Vous avez écrit cet ouvrage en pleine pandémie, quel regard portez-vous sur celui-ci aujourd’hui ?
Michelle Perrot : Je ressens beaucoup de satisfaction de l’avoir fait. Ça a été un échange avec plaisir et grand intérêt. Cette conversation laisse des traces.
Wassyla Tamzali : Pour moi, ça a été une occasion formidable d’aller jusqu’au bout de certaines questions. Être entendue par quelqu’un comme Michelle, c’était important. Grâce à sa qualité, son expérience, son savoir, je pouvais aller encore plus loin. Aussi, derrière Michèle, je m’adressais à la France et ça a permis d’ouvrir un dialogue sur cette question tellement importante de la France et de l’Algérie.
Michelle Perrot vous commencez ce livre en parlant du monde tel qu’il est devenu que vous dites ne plus comprendre. Pourriez-vous développer ces propos ?
Michelle Perrot : Je trouve que d’une certaine manière, notre époque (celle que j’ai vécue) était plus simple : on savait quoi penser, quel parti prendre… Aujourd’hui, je trouve que les choses sont beaucoup plus complexes, mais ça vient aussi du fait que je suis vieille maintenant ! Par exemple, le numérique, je m’y suis mise comme tout le monde, mais de façon basique et des tas de choses m’échappent. Or, le numérique, ce n’est pas juste la technique, c’est aussi une fluidité dans la société, une manière de penser.
Wassyla Tamzali : Je ne suis pas d’accord. Je crois que nous n’avons jamais su quoi penser. Nous avons toujours évolué dans un monde en mouvement. Au contraire Michelle, je pense que vous êtes dans le présent et faîtes partie de celles et ceux qui continuent de faire avancer la pensée.
Michelle Perrot : Oui, mais nous nous trouvons quand même face à des problèmes nouveaux comme la crise climatique. Je ne dis pas que notre monde n’était pas complexe, mais nous avions des clés qui fonctionnaient encore.
Wassyla Tamzali : Nous avons la clé, mais n’avons pas la force politique pour trouver une solution !
Les informations sont telles que les jeunes ne peuvent pas tout savoir. Nous, nous avons un rôle de transmission à jouer.
Dès le début de l’ouvrage, vous vous demandez si vos convictions universalistes ne sont pas dépassées. Vous nous expliquez ?
Michelle Perrot : Vous savez, à un moment de ma vie intellectuelle, j’ai été très méfiante envers la notion d’universalisme en me disant que c’était un cache-sexe. L’historienne américaine Joan Scott a beaucoup écrit sur cette notion. Selon elle, les féministes républicaines françaises se leurrent. Je pense que chaque individu que nous croisons a son histoire, et découvrir cela est une richesse considérable, mais il y a ce gouffre des différences qui risque de mener à l’atomisation de la société, d’où mon recentrage vers l’universel qui doit rester un objectif. Et je défends l’intersectionnalité, aujourd’hui comme autrefois.
Wassyla Tamzali : Moi, je suis vraiment universaliste. J’ai travaillé à l’Unesco pendant vingt ans et j’ai été une praticienne de l’universel dans ce contexte. Je crois que dans ce chaos, s’il reste un principe pour nous aider à voir clair, c’est l’universalisme. Pour moi, c’est vraiment un mode de lecture fondamental. Par exemple, je pleure pour le peuple ukrainien, mais je suis choquée de voir comment on reçoit les Ukrainiens et comment on ne reçoit pas les autres. Selon moi, c’est le discours universel qui nous réunit : la pauvre et la riche, et la noire et la blanche. C’est cette idée d’universalisme qui a donné naissance à la pensée progressiste : l’universel abroge les privilèges.