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Météo et communication : ce que le Débarquement de Normandie peut enseigner à la contre-offensive ukrainienne

L'oeil dans le rétro

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Par Pierre Marlet via

C'est l'un des épisodes les plus célèbres de la Deuxième Guerre mondiale : le 6 juin 1944, le Débarquement de Normandie a lancé la contre-offensive des forces alliées en Europe de l'Ouest pour libérer les pays envahis par les nazis. Cette opération a été une réussite stratégique, notamment grâce à une fine analyse météorologique et un travail de communication qui ont créé un véritable effet de surprise. De quoi inspirer la contre-offensive ukrainienne ?

Il y a 79 ans se déroulait le Débarquement de Normandie, la plus grande opération militaire de tous les temps. Si la date du 6 juin 1944 reste dans toutes les mémoires, on sait parfois moins que l'opération Overlord devait en principe avoir lieu le 5 juin.

Tout était prêt pour cette date : les troupes étaient déjà sur les bateaux et un certain nombre de convois avaient déjà quitté les ports anglais pour se préparer à traverser la Manche. Cependant, en ce début juin 44, le temps est exécrable. Les responsables militaires hésitent : faut-il braver les éléments ? Mais les barques de débarquement ne risquent-elles pas de sombrer ? Et comment s'assurer d'obtenir une couverture aérienne, si les avions ne peuvent pas décoller ? Au dernier moment, le commandant en chef des forces alliées le général américain Dwight Einsenhower décide d’un report de 24 heures. On avertit toutes les unités mais un convoi n’entend pas le contre-ordre et continue sa route vers la France. Il faudra dépêcher en catastrophe des hydravions pour lui faire faire demi-tour. Cette annulation de dernière minute a bien failli tourner à la catastrophe.

La pluie, un véritable avantage pour les Alliés

Finalement, le Jour J du Débarquement a lieu le 6 juin. Pourtant la météo ne semble pas s’améliorer en ce 5 juin 1944, moment où le commandement doit se décider. Les Alliés prennent finalement le risque de lancer l'offensive car les services météos ont détecté une courte amélioration pour le 6 juin.

Leur chance, c’est que cette amélioration, les radars allemands ne l’ont pas détectée. En d'autres termes, la pluie intense du 5 juin 1944 va représenter un énorme avantage pour les Alliés. D’autant qu’en ce  5 juin 44, le général Erwin Rommel, rassuré par la tempête, prend la route de l’Allemagne avec un double objectif : fêter l’anniversaire de sa femme le 6 juin et aller rencontrer Hitler pour le persuader de lui donner davantage de troupes. Grâce au report inopiné du Débarquement de 24 heures, le général allemand chargé de défendre les côtes françaises était loin du front. 

Cela signifie que les Alliés réussissent à prendre leur adversaire par surprise, ce qui était loin d’être évident puisque les nazis attendaient ce débarquement sur les côtes françaises. Les Allemands avaient d'ailleurs consolidé leurs positions en bâtissant depuis 1942 le Mur de l'Atlantique, système de fortifications côtières s'étendant de la Norvège à la frontière franco-espagnole fait de bunkers, de tranchées et de défenses anti-aérienne et anti-char.

Les troupes américaines ont surpris les Allemands en débarquant en Normandie, notamment à Omaha Beach, le 6 juin 1944.
Les troupes américaines ont surpris les Allemands en débarquant en Normandie, notamment à Omaha Beach, le 6 juin 1944. © Universal History Archive/Universal Images Group via Getty Images

Lasser les généraux allemands des alertes d'un débarquement à répétition

Et l'effet de surprise ne se limite pas qu'à l'analyse météorologique. Au soir du 5 juin, les Allemands ont eu une dernière chance d’éventer le secret : Radio Londres diffuse à trois reprises à destination de la Résistance française les célèbres vers du poème de Paul Verlaine"Les sanglots longs des violons de l'automne" avait été diffusé le 1er juin. Il mettait en état d’alerte la Résistance française : le débarquement était pour bientôt. Le deuxième vers du poème, diffusé le 5 juin "bercent mon cœur d’une langueur monotone" signifie qu’il faut passer à l’acte : saboter les infrastructures ferroviaires, les routes, les lignes téléphoniques pour désorganiser l’armée allemande et retarder l’arrivée des renforts. On imagine l’effervescence qui régna dans la nuit du 5 au 6 juin auprès de ces résistants qui attendaient ce moment depuis si longtemps. Le souci, c’est que le Renseignement allemand avait décodé le poème. Autrement dit, ils savent que la diffusion du poème de Verlaine signale l’arrivée prochaine des Alliés.

Les Allemands déclenchent alors l’alerte, mais dans... le Pas-de-Calais, pas en Normandie. Pourquoi ? Parce que les alertes se sont multipliées durant les dernières semaines, particulièrement en mai quand le temps était au beau fixe. Dès lors, quand on déclenche l’alerte à tout bout-de-champ et qu’il ne se passe rien, la lassitude s’installe dans l'esprit des défenseurs. Et certains généraux ne croient plus guère dans ces alertes à répétition. D’autant que si le poème de Verlaine annonce l’imminence du Débarquement, il ne dit pas où il aura lieu. Or, au sein de l’armée allemande, beaucoup croient qu’il aura lieu dans le Pas-de-Calais. L’arrivée des Alliés sur les côtes normandes au matin du 6 juin est donc pour eux une surprise totale.

La scène du film Le Jour le plus long la résume à merveille : au petit matin, le major Pluskat observe la mer avec ses jumelles et est estomaqué de voir une flotte immense pointer à l'horizon.

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Manier le savoir et la communication pour brouiller les pistes

Déterminer une date précise pour une contre-offensive peut donc conditionner sa réussite. Au-delà de l’exploit militaire, le succès du Débarquement réside aussi dans deux autres enjeux :

  • Le savoir. En l'occurrence celui des services météos britanniques qui ont décelé une information essentielle inconnue des Allemands : une accalmie le 6 juin.
  • La communication. Les Alliés avaient entrepris une opération d’intoxication d'envergure pour persuader les Allemands que le Débarquement aurait lieu ailleurs qu’en Normandie. Appelée opération Fortitude, elle a tellement bien fonctionné qu’après le 6 juin, Hitler reste persuadé que le débarquement de Normandie n’est qu’une diversion. Il laisse donc dans le Pas-de-Calais une armée entière avec ses blindés pour repousser un envahisseur qui n’arrivera jamais.

En temps de guerre, savoir où et quand viendra l’offensive est un élément essentiel. Ce qui était vrai en 1944 en Normandie l’est aussi en Ukraine en 2023, près de 80 ans plus tard.

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