si ces affirmations semblent aller de soi, dans la pratique, les inégalités de genre quant à l’accès aux activités extrascolaires sont bien réelles…. À Schaerbeek, le secteur se retrousse les manches pour déconstruire les stéréotypes et proposer des pratiques plus inclusives.

Une éducation non discriminatoire permet à chacun·e d’évoluer selon ses choix et de trouver sa voie. Si la déconstruction des stéréotypes de genre entre (parfois encore difficilement) dans les classes à travers les animations EVRAS, les activités extrascolaires, elles, restent trop souvent un angle mort de la lutte contre le sexisme.

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C’est en tout cas le constat de Mathilde Fanuel et Geoffrey Dony qui ont réalisé un état des lieux de leur commune au sein du Service Accueil Extrascolaire de Schaerbeek. "Nous avons découvert que certains enfants ne pouvaient pas exercer l’activité de leur choix, car celle-ci était destinée à un genre spécifique en raison des stéréotypes. Par exemple, nous avons rencontré une maman qui ne trouvait pas de club de foot pour sa fille, ou un enfant mal à l’aise de commencer la danse et de se retrouver le seul garçon du groupe… Se sentant exclu·es de leur activité de prédilection, ces enfants se sont tourné·es vers d’autres options", introduit le duo.

Partir des réalités de terrain

C’est pour faire bouger les lignes que l’équipe a créé "Martin fait de la danse", un outil pédagogique à destination des professionnel·les de l’enfance (2,5 – 12 ans). Leurs objectifs ? Informer, participer à la prise de conscience du poids des habitudes sexistes et œuvrer à la mise en place de bonnes pratiques. "Pour construire cet outil, nous avons interrogé des familles, des enfants et des professionnel·les de terrain. Aussi, nous avons épluché nombre d’études, et avons constaté que très peu de recherches de genre avaient été menées à propos du secteur de l’accueil extrascolaire…", explique Mathilde Fanuel.

Ce qui compte, c’est que tous les enfants puissent être accepté·es tel·les qu’ils et elles sont !

Il était grand temps de poser le sujet sur la table ! "Martin fait de la danse" (dont le nom fait référence aux albums de jeunesse pas toujours très déconstruits du passé) interroge les représentations sexuées et genrées. Outre les passages théoriques, l’outil est ponctué de paroles recueillies auprès des professionnel·les et des enfants. Certains témoignages sont édifiants, à l’instar de celui d’Adrien, 6 ans : "Je fais du sport de muscle, de la vitesse et je nage. Je ne pense pas que les filles elles font beaucoup de muscu. Elles font plutôt du bricolage ou de la danse."

Au fil des pages, on découvre de manière très claire que les comportements sexistes reflètent une socialisation et une éducation genrée, et ne pas s’y conformer, c’est courir le risque d’être exclu·e par ses pair·es.

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La cour de récré, un enjeu pour l’espace public de demain

Mathilde Fanuel et Geoffrey Dony observent que la différenciation se marque particulièrement à partir du passage à l’école primaire. L’autrice Judy Y. Chu (citée par Carol Gilligan dans le livre Pourquoi le patriarcat ?) relate l’initiation des garçons dans l’ouvrage When boys become boys : "aux codes de la masculinité qui requièrent pour eux d’abolir toute empathie et de masquer leur vulnérabilité, afin de leur permettre de revendiquer leur supériorité tout en évitant d’être rejetés par les autres."

Dans la cour, ceux qui s’identifient aux comportements masculins y occupent l’essentiel de l’espace, tandis que les autres se voient obligé·es de rester à l’écart. "Martin fait de la danse" cite la géographe du genre Edith Maruéjouls qui met en avant l’inégal partage des espaces de loisirs.

Nous avons rencontré une maman qui ne trouvait pas de club de foot pour sa fille

Cette division genrée de l’espace installe un climat de domination, comme en témoigne une petite fille : "Le foot c’est pour les garçons parce qu’ils savent bien jouer et pas les filles. Je pense que ça embête les garçons quand les filles jouent. Je joue au foot surtout à la maison. J’ai déjà essayé de jouer après l’école, mais on m’a dit ‘dégage’. Je ne joue pas avec eux parce que je les embête donc je préfère le faire avec mon papa." "Les filles s’habituent dès le plus jeune âge à rester à l’écart. Et plus tard, cette invisibilisation se prolonge dans l’espace public", avance Mathilde Fanuel.

L’autocensure des petit·es et des grand·es

Les stéréotypes de genre opèrent à tous les niveaux, y compris chez les professionnel·les. L’énoncé des activités peut orienter le choix des enfants vers tel ou tel type de loisirs. Il peut en résulter une autocensure de la part des enfants qui s’interdisent alors certains jeux ou activités. Au sein même des animations, les comportements peuvent également être influencés. "Nous avons remarqué qu’inconsciemment, les animateur·rices adaptent leur langage en fonction du genre de l’enfant. Ils et elles ne s’adressent pas de manière identique à une petite fille ou à un petit garçon", éclaire Geoffrey Dony.

L’outil revient par ailleurs sur l’importance de l’effet pygmalion, le mécanisme selon lequel le fait de croire en la réussite de quelqu’un améliore considérablement ses probabilités de succès. "C’est au niveau inconscient, mais le ou la professionnel·le va investir ou désinvestir tel profil d’élève et les stimulations vont être différentes, et donc les capacités vont elles aussi être différenciées", nous expliquait Noah Gottlob à propos de cet effet dans le cadre d’un précédent article autour de la déconstruction des masculinités toxiques.

Par ailleurs, on connait l’importance des rôles models pour faire avancer les représentations. Problème, au sein des équipes d’animation, les stéréotypes sont parfois renforcés par les adultes qui reproduisent des rôles genrés. "On le voit, les animateurs ont tendance à proposer des activités plus sportives, et les animatrices des activités plus manuelles. Ce manque de représentations participe à l’exclusion des femmes des pratiques sportives. Par exemple, ce serait chouette qu’une animatrice soit l’arbitre pendant un match de foot", expose Mathilde Fanuel.

Changer les pratiques pour un monde plus égalitaire

Loin de juger les pros du secteur, le Service Accueil Extrascolaire de Schaerbeek entend les accompagner. À partir de cet outil sorti en janvier, l’asbl propose désormais des animations à destination des professionnel·les du secteur. "On sent une ouverture. Bien sûr, il y a aussi des résistances au changement ou certaines personnes qui ‘ne voient pas de problèmes’. Mais on observe que ça bouge…", se réjouit le duo.

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En effet, dans le secteur, le message semble résonner. Suite à la parution du guide, lors des derniers congés scolaires, l’une des associations de la commune a décidé de modifier la thématique du stage en "Fais pas genre". "La directrice a reçu de nombreux appels des parents, parfois inquièt·es", explique Geoffrey Dony.

"Ce qui compte, c’est que tous les enfants puissent être accepté·es tel·les qu’ils et elles sont !", concluent Mathilde Fanuel et Geoffrey Dony. Il y a encore du travail, mais ensemble, petit à petit, les acteur·ices de terrain font évoluer la société.

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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