Cet homme qu’on dira puissant — du moins sur le plan des lettres et des arts — puisque Jérôme Garcin est rédacteur en chef des pages culture du Nouvel Observateur, et qu’il est animateur et producteur pour France inter de l’émission Le Masque et la Plume, met cette fois genou en terre. S’avoue autant vaincu par ce destin qui s’acharne, que vaincu par l’amour inquiet qu’il porte aux siens, à sa famille, ses enfants et petits-enfants qu’il place ici sous le dais protecteur d’un "débordant amour" comme il l’écrit.
C’est un livre d’amour qui réussit le miracle de nous prendre doucement par le bras, pour nous inclure dans le cercle de la narration. Jérôme Garcin trouve en effet la juste distance, entre la triste ironie et la douleur, pour traverser les cruels aléas du hasard.
Les portraits de sa mère et de son frère sont merveilleux. Elle, si on devait la jouer, on la verrait bien sous les traits de Madeleine Renaud, fragile en son grand âge mais cristalline, curieuse, passionnée. Quant à son frère Laurent, il aurait été magnifiquement interprété par Michael Lonsdale, qui se trouvait être le frère d’âme et de transept de sa mère, tous deux fidèles au même Dieu et à la même paroisse.
Ce sont des pages pleines de grâce, comme dirait l’autre. Et d’échardes. Et de sourires en effet. Elles ont cette texture, si rare, de la défaillance sans l’apitoiement, du chagrin sans l’amertume, de l’intime sans déballage, et du sensible par imprégnation.
Les portraits de famille sont adorables. Des portraits de gens ordinaires, comme nous le sommes tous, mais qui étaient brillants, chacun à sa manière, intimidants, plein de savoirs et d’esprits pour son père, ou simplement présents, désarmants, "d’une bonté sans emploi" comme l’écrit Jérôme Garcin à propos de son frère.
Cette incantation aux disparus, cette adresse déguisée et superstitieuse à la mort et à l’avenir, rencontre ici la tendresse la plus vive, la plus brûlante, à laquelle s’ajoute la reconnaissance d’avoir pu les rencontrer. Et la gratitude pour ce qui fut donné, reçu, perdu, inavoué ou clamé comme cette fois, les larmes au bord du cœur.