Les Classiques - Cyclisme

Milan-Sanremo 1922 : Heurté par un commissaire, Girardengo voit la victoire lui échapper ; sans cela il serait l’égal de Merckx sur la Primavera

Costante Girardengo passe la ligne à Sanremo

© La Stampa Sportiva – 9 avril 1922

Lorsque l’on regarde le palmarès de Milan-Sanremo, c’est un Belge qui trône en tête du nombre de victoire sur la Classissima. Eddy Merckx a remporté l’épreuve à sept reprises entre 1966 et 1976. Juste derrière lui se trouve l’Italien Costante Girardengo, le premier campionissimo, écrasant dominateur sur la course dans les années 1920 et vainqueur 6 fois sur la Primavera.

Il ne lui manque donc qu’un seul Milan-Sanremo pour être à la hauteur du Cannibale sur cette épreuve. Pourtant, l’Italien est passé à un cheveu d’y arriver. Un incroyable dénouement aurait pu permettre en 1922 à Costante Girardengo de revendiquer une victoire de plus. S’il n’avait pas été la victime d’un contrôleur de course inattentif à 200 m de l’arrivée…

Une course 100% italienne ou presque

Ce dimanche 2 avril 1922, Milan Sanremo connaît sa 15e édition. Après des débuts très internationaux (Victoire de Lucien Petit-Breton en 1907 pour la 1e édition, victoire du Belge Cyrille Van Hauwaert l’année suivante, du Français Eugène Christophe en 1910,… ), c’est un peloton pour ainsi dire uniquement italien qui prend le départ.

Non, la course ne connaît pas une baisse de réputation, elle simplement très mal placée dans le calendrier et empêche les stars internationales d’épingler l’épreuve à leur programme. Pour exemple, les cadors français sont mis au repos par leur équipe (JB Louvet & Soly). Les frères Pélissier viennent de participer au Tour des Flandres (avec une 3e et 4 place au classement) et à des courses françaises. Ils sont préservés en vue de Paris-Roubaix (où Henri l’avait emporté devant Francis en 1921) qui se disputera le 16 avril.

Côté belge, Emile Masson, Firmin Lambot (Vainqueur du Tour de France 1919 et 1922), René Vermandel (vainqueur du Tour des Flandres 1921) ou Hector Tiberghien (2X dans le top 5 de la Grande Boucle), pour ne citer qu’eux, ne sont pas plus présents. La première étape du Tour de Belgique se déroulant à la même date.

Un seul étranger est au départ, le Français Robert Asse, un second couteau principalement connu et respecté pour avoir repris le cyclisme après la Grande Guerre, malgré sa gueule cassée par un éclat d’obus.
 

Le peloton de la 15e édition de Milan-Sanremo
Le peloton de la 15e édition de Milan-Sanremo © Archives Moreschi

Le coup d’envoi est donné à 6h25 à la Conca Fallata aux portes de Milan, pour 290 kilomètres. Le ciel est dégagé et le soleil sera présent durant la journée. Mais les routes sont lourdes et boueuses car il a énormément plu en Lombardie la nuit et la veille.
Ils sont 66 Italiens à prendre la route. Parmi eux, un grand favori : Costante Girardengo ("Tous contre Girardengo" préface L’auto le 1er avril). Il a en effet toutes les qualités pour s’imposer avec une pointe de vitesse indéniable et des qualités de puncheur/grimpeur qu’il ne doit plus démontrer.
Ses plus coriaces adversaires sur le papier sont Gaetano Belloni (vainqueur du Giro 1920, du Tour de Lombardie en 1915 et 1918 et de Milan Sanremo en 1917 et 1920), Giovanni Brunero (vainqueur du Giro 1921, deuxième de Milan-Sanremo en 1921), Ugo Agostoni (lauréat de la Primavera en 1914 et qui donnera son nom à la Coppa Agostoni) ou Bartolomeo Aimo, qui a 22 ans représente la nouvelle génération italienne.

Petit changement dans le règlement : Il est désormais interdit d’échanger des roues entre participants. Ceci afin de ne pas favoriser un coureur. Et cela profite forcément aux lieutenants, qui ne sont donc plus contraints de jouer les équipiers de luxe.

Les routes boueuses de Milan-Sanremo 1922
Les routes boueuses de Milan-Sanremo 1922 © Rai

Départ groupé jusqu’au Turchino

La première heure de course se déroule sans encombre à une moyenne de 30 kilomètres/heure. Il n’y a rien de spécial à signaler jusqu’à Tortone où deux coureurs, Federico Gay et Camillo Arduino prennent la poudre d’escampette. Malheureusement pour eux, cela ne durera pas longtemps. Le peloton se reforme à l’approche d’Ovada. Alors que l’épreuve s’est pour l’instant disputée sur le plat, se profile à l’horizon la montée du Passo del Turchino. La difficulté, où se sont forgées des victoires dans le passé, est snobée par le peloton. C’est le vieux Ezio Corlaita (32 ans) qui mène les coureurs. Seule la toute fin du Turchino est un peu plus mouvementée. Les favoris se montrent mais personne ne prend l’ascendant. Girardengo passe en tête devant Aimo et Brunero.

Le passage du Col du Turchino
Le passage du Col du Turchino © Archives Moreschi

La descente est par contre menée à vive allure par Girardengo. A Masone, nouvelle accélération, cette fois par Aimo. Les favoris réagissent. Girardengo est le plus prompt devant Belloni et Brunero. Derrière on tire la langue et c’est la file indienne. Gay, Agostoni, Aimo, Zanaga, Azzini, Sivocci, Lucotti, Annoni sont toujours là.

On arrive sur le rivage de la Mer Ligure. Certains coureurs connaissent leur lot de malchance. Belloni et Sivocci crèvent, Gay a un problème avec son guidon.

Ils ne sont finalement plus que 6 en tête à Varazze : Brunero, qui est le plus actif, Girardengo, Zanaga, Agostoni, Azzini et Aimo. Le premier poursuivant est Lucotti, à 1’16, suivi de Linari et Annoni (2’02) et puis seulement Belloni (3’07).
La malchance frappe Azzini, qui chute et doit abandonner quelques kilomètres plus loin. Agostoni de son côté prend trop de temps au ravitaillement et laisse filer le quatuor.

Les coureurs en plein effort
Les coureurs en plein effort © La Stampa Sportiva – 9 avril 1922

Les 4 devant collaborent bien et accroissent leur avantage. Les Capi Mele et Cervo sont passés sans encombre. C’est dans le Capo Berta que la différence se fait, comme en 1921 d’ailleurs. Zanaga n’a plus de jus, Aimo est victime d’une crevaison : Girardengo et Brunero s’isolent. On se retrouve exactement dans le final avec le même duo que pour l’édition 1921.

Giovanni Brunero sait pertinemment qu’il sera battu au sprint. Le Piémontais ralentit donc l’allure pour faire revenir son coéquipier Aimo, plus véloce. Aimo y croit. Il revient petit à petit. Il voit les voitures qui suivent les hommes de tête. Mais il est trop tard, on aborde déjà le dernier kilomètre.

Milan - San Remo 1922

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Brunero lance son sprint de loin, très loin, essayant de contrer la vélocité de Girardengo. Soudain, un évènement qui restera gravé dans l’histoire de Milan-Sanremo intervient : un agent de sécurité, équipé d’un drapeau, traverse la route. Au pire moment, lorsque les deux coureurs sont proches de lui.

Brunero parvient de justesse à l’éviter mais pour Girardengo, c’est la catastrophe. Brunero a dévié de sa trajectoire, pas Girardengo. Le champion, lancé à pleine vitesse, est au sol. Selon certaines sources, le drapeau du commissaire s’est enroulé autour de la roue de Girardengo.

Brunero est resté debout, il continue sur sa lancée et va franchir la ligne en vainqueur. Girardengo est furieux. Il se remet en selle et conserve la 2e place.

Giovanni Brunero passe la ligne d’arrivée
Giovanni Brunero passe la ligne d’arrivée © La Stampa Sportiva – 9 avril 1922

Les deux hommes se serrent la main à l’arrivée. Brunero, un peu gêné, n’est en aucun cas fautif. Il remporte son premier monument, dans des circonstances complètement inhabituelles.

De son côté, Girardengo voit son compteur bloqué à deux sur la Primavera. Il en remportera 4 autres, en 1923, 1925, 1926 et 1928. L’histoire veut donc qu’il serait sur le même pied que Merckx au palmarès de l’épreuve si on ne lui avait pas mis des bâtons dans les roues en 1922…

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