Sur un air de cinéma

Mikis Theodorakis, icône de la vie musicale et politique grecque

Mikis Theodorakis, icône de la vie musicale et politique grecque

© ullstein bild via Getty Images

Mikis Theodorakis fut une figure considérable de la culture grecque, il a composé sa vie entre combats politiques, exils, et génie musical. Au gré des dictatures, ses partitions s’ancreront, à l’effigie de son prodige, aux œuvres les plus emblématiques du patrimoine musical grec. Il s’est éteint à l’âge de 96 ans.

À écouter aussi : Archive Ciné-Son autour du compositeur grec Mikis Theodorakis

Figure de la lutte contre les dictatures en Grèce, compositeur foisonnant trop souvent réduit à sa musique du film "Zorba le Grec", Míkis Theodorákis était une icône de la vie musicale et politique grecque.

Míkis Theodorákis voit le jour en 1925 sur l’île de Chios. Une île grecque à quelques encablures de la Turquie, dominée au fil de son histoire par l’un puis l’autre de ces pays, et dont la position ne sera pas étrangère au combat du député Theodorákis pour le rapprochement des deux nations. Très tôt passionné par la musique, les mutations de son père, fonctionnaire d’Etat, lui imposent une formation itinérante. Il n’a pas encore 16 ans lorsque son pays est envahi par les troupes italiennes et allemandes. Un an plus tard, il donne son premier concert à Tripoli, signe ses premières compositions : des chansons et une Sonatine pour piano et il entre en résistance.

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Des années de résistance en enfer

Arrêté et torturé par les Italiens lors d’une manifestation, il s’échappe pour Athènes où il rejoint le conservatoire de musique, le Front de Libération Nationale (EAM), et la pensée marxiste-léniniste.

Ses diplômes du conservatoire (en harmonie, contrepoint et fugue), le musicien ne les obtiendra que des années plus tard, en 1950. A peine libérée, la Grèce sombre dans la guerre civile, et Míkis Theodorákis – tout comme un certain Iannis Xenakis – s’oppose au gouvernement royaliste (et surtout anti-communiste) soutenu par les Britanniques puis par les Américains. Battu à mort pendant une manifestation en mars 1946, il se réveille dans une morgue le crâne fracturé et l’œil droit diminué. Exilé à plusieurs reprises, torturé, condamné à mort, Theodorákis est interné dans le camp de rééducation de Makronissos où il contracte la tuberculose.

Ces années en enfer pèseront physiquement sur le compositeur, et donneront naissance à de nombreux hommages musicaux pour ses compagnons tombés, à l’image de sa Première symphonie, dédiée à deux amis morts de camps opposés…

Sur le devant de la scène internationale

Dans une Grèce moribonde mais pacifiée, Míkis Theodorákis se fait connaître avec La fête de l’Assi-Gonia, composé en 1947 et donné à Athènes par l’Orchestre national en 1950.

Il épouse Myrto Altinoglou, rencontrée dix ans plus tôt. Tous deux obtiennent une bourse pour poursuivre leurs études à Paris, elle en radiologie à l’Institut Curie, lui au Conservatoire auprès d’Eugène Bigot pour la direction et d’Olivier Messiaen pour la composition.

Ce premier épisode parisien voit Míkis Theodorákis multiplier les compositions, et rencontrer ses premiers grands succès internationaux. Présidé par Chostakovitch, le Festival de Moscou donne la médaille d’or à sa Suite n°1 pour piano et orchestre en 1957.

Fin des années 50, sort le film Honneymoon, un film dont la musique est écrite par Mikis Theodorakis. The Honeymoon Song en est la chanson-titre et sera interprétée par Marino Marini. Une chanson qui sera reprise par la suite par les Beatles lors d’un de leurs passages dans les studios de la BBC en juillet 1963.

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Révolution culturelle en Grèce

Toujours fin des années 50, le ballet Antigone, sur une musique de Theodorákis, triomphe à Covent Garden ainsi que Nana Mouskouri en enregistrant Epitaphios, la lamentation du poète Yannis Ritsos inspirée par la mort d’un ouvrier de la fabrique de tabac de Thessalonique au cours d’une grève – mise en musique par Mikis Theodorakis et orchestrée par Hadjidakis. Profondément émouvantes, les sessions Epitaphios constituent l’une des meilleures œuvres de la longue carrière de Nana.

Ce cycle de chansons sème les graines de la révolution culturelle en Grèce.

Theodorakis est de retour en Grèce en 1960 et a pour projet de composer une musique néo-héllenique "pour les masses", une "chanson populaire-savante" sur le modèle d’Épitaphe. Il veut devenir le "Bartók grec". Un millier de mélodies verront donc le jour, sur des textes de Georges Séféris (Prix Nobel de littérature en 1963), Iakovos Kambanéllis, Yannis Ritsos…

Cette recherche d’une nouvelle musique grecque profondément ancrée dans la tradition, Míkis Theodorákis la diffuse sur la surface du globe en 1964 avec Zorba le Grec de Michael Cacoyannis, lorsqu’Anthony Quinn (Alexis Zorba) apprend à Alan Bates (Basil) à danser le sirtaki sur une plage. Une danse créée de toutes pièces pour le film, mélangeant de nombreuses autres danses traditionnelles tombées en désuétude, et qui devient un symbole national.

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Dès l’année suivante, Dalida reprend la musique et installe la danse de Zorba dans le palmarès des meilleures ventes de disques en Europe et en Amérique du Sud.

Míkis Theodorákis grave son nom dans la mémoire collective comme le compositeur du sirtaki de Zorba le Grec. Perçu comme le fer de lance d’une renaissance culturelle grecque, le compositeur est mûr pour se lancer en politique.

Le 27 mai 1963 à Thessalonique meurt le médecin et député de gauche Grigóris Lambrákis. L’attentat est politique, il secoue la Grèce entière et bouscule Míkis Theodorákis, qui fonde en réaction le mouvement des Jeunesses Lambrakis et se fait élire député de la circonscription du Pirée. Le mandat est de courte durée ; les Lambrakidès sont incorporés à la gauche dominante, l’EDA, et l’instabilité politique se solde par un coup d’État le 21 avril 1967. La dictature des colonels s’installe, elle emprisonne le compositeur et interdit sa musique.

En France, ces événements politiques sont portés à l’écran par Costa-Gavras, qui réalise Z en 1969, avec Yves Montand et Jean-Louis Trintignant. Le réalisateur demande à Míkis Theodorákis d’en composer la musique et ce dernier, emprisonné, lui propose de se servir dans son œuvre. Le film remporte le prix du jury à Cannes, l’Oscar et le Golden Globe du meilleur film étranger, et braque un projecteur de plus sur la dictature.

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Sous la pression internationale, et grâce notamment aux soutiens de Chostakovitch et de Bernstein, Theodorákis obtient finalement la permission de quitter le pays, et atterrit à Paris le 13 avril 1970. L’exil en France dure quatre ans et marque une nouvelle étape dans la vie du Grec, devenu icône contestataire. Il se lie à François Mitterrand, qui préface un de ses ouvrages et lui commande l’hymne socialiste du congrès de 1977, rencontre Salvador Allende et Pablo Neruda au Chili et projette la mise en musique du Canto General, poème épique de Pablo Neruda.

Mikis Theodorakis et le cinéma

Le réalisateur Cacoyannis a adapté Iphigenie en 1977 pour le cinéma. Une époque où Theodorakis était déjà rentré en Grèce, trois ans plus tôt, à la fin de la terrible dictature des colonels. Une partition ambitieuse qui marque l’originalité de Theodorakis mélangeant son amour des sonorités grecques avec un sens des masses orchestrales.

La vedette de ce film Iphigénie était encore une fois Irene Papas, incontournable en matière de tragédie grecque.

L’autre grande star grecque est sans conteste Melina Mercouri, actrice, chanteuse et politicienne grecque mondialement connue grâce au film Jamais le dimanche de Jules Dassin (1960), elle a célébré l’héritage culturel grec tout en prônant l’émancipation sous toutes ses formes.

Elle forme avec Theodorakis tantôt des icônes rassurantes, tantôt véhicules d’aspirations collectives, leur combativité exemplaire a fait d’eux de véritables héros contemporains qui n’ont rien à envier à ceux de la mythologie grecque.

Tout comme Theodorakis, Mélina Mercouri semble avoir particulièrement laissé son empreinte dans l’esprit des Grecs…

Au cinéma Theodorakis a croisé une fois la route de jules Dassin et Mélina Mercouri, c’était pour le film Phaedra. Un film dont l’action se déroule entre Paris, Londres et l’île grecque d’Hydra.

En 1973, Theodorakis travaille pour Sidney Lumet sur le film Serpico, dans lequel on retrouve Al Pacino dans le rôle-titre et qui raconte l’histoire d’un flic dans le New York des années 70.

La bande originale que signe Theodorakis est assez différente de l’image que l’on peut avoir du compositeur. Avec des petits côtés Lalo Shiffrin, Theodorakis est saisi par le funk.

Il persévère dans le cinéma aux côtés de Costa-Gavras pour un autre film, très politique, Etat de siège, avec Yves Montand dans le rôle principal. Le compositeur flirte un peu avec la musique des Andes et s’associe avec le groupe LOS CALCHAKIS

Au milieu des années 70, Theodorakis abandonne le cinéma peu à peu pour y revenir de temps en temps, mais ce ne sera plus vraiment une activité à part entière…

La fin de la dictature des colonels, en 1974, offre au compositeur un retour triomphal dans son pays natal. Depuis, il ne quitte jamais bien longtemps le devant de la scène politique. Il y participe activement dans les années 1980 et 1990, redevient député, et plus tard ministre d’Etat sans portefeuille dans le gouvernement de Konstantinos Mitsotakis, prônant le rapprochement entre Grecs et Turcs et le développement des structures culturelles.

Mais la figure sacrée s’effrite au fil du temps. A trop vouloir, selon ses mots, " être du côté des faibles " comme le peuple palestinien, Theodorakis en vient à tout mélanger : l’Etat d’Israël et les juifs, sionisme et sémitisme.

Míkis Theodorákis a traversé l’histoire. Sa présence nous rappelait au besoin une Europe pétrie de contradictions, de conflits, de guerres et de dictatures, de crises sociales et politiques. Enfant rare né de l’union entre musique et politique, il reste autant le compositeur du sirtaki de Zorba le Grec que l’une des plus grandes figures de la vie politique grecque.

Míkis Theodorákis est mort à Athènes, le 2 septembre 2021. Il avait 96 ans.

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