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Métavers : en quoi cela va-t-il changer notre rapport au monde ?

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Par Lucy Dricot, sur base d'un sujet de Florence Caeymax

Lubie pour certains, réelle évolution de la société pour d’autres, le Métavers reste une notion encore floue pour bon nombre d’entre nous. Pourtant, le concept commence à s’étendre petit à petit au-delà des frontières de l’industrie du gaming et pourrait bientôt faire partie de notre quotidien. Qu’est-ce que cela veut dire ? En quoi le Métavers va-t-il changer notre vie et notre rapport au monde ? Eléments de réponses avec Florence Caeymax, chercheuse au FNRS et professeure de philosophie à l’université de Liège.

C’est quoi un métavers ?

Un métavers, c’est un peu "la fusion du jeu vidéo, de la réalité augmentée et de toutes les activités que nous menons déjà à travers internet", explique Florence CaeymaxContraction du mot "méta" et du mot "univers", un métavers est en fait un espace virtuel couplé à des technologies de réalité augmentée, éventuellement immersives.

"Pour le moment, la création d’un "métavers complet" n’est pas encore accomplie, parce que cela demande énormément de coordination. Mais des investissements très importants sont en train d’affluer dans cette direction", précise Florence Caeymax. Il existe cependant déjà des "métavers locaux et partiels" qui proposent des concerts immersifs, des visites d’appartements, ou encore des pop-up stores virtuels "comme si on y était".

"Le Métavers ne prétend pas composer un univers parallèle"

© We Are – Getty images

"Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le Métavers ne prétend pas composer un univers parallèle ou réaliser l’utopie d’un monde à côté ou au-dessus du nôtre", rassure Florence Caeymax. En réalité, les campagnes de promotion présentent le Métavers comme une version améliorée des applications que nous connaissons déjà, qui nous permettraient par exemple de parler avec quelqu’un en ligne "mais en nous le rendant présent à côté de soi"; ou de percevoir l’environnement de manière augmentée grâce à des lunettes spéciales faisant apparaître dans notre champ visuel des informations inaccessibles à nos sens (par exemple, la force des UV).

"Le Métavers, ce n’est pas le projet d’un "autre monde", mais plutôt le projet d’une hyper-connexion à notre monde avec des expériences réelles augmentées qui nous connectent encore plus fort aux réalités qui nous entourent."

Un autre « être-au-monde », selon les philosophes contemporains

Pour les philosophes contemporains, ce projet de Métavers risque inévitablement de façonner ce qu’ils appellent notre "être-au-monde" : "nous sommes toujours engagés dans le monde d’une certaine manière et chaque sorte d’être vivant se caractérise par une certaine façon bien définie d’être en connexion avec son milieu, qui dépend du type de sensibilité mobilisée, de la culture, etc. […] L’imagination, le langage et les technologies orientent nos capacités perceptives et cognitives ainsi que nos capacités d’agir ; ce sont pour nous des moyens d’entendre et de répondre aux sollicitations des êtres qui participent à notre vie", explique la chercheuse. C’est donc en ce sens que l’existence et l’utilisation d’un Métavers changeraient notre perception du monde et des choses.

Le problème, prévient Florence Caeymax c’est que "ce qui "compte" pour certains vivants peut tout à fait être indifférent ou invisible pour d’autres vivants." En d’autres termes : ce qui fait sens pour quelqu’un peut très bien ne pas faire sens pour quelqu’un d’autre. "Or, il nous est constamment nécessaire d’apprendre à saisir ce qui compte pour les autres vivants, comme il est nécessaire d’apprendre ce qui fait sens pour les autres, sans quoi "nos" mondes ne peuvent pas tenir."

Aucune façon de vivre n’est innocente : les façons "d’être-au-monde" doivent être constamment arrangées et négociées.

Qu’est-ce qui coince alors, dans "l’hyper-connexion" ?

© We are - Getty images

Le problème de l’hyper-connexion, ce n’est pas le passage par la technologie, mais plutôt la prétention d’une poignée de compagnies à façonner, à une échelle inédite, nos manières d’être-au-monde et de nous connecter aux autres et à la terre elle-même. "Ils leur faudra bien choisir ce qui mérite d’augmenter notre perception du réel, ou ce qu’il est important de faire exister dans les univers virtuels où nous pourrons nous mouvoir" prévient Florence Caeymax.

Qui décide et décide quoi, et pour qui ? Qu’est-ce qui sera pris en compte, dans cette intensification de nos connexions ?

Pour Florence Caeymax, "les crises écologiques et sociales dans lesquelles nous sommes aujourd’hui entrés attestent que les manières d’être-au-monde héritées de la modernité industrielle sont de mauvais arrangements, fondés sur la non-prise en compte de ce qui compte vitalement pour nombre d’humains et non-humains et sur l’oblitération de ce qui faisait sens culturellement pour des tas de sociétés humaines, engendrant des usages du monde destructeurs."

Il est donc significatif que le métavers se vende comme un projet d’améliorer les connexions du monde humain, passant sous silence les gigantesques ressources naturelles et infrastructures matérielles nécessaires à sa réalisation. "Il se pourrait bien que, piloté par quelques-uns, le Métavers ne soit que la réplique d’une façon d’être-au-monde marquée par l’ignorance et la réduction au silence de ce qui compte pour les autres formes d’existence, auxquelles nos vies sont pourtant liées. La question est de savoir si nous avons voix au chapitre", conclut Florence Caeymax.

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