Mauvaise gestion des barrages ou crue exceptionnelle? "On n'attendait pas ça avant 2070, voire 2100"

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Par L.D., L.R.

Les crues qui ont touché tout le bassin hydraulique liégeois interpellent les experts, particulièrement ceux de l’Aquapôle de l’Université de Liège. Ces spécialistes modélisent les crues de l’avenir et ont déjà proposé de modifier la configuration des zones habitées. Mais cette crue-ci a déjoué tous leurs pronostics.

Aux bords de l’Ourthe, dans la commune d’Esneux sont construits des murs imperméables. Ils doivent parer aux crues. A Esneux comme à Tilff, des stations de pompage préviennent la montée des eaux. En vain, cette fois-ci.

"Le centre d’Esneux est protégé par des murs anti-inondations. Cela constitue un système étanche, qui empêche l’eau de la rivière d’aller vers les habitations. Toutefois, toute l’eau qui peut provenir de ruisseaux et de ruissellements ne sait pas rejoindre la rivière. Pour cette raison, il y a également un système de pompage qui rejette l’eau vers la rivière", explique Benjamin Dewals, expert en hydraulique à l’ULiège.


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Pourtant, cela n’a pas suffi à garer la situation sous contrôle.

"Je n’avais jamais assisté à une telle inondation"

Paulette, qui habite ici depuis 50 ans, n’avait jamais assisté à une telle inondation. Comme beaucoup d’habitants de la commune, elle a été prise de court lors des inondations.

"A deux heures du matin, l’eau est passée au-dessus des murs et en un quart d’heure, je dirais, le niveau a augmenté de deux mètres. J’étais à l’étage sans électricité, sans batterie dans mon téléphone, mais j’avais entendu qu’il fallait avoir sur soi des vivres. Alors j’ai été en chercher et je suis revenue à l’étage, mais sans moyens de communication". Une expérience assez choquante, d’autant plus que Paulette entend, impuissante, les bruits des objets qui tombent les uns après les autres : frigo, lave-linge, sèche-linge, etc.

D’un autre côté, elle reconnaît que les infrastructures n’étaient pas adaptées : l’eau serait bien sûr passée, en cas d’inondation. Et pourtant, elle garde son sourire : elle ne sait pas comment elle a pu échapper à l’inondation, mais reste confiante vis-à-vis de "la vie d’après". Elle s’estime même chanceuse par rapport à d’autres concitoyens.


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Bien qu’elle ait pu s’en tirer, la situation reste dramatique, tant sur le plan humain que matériel. Et pour certains, les barrages, censés prévenir les débordements, n’ont pas joué leur rôle.

Si à Esneux les murs et la station de pompage n’ont pas été suffisants, c’est qu’il s’agit d’une crue extrêmement plus rare et plus violente que ce qui est normalement prévu, selon les experts. Et il serait "techniquement impossible ou déraisonnable de stocker toute l’eau ou construire des murs de protection de deux mètres partout", explique Benjamin Dewals. Pour lui, il faudrait travailler davantage sur "la culture du risque", pour éviter que les gens soient pris de court en cas d’inondations comme celles-ci. En ce sens, les calculs de risques devront, eux aussi, être revus en tirant les leçons de ces derniers jours.

Le barrage d’Eupen a-t-il empiré la situation ?

Parmi les barrages qui sont scrutés, celui d’Eupen, qui aurait lâché ses eaux quand la Vesdre débordait déjà, empirant la situation.

Sébastien Erpicum, gestionnaire du laboratoire d’hydraulique des constructions, à l’ULiège, recadre : "Les barrages réservoir en Belgique sont situés en tête de bassin, donc très en amont. Ils drainent donc des superficies de terrain très limitées. Ils ne peuvent contrôler qu’une petite partie de la rivière. Evidemment, après-coup, on se dit qu’on aurait pu faire mieux. Mais dans tous les cas, on n’aurait pas pu éviter ce qu’il y a eu la semaine passée". Il ne manque toutefois de reconnaître qu’on aurait pu anticiper davantage, bien que cela, à son avis, n’aurait pas "changé grande chose".

Du côté de l’Ourthe, plusieurs barrages devraient permettre de réduire les risques : "Sur l’Ourthe il y a le barrage de Nisramont en amont et des barrages sur les principaux affluents de l’Ourthe qui sont la Vesdre et l’Amblève", explique le chercheur. D’après lui, ces bassins ne sauraient pas réguler les débits en crue de manière significative : par exemple, le barrage de Nisramont a, en principe, une tout autre finalité. Il sert de réserve d’eau potable et ne pourrait, selon lui, en aucun cas gérer les crues avec ses caractéristiques actuelles.


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Sans compter que même la possibilité de construire un autre barrage serait assez complexe, d’après lui. Dans un territoire aussi densément urbanisé comme la vallée de l’Ourthe, cela impliquerait des expropriations, tout en ayant un certain nombre de limites. Pour Sébastien Erpicum, le "barrage n’est qu’une partie du système de prévention des crues".

Ce qui pourrait véritablement changer la donne est, en revanche, le fait de repenser et diminuer l’urbanisation en engageant une véritable réflexion profonde pour réduire la vulnérabilité des zones inondables.

Une crue qui déjoue toutes les prévisions

En effet, les experts l’admettent : cette crue dépasse toutes les prévisions. Et pourtant, il n’est pas impossible qu’elle se répète. Alors que ce genre d’événements étaient prévus pour 2070, voire 2100, la nature a montré à quel point elle pouvait être imprévisible.

"D’après les scénarios d’évolution du climat, ce genre d’événements peuvent devenir de plus en plus fréquents à l’avenir. On constate que bien que la probabilité d’avoir de telles inondations soit faible, elles se produisent quand même", explique Benjamin Dewals, expert en hydraulique à l’ULiège.


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"Il existe un tiers de pourcent d’atteindre ces débits, en probabilité annuelle, poursuit-il. Or, la plupart des outils de gestion qu’on utilise sont basés sur des événements dont la probabilité est de 1% sur base annuelle (on les appelle des 'crues centennales'). Ici, nous sommes bien au-delà de cela. Cela prouve que ces éléments doivent être pris en compte dans la gestion du risque, comme le précise également la directive inondation européenne".

Comprenez : en deux jours, il est tombé sur un sol d’un m2 l’équivalent de 20 seaux d’eau. Le débit de l’Ourthe d’ordinaire à 60 m3/s est passé subitement à 1200 m3/s : c’est 20 fois plus que la normale.

Le rapprochement entre ces catastrophes naturelles et le dérèglement climatique est immédiat : "Il est impossible d’établir un lien avec le changement climatique sur base d’un seul événement. Toutefois, ce que l’on observe est parfaitement cohérent avec toutes les informations dont on dispose en matière de perspectives liées au changement climatique", éclaire-t-il.

Barrages : mauvaise gestion ou crue exceptionnelle ?

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