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Marwa ElDiwiny, entre soft robotics et soif de connaissances

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Par Jehanne Bergé pour Les Grenades

En Belgique, selon le top 100 des professions de Statbel, on ne compte que 13% d’ingénieures civiles, 19% de femmes managers TIC et seulement 11% de conceptrices de logiciels. Pour lutter contre ces écarts et déconstruire les stéréotypes genrés, Les Grenades réalisent chaque mois le portrait de femmes actives dans le monde des sciences, de la tech’ ou de l’ingénierie.

C’est sur le campus de la Vrije Universiteit Brussel (VUB) que nous retrouvons la doctorante Marwa ElDiwiny. Nous nous installons toutes les deux juste à côté des laboratoires de robotique du campus. Notre interlocutrice du jour figure parmi la liste internationale dressée en 2020 par Robohub des 30 femmes à connaître dans le milieu de la robotique. Pas mal ! Rencontre avec une scientifique passionnée…

Un vif besoin d’explorer le monde

"Je suis née à Bahreïn, j’ai déménagé dans le sud de l’Égypte à l’âge de 7 ans. Je n’étais pas très bonne à l’école, mais je me souviens que depuis toujours je voulais faire quelque chose qui sorte de l’ordinaire." Enfant et adolescente, elle grandit en se posant beaucoup de questions et se révèle très curieuse et fine observatrice de son environnement.

Plus tard, elle se rêve spécialiste de l’espace, mais faute de filière dans sa région, elle se dirige vers un cursus dans la robotique et plus spécifiquement dans la recherche autour des drones. Dans l’auditoire, les femmes forment alors environ 1/8 des étudiant·es, mais les stéréotypes de genre ne l’arrêtent pas. "J’ai réalisé mon bac et mon Master en Égypte, où j’ai ensuite travaillé comme assistant lecturer en ingénierie robotique."

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Si cette nouvelle position est enviable, la jeune femme ressent néanmoins un vif besoin d’explorer d’autres continents. "En 2016, j’ai été prise pour un stage de trois mois chez Google X en Californie. C’était une initiative internationale pour amener des femmes dans la Silicone Valley. Cette expérience a changé ma vie." Là-bas, elle multiplie les rencontres. Le voyage est synonyme d’intenses stimulations intellectuelles.

Elle cherche un poste pour réaliser son PhD à l’étranger et trouve une place dans le nord de la France. "C’était une libération. J’ai commencé une nouvelle vie." Un événement vient néanmoins compliquer sa carrière. "J’ai eu une dispute scientifique avec le responsable du laboratoire. Nous n’étions pas d’accord sur un point technique. J’ai dû quitter l’université."

Cet arrêt la marque profondément. Elle est alors seule en Europe. "C’était une période très sombre. J’étais perdue. J’ai essayé de trouver une autre position, mais personne ne m’acceptait…" Elle persévère et décroche finalement une place en Estonie avant d’être sélectionnée pour un programme aux Pays-Bas, puis d’être transférée en Belgique à la VUB.

L’aventure podcast

En 2019, une nouvelle activité entre dans sa vie : le podcast. "Quand je vivais en France, je réalisais des enregistrements pour un média sur la robotique, mais un éditeur m’avait dit que je devais arrêter parce que je ne comprenais pas comment fonctionnait le podcast… Lorsque je suis arrivée en Hollande, j’ai acheté un micro et j’ai recommencé à réaliser des épisodes par moi-même."

Il demeure des idées reçues autour des femmes et des sciences techniques

Elle décide de se lancer à fond, et ce avant tout pour discuter avec d’autres chercheuses et chercheurs de son secteur. L’objet de son émission IEEE RAS Soft Robotics podcast : le monde de la soft robotics abordé sous un angle particulier avec un·e expert. "Ce podcast m’a fait connecter avec énormément de gens, y compris des personnes qui avaient refusé de m’engager et qui sont venues vers moi par la suite."

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Petit à petit le succès prend de l’ampleur, et son programme devient une véritable référence pour le secteur. "Il y a des personnes avec qui je n’espérais même pas pouvoir discuter un jour avec qui j’ai pu m’entretenir comme Hugh Herr, un scientifique au MIT Media Lab qui s’est lancé dans la recherche pour construire ses propres prothèses bioniques."

Très occupée par son PhD, elle planche sur son projet sonore durant les soirées et les weekends, ce qui ajoute de la pression à son timing chargé. "Il y a quelques mois, j’ai été victime d’une attaque de panique et j’ai été hospitalisée. Jai reçu des messages de soutien des auditrices et auditeurs qui écoutent le podcast. Ça m’a beaucoup touchée. Savoir que des personnes qui ne vous connaissent pas reconnaissent votre travail, c’est très émouvant."

Inspirations par la nature

Mais au fait qu’est-ce que la soft robotics ? Ce domaine englobe les "robots mous" construits en matériaux ou structures souples. L’objectif : apporter des solutions à la robotique classique rigide à travers l’autoréparation et la résilience matérielle. "Ce champ d’études est très vaste : il y a les questions de sécurité, de design, d’application… "

Pour elle, la nature, les animaux, les insectes demeurent une grande source d’inspiration. "L’évolution me fascine. Je cherche à créer des matériaux moins cassables. Les toiles d’araignées, quand elles sont endommagées, ne s’écroulent pas. Je réfléchis à la manière de construire une structure, qui si elle s’effondre en partie reste quand même solide. Au quotidien, je me demande comment appliquer les principes de la nature à la robotique…"

Elle cite aussi l’octopus qui a fait l’objet d’un film diffusé sur Netflix. "J’ai discuté avec le conseiller scientifique du film et j’étais très intéressée. Cette souplesse c’est exactement ce à quoi on aspire avec la soft robotics. Ce ne sont que des exemples. Je veux apprendre plus. Depuis toujours je me demande comment fonctionnent les choses."

Dans ma famille, il n’y avait pas d’ingénieur·es, j’ai été la première

À travers son podcast, Marwa ElDiwiny ne cesse d’enrichir ses connaissances. "Je suis très reconnaissante de pouvoir découvrir différentes visions grâce à mes invité·es du podcast. J’espère que moi aussi je pourrai contribuer au monde."

La place des femmes

En tant que jeune scientifique, figurer dans la liste des trente femmes en robotique à connaître, ce n’est pas rien ! Cette liste a été compilée par Robohub pour accroître la visibilité des femmes dans la robotique et lutter contre l’idée que celles-ci ne réalisent pas de contributions dignes d’intérêt. "Je n’aurais jamais pensé figurer dans cette liste. J’ai été très surprise. Je crois que les choses se passent pour une raison : si je n’avais pas connu d’échecs je n’aurais pas mené ce projet de podcast avec passion en plus de mon travail de recherche."

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À propos du faible nombre de femmes dans le monde de la robotique, la spécialiste pointe les stéréotypes de genre. "Il demeure des idées reçues autour des femmes et des sciences techniques. Il y a encore très peu de femmes dans ce domaine " Concernant le sexisme ambiant dans ce secteur masculin, elle affirme : "Oui, j’ai senti du sexisme mais personnellement, je préfère me concentrer davantage sur l’humain que sur le genre. Bien sûr, il reste des stéréotypes, mais il y a aussi de grands esprits…"

Comme le rappelle Robohub, les femmes représentent toujours moins du quart des spécialistes travaillant dans les sciences naturelles et appliquées, et elles gagnent moins en moyenne que leurs collègues masculins. La problématique se révèle encore plus critique pour les personnes racisées.

Travailler à l’inclusion des femmes et des personnes racisées est essentiel pour le futur de la robotique. À celles et ceux qui voudraient se lancer dans ce secteur, le conseil de Marwa ElDiwiny : osez être différent·e. "De mon côté, ça n’a pas été facile et je me pose beaucoup de questions quant à l’après PhD, mais aujourd’hui j’adore ce que je fais. Dans ma famille, il n’y avait pas d’ingénieur·es, j’ai été la première. Ma mère est décédée quand j’avais 19 ans, mais elle était très fière. Tous les jours je souhaite qu’elle soit encore là, mais j’espère qu’elle sent mon amour."


Dans la série de portraits Grenades de femmes scientifiques


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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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