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Migrants en Méditerranée : la France critique vertement le refus italien d’accueillir l’Ocean Viking

Un migrant nécessitant des soins médicaux urgents récupéré par un hélicoptère de l’armée française depuis le navire de sauvetage Ocean Viking le 10 novembre 2022 dans la mer Tyrrhénienne entre l’Italie et la Corse

© Vincenzo Circosta / AFP

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Par Jean-François Herbecq avec AFP

L’accueil des migrants secourus en Méditerranée par des navires humanitaires provoque des tensions entre la France et l’Italie. En jeu, le mécanisme européen de répartition des migrants arrivés sur les côtes sud de l’Europe.

Ces derniers jours, de nombreux migrants cherchant à rejoindre l’Europe ont pu atteindre les côtes italiennes sur leurs embarcations. Mais beaucoup se sont retrouvés en difficulté et ont été sauvés par des bateaux affrétés par diverses organisations humanitaires. Certains ont pu débarquer dans des ports italiens, mais Rome refusait de laisser accoster l’Ocean Viking avec à son bord 230 migrants, dont 57 enfants.

Bras de fer entre Rome et Paris

Après 20 jours en mer, ce sera finalement la France qui les recevra. "A titre exceptionnel", précise le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin qui critique vertement le "choix incompréhensible" de l’Italie de ne pas les accepter. "Il n’y a pourtant aucun doute au regard du droit international et du droit de la mer que c’était à l’Italie de désigner immédiatement un port sûr pour accueillir ce bateau", a dit le ministre.

Le ton est à la crise, la France promet de "tirer les conséquences" de l’attitude italienne. En guise de protestation, Paris a déjà décidé de suspendre immédiatement l’accueil prévu cet été de 3500 réfugiés actuellement en Italie.

Que deviendront les migrants accueillis en France ? Un tiers des migrants à bord seront relocalisés en France, selon Gérald Darmanin, mais ceux qui ne répondront pas aux critères de demandeurs d’asile "seront reconduits directement".

Gerald Darmanin
Gerald Darmanin © Ludovic MARIN / AFP

Gérald Darmanin précise que l’Allemagne s’était engagée à accueillir sur son territoire un tiers des migrants se trouvant actuellement à bord de l’Ocean Viking, une fois leurs dossiers examinés après l’arrivée du bateau à Toulon, et que des discussions étaient en cours avec d’autres gouvernements européens.

Le bateau remonte les côtes corses pour arriver ce vendredi à Toulon. Jeudi, quatre migrants sur 234 recueillis, dont trois pour des raisons médicales et un accompagnant, ont déjà été évacués par hélicoptère vers la Corse.

C’est le résultat d’un fiasco total de la part des Etats européens

L’ONG SOS Méditerranée qui a affrété l’Ocean Viking dit éprouver "un soulagement teinté d’amertume" après l’annonce de l’accueil du bateau par la France.

"La situation de l’Ocean Viking montre qu’il est urgent que les Etats européens mettent en place un mécanisme de répartition pérenne" pour les migrants sauvés en Méditerranée, insiste la directrice de SOS Méditerranée Sophie Beau, dénonçant le "calvaire vécu par les rescapés à bord" du bateau humanitaire.

"C’est le résultat d’un fiasco total de la part des Etats européens qui ont totalement bafoué le droit maritime", ajoute la directrice adjointe de l’ONG, Fabienne Lassalle. "On n’a jamais dit que c’était à l’Italie de prendre tout en charge, c’est une responsabilité européenne", a-t-elle insisté.

Des membres d'une ONG distribuent des rations alimentaires sur l'Ocean Viking
Des membres d'une ONG distribuent des rations alimentaires sur l'Ocean Viking © VINCENZO CIRCOSTA / AFP

Hier, la Commission européenne a estimé que "la situation à bord du navire a atteint un niveau critique et doit être résolue de toute urgence pour éviter une tragédie humanitaire".

L’Italie trie les débarquements

L’Ocean Viking n’est pas le seul navire à recueillir ainsi des migrants tentant une traversée dangereuse vers l’Europe. Trois autres bateaux d’ONG ont réussi à débarquer les migrants secourus, quelque 800 personnes au total.

A quai à Catane en Sicile depuis dimanche, le Geo Barents de Médecins sans frontières et Humanity 1 de l’ONG allemande SOS Humanity ont finalement pu débarquer la totalité de leurs passagers mardi soir, après un premier refus de l’Italie de les accepter sur son sol.

Au départ les autorités italiennes n’avaient accepté que les femmes, enfants et personnes malades, un tri décrit par Rome comme un moyen de pression sur l’Union européenne pour qu’elle aide davantage l’Italie. La Première ministre italienne Giorgia Meloni justifie ce tri au nom de la légalité : ces bateaux ne transportent "pas des naufragés mais des migrants", dit-elle, "et l’Italie respecte toutes les conventions internationales".

Ces migrants dont des enfants se préparent à monter sur le bateau Rise Above
Ces migrants dont des enfants se préparent à monter sur le bateau Rise Above © Severine Kpoti / Mission Lifeline / AFP

Le Rise Above a lui débarqué la totalité de ses 89 rescapés à Reggio di Calabria mardi.

Rome muscle ainsi son attitude sur le dossier de la migration, un tour de vis attendu depuis l’entrée en fonction du nouveau gouvernement italien mené par la Première ministre Giorgia Meloni (Fratelli d’Italia, extrême droite) qui comprend notamment Matteo Salvini (Lega, extrême droite).

Un mécanisme européen de répartition peu suivi

Au centre du bras de fer avec Paris, le système de relocalisation en place depuis juin et inspiré du système datant de 2019. Il prévoit qu’une douzaine d’Etats membres, dont la France et l’Allemagne, accueillent de manière volontaire 8000 migrants arrivés dans des pays comme l’Italie, proche des côtes libyennes.

Mais en pratique, seuls 164 migrants ont été relocalisés en 2022 d’Italie vers d’autres Etats membres, dont 117 en vertu du mécanisme adopté en juin. Un nombre insuffisant, juge l’Italie qui affirme que quelque 88.100 migrants sont arrivés sur ses côtes depuis le 1er janvier, dont seulement 14% via des navires humanitaires.

Une réunion de crise annoncée par la France

Cela n’empêche pas Gérald Darmanin de rappeler que l’Italie était le premier bénéficiaire du mécanisme de solidarité.

Une réunion de concertation avec la Commission européenne, la France et l’Allemagne devrait se pencher sur le dossier. L’Italie risque d’être mise aux bancs des accusés car son but, selon Gérald Darmanin, sera de tracer un "cadre permettant de tirer les conséquences de l’attitude italienne, de mieux réguler les actions de secours en mer par les ONG en Méditerranée".

Des arrivées par centaines dans le sud de l’Italie

Les arrivées de migrants dans des embarcations de fortune se poursuivent pendant ce temps sur les côtes italiennes. Ils viennent de Tunisie, et atteignent Lampedusa, cette île italienne située entre Malte et la Tunisie. Hier, ils étaient 522, et la nuit dernière encore 118…

Des petites barques, transportant une trentaine, voire une cinquantaine de personnes à la fois. Des Ivoiriens, des Burkinabés, des Guinéens, des Camerounais, des Nigérians… Au total une dizaine de barques parties en général de Sfax.

Un bébé mort dans la barque

Une des dernières embarcations arrivées dans la nuit transportait 36 personnes et le cadavre d’un nouveau-né de 20 jours. Le bébé est mort par hypothermie, les secours sont arrivés trop tard. L’enfant voyageait avec sa mère de 19 ans, il souffrait de troubles respiratoires et ses parents espéraient le faire soigner en Italie.

La maman a été transférée comme les autres occupants de la barque au centre d’accueil local.

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