Santé & Bien-être

Médicaments trop chers : et le "juste prix" est… ?

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Et si nous payions le "juste prix" pour les médicaments les plus onéreux ? C’est le défi ambitieux que lance Solidaris. La mutualité socialiste a évalué, sur la base d’un calculateur, réalisé par l’Association Internationale de la Mutualité, ce que serait le "prix juste et transparent" des médicaments dont le tarif est négocié par convention secrète entre la firme pharmaceutique et le ministre des Affaires sociales. Ce système de négociation permet aux firmes pharmaceutiques de demander des prix élevés, sans qu’on sache à quel prix elles vendent le même médicament dans des pays voisins. Les firmes restituent par la suite des ristournes à la plupart des pays.

Le prix, la ristourne…

Pour ces ristournes-là, ce n’est pas la transparence totale, mais on connaît au moins grâce à l’INAMI le pourcentage de restitutions sur l’ensemble des médicaments sous contrat durant l’année 2020 : en Belgique, elles représentaient 41,19% du prix facial (le prix sans ristourne) des médicaments, soit 754 millions d’euros. En clair, la firme demande au départ un prix gonflé artificiellement, pour ensuite arriver à ce à quoi elle est disposée à descendre. Ce qui apparaît comme une économie n’est en fait qu’une dépense revenue à un prix… pas encore normal.

Pour 2023, d’après les estimations du Comité de l’assurance de l’INAMI, ces restitutions venues des firmes pharmaceutiques représenteront plus de 1,4 milliard d’euros. Calculez : de 754 millions à 1,4 milliard. Faites fois deux… Principalement parce que le prix proposé au départ a gonflé, car même après déduction de ces "ristournes", les dépenses de l’INAMI vont augmenter.

Des prix astronomiques en hausse

Les prix des médicaments délivrés à l’hôpital aux patients en hospitalisation de jour ont grimpé de 20% par an, d’après les chiffres de l’INAMI. Ces médicaments récents traitent des maladies graves, touchent un nombre restreint de patients mais à un coût monumental : si l’on prend les 10 médicaments les plus chers par patient, qui traitent de maladies rares, il faut débourser entre 180.000 et 450.000 euros par patient et par an.

A titre d’exemple, une molécule comme le Galsulfase, commercialisée sous le nom de Naglazyme, a coûté pour l’année passée 454.217 euros par patient. Elle soigne les patients souffrant d’une maladie métabolique héréditaire très rare, due à un déficit en une enzyme, qui provoque des manifestations neurologiques, cardiaques, respiratoires et ostéoarticulaires. Le traitement nécessite une perfusion intraveineuse par semaine. La maladie porte le nom complexe de "mucopolysaccharidose de type VI".

Les 10 médicaments les plus chers

© Source : Solidaris – Infographie : Claire Pineux

Les médicaments contre le cancer ont un prix un peu moins élevé par patient, mais touchent un plus grand nombre. Ils font donc partie des médicaments qui coûtent le plus cher à l’assurance maladie. Les 5 médicaments contre le cancer qui grèvent le plus le budget ont coûté 686 millions d’euros (bruts, avant restitutions faites dans le cadre des contrats confidentiels) à l’assurance maladie en 2020, soit 12% des dépenses totales (brutes également) pour les médicaments. Keytruda représente à lui seul plus de 300 millions. Il faut savoir que le coût ne représente pas le coût d’un traitement complet pour la plupart des médicaments, mais uniquement le traitement en 2020.

© Source : Solidaris – Infographie : Claire Pineux

Le "juste prix" selon Solidaris

Le calculateur en ligne de "juste prix" mis en place par l’Association Internationale de la Mutualité (AIM) tient compte de différents coûts pour la firme pharmaceutique : la recherche et développement, la production et les frais généraux, la vente et l’information médicale, le profit de base et un bonus à l’innovation. Une version en français du calculateur est disponible ici.

Le profit est estimé à 8% de l’ensemble des coûts. Le bonus à l’innovation, à une fourchette située entre 5 à 40% de l’ensemble des coûts en fonction de la valeur thérapeutique estimée du médicament par rapport aux traitements existants. Au bout du compte, Solidaris espère aboutir à un prix européen unique pour le traitement d’un patient.

Exercice pratique sur 7 médicaments en Belgique

Solidaris a passé 7 médicaments au calculateur :

  • Deux traitements pour les maladies (ultra) rares, le Zolgensma (thérapie génique qui a servi à la petite Pia, atteinte d’amyotrophie spinale ou SMA) et le Spinraza (SMA également).
  • Deux traitements contre le cancer : Opdivo, contre le mélanome avancé ou métastatique et Lonsurf, contre le cancer gastrique métastatique
  • Trois traitements chroniques : Jardiance, contre le diabète de type 2, Cosentyx, notamment contre le psoriasis en plaques, la spondylarthrite ankylosante, le rhumatisme psoriasique… et Entresto, contre certaines formes d’insuffisance cardiaque chroniques.

Après calcul du "juste prix" selon le modèle, l’estimation de ce qu’il "faudrait payer" se situe entre 6% et 67% du prix réel actuel, selon le médicament.

© Source : Solidaris – Infographie : Claire Pineux

La mutualité conclut : "Si le prix juste avait été appliqué pour les 7 médicaments de l’étude pour lesquels 130 millions ont été dépensés en 2020, plus de 99 millions d’euros ont été dépensés en 2020, soit en moyenne 76,67% ou les trois-quart du prix payé actuellement."

© Source : Solidaris – Infographie : Claire Pineux

Nous avons sollicité Pharma.be, qui représente l’industrie pharmaceutique. David Gering, directeur de la communication de Pharma.be, explique que "dans un processus de recherche pour un nouveau médicament, qui peut durer 10 ans, qui prend souvent un investissement d’1 milliard d’euros pour 1 médicament, il y a un certain coût, certains éléments qui entrent en compte pour déterminer le prix définitif. Est-ce qu’une firme pharmaceutique fait des profits ? Oui ! Parce que les profits sont nécessaires pour innover, pour développer de nouveaux traitements. Des pertes arrêtent le progrès. On peut se demander aussi si c’était tellement facile de créer de nouveaux médicaments beaucoup moins chers, pourquoi les gens ne le font pas déjà ? Parce que justement il faut des profits pour pouvoir investir des montants énormes pendant 10 ans pour trouver un nouveau médicament et souvent un médicament au bout de 10 ans n’arrive même pas sur le marché, parce qu’il y a une erreur dedans… Donc, tout ça, c’est un système qui est complexe, qui ne s’explique malheureusement pas par une ou deux phrases chocs. Ce qui est important à savoir, c’est que les prix en Belgique sont fixés, pas par les firmes pharmaceutiques, mais dans un cadre juridique strict où Solidaris et d’autres mutualités siègent."

Solidaris ne remet pas en question la nécessité du profit, mais sa marge. La mutualité espère intégrer dans la loi son calculateur comme référence de discussion, lors de négociations tarifaires. A terme, la Belgique seule ne peut pas faire grand-chose sans un alignement et un mouvement européen.

Sur le même sujet : Extrait JT (26/01/2023)

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