Littérature

“Mexican Gothic”, un roman d'horreur hanté par le passé

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Dans son nouveau roman, l'autrice mexicano-canadienne Silvia Moreno-Garcia revisite le gothique et l'horreur.

Un grand manoir sombre, une jeune femme en quête de vérité, une histoire d'amour naissante, un long empoisonnement, un patriarche inquiétant : tous les éléments de l'horreur gothique semblent réunis dans le dernier roman de Silvia Moreno-Garcia. Difficile de faire autrement lorsqu'on s'aventure dans un genre aussi balisé que celui-là. Les clichés sont quelque part ce qui fait la saveur du roman gothique. Dès lors, emprunter les routes tracées par des grands noms comme Du Maurier, Poe, Lovecraft ou Shelley n'est pas déconseillé, c'est même recommandable. Ce que l'autrice de "Mexican Gothic" a parfaitement compris avec ce roman à la fois archaïque et moderne.

Plutôt que de chercher à révolutionner le genre, elle tente de lui insuffler une autre âme. Et quelle meilleure manière de s'approprier l'horreur gothique que de le déraciner de ses lieux habituels ? Pas de campagnes anglaises ni de petite ville du Rhode Island ici : nous sommes au Mexique dans les années 50, un cadre socioculturel foisonnant que Moreno-Garcia utilise à excellent escient. Pas question non plus de placer au centre du récit une jeune femme fragile et naïve. Noemí Taboada, la protagoniste du roman, est une fille de la bourgeoisie et de la haute société mexicaine qui évolue dans le monde d'un pas assuré, armée de son rouge à lèvres, de ses bons mots et de son intelligence raffinée.

Ces qualités lui permettent de tenir tête à la belle-famille anglaise de sa cousine, soupçonnée d'être empoisonnée par leur soin. Envoyée par son père dans la demeure victorienne de cette inquiétante famille, Noemí découvre un lieu vétuste enfermé par la brume et les montagnes, où règnent les non-dits, les mensonges et un sinistre patriarche, Howard Doyle, qui semble à l'article de la mort. Évoquant son apparence, l'autrice nous propose une description peu flatteuse du vieil homme : "Sa pâleur évoquait celle de créatures souterraines. Une sorte de limace, avec des veines bleu et pourpre formant un réseau arachnéen sur sa peau blanche."

Mais l'âme de ce personnage est peut-être dans un pire état que son corps, comme le suggèrent ses thèses racistes à base d'eugénisme. En ce sens, il n'est pas très éloigné de l'auteur auquel il doit son prénom. Howard Phillips Lovecraft nourrissait dans ses textes comme dans sa vie une haine prononcée pour tous ceux qui ne partageaient pas sa couleur de peau. En s'appuyant de manière évidente sur l'imaginaire du créateur de Cthulhu, tout en traitant ses idées racistes comme une source d'horreur, "Mexican Gothic" parvient à négocier cet héritage compliqué. Les monstres convoqués par le roman ont d'ailleurs tout à voir avec le passé colonial du Mexique et l'exploitation des travailleurs.

Avec de telles thématiques, le roman aurait facilement pu se transformer en sermon. Mais Moreno-Garcia parvient à ancrer ces sujets dans son récit de manière très naturelle. Mené par sa prose expressive et élégante, on lit avec plaisir par ce récit frissonnant, qui nous entraîne en terrain connu d'un oeil neuf. 

 

“Mexican Gothic” de Silvia Moreno-Garcia, traduit de l'anglais par Claude Mamier, Éditions Bragelonne, 352 pages.

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