Ce midi, le procès des attentats du 13 novembre a pu reprendre après une pause de trois semaines. Au menu de cette 65e journée d’audience : l’interrogatoire de celui surnommé par les médias comme l’Homme au chapeau, Mohamed Abrini. Il est le premier à répondre à des questions sur sa pratique religieuse et son passage en Syrie. Au fil de ses réponses, l'accusé a légitimé les attentats tout en rejetant toute responsabilité.
Sur les attentats
Lors des questions des parties civiles, Mohamed Abrini s’est emporté face à l’avocate Samia Maktouf. Dans une interview, celle-ci avait évoqué le fait que les accusés sont imperméables à la douleur des victimes. Un article manifestement lu par l’homme au chapeau qui s’énerve dans son box : "Ça me casse les couilles d’entendre ça ! Moi je n’étais pas à Paris et je n’ai tué personne !". Il ajoute : "Cette main-là n'a tué personne. Ce cerveau n'a rien commandité".
Puisque l'homme réfute son "imperméabilité" à la douleur des victimes, un avocat des parties civiles lui offre l'opportunité de s'adresser à elles. Dans un premier temps désarçonné, Mohamed Abrini se lance : "C'est très compliqué. C'est vraiment triste ce qui leur est arrivé. Elles sont doublement victimes. De la politique étrangère française et de celle de l'État Islamique". Mais quand l'avocat lui demande s'il condamne les attentats de Paris, Abrini préfère répondre : "La vraie question, c'est qu'est-ce qu'on fait pour que ça ne se reproduise plus ?".
Plus tôt dans cet interrogatoire, la question du testament rédigé et signé par Mohamed Abrini a été abordée. Celui-ci a été retrouvé par les enquêteurs après les attentats du 22 mars 2016. Aujourd'hui, Mohamed Abrini se défend : "J’ai demandé à mon avocat de vous montrer le testament de Khalid El Bakraoui [NDLR : terroriste de Maelbeek]. Je ne savais pas comment faire alors j’ai recopié". Avant de s’emporter : "Ça concerne le dossier de Bruxelles, il fallait faire un seul procès ! C’est la même cellule qui a frappé".
Le président poursuit sur le contenu du testament. On peut notamment y lire cette phrase : "Une personne qui se fait exploser au milieu des kouffars est un héros". Mohamed Abrini s’explique : "Ces attentats sont une réponse aux bombardements". Une logique déjà exprimée par Salah Abdeslam au cours de ce procès.
Je ne suis pas capable de me faire exploser
Abrini ajoute toutefois : "Moi, je ne suis pas capable de le faire. Après, ceux qui ont décidé de le faire, c’était une réponse à une violence". Et de justifier : "Les choses dégueulasses ne viennent pas d’un seul camp". Le président lui demande si cela justifie de tuer des gens à un concert ou à une terrasse. Abrini répond, penaud : "C’est comme ça, monsieur le président".
En Syrie
Sur son déplacement en Syrie, Abrini affirme : "Je ne l’ai dit qu’à une ou deux personnes, même pas". Lors de ses interrogatoires, il a déclaré aux enquêteurs être parti pour se recueillir sur la tombe de son frère Souleymane. Celui-ci est mort en Syrie en janvier 2014 alors qu’Abrini était en prison.
À propos de son petit frère, Mohamed Abrini déclare "être fier de lui. Il est allé défendre des innocents qui se faisaient massacrer par un régime corrompu". Et de se positionner sur l’État Islamique à la demande du président : "Ça aurait pu être quelque chose de bien". Plus tard dans l’interrogatoire, Mohamed Abrini situe son allégeance à l’État Islamique à sa sortie de prison, sans être beaucoup plus précis. Avant de clarifier son statut au sein de l’EI : "Je ne suis pas un cadre de l’État islamique, on veut me tailler un costard trop grand pour moi", affirme-t-il.
Le président l’interroge alors sur les vidéos de propagande de l’État Islamique retrouvées dans son téléphone. Mohamed Abrini explique : "À l’époque, une nouvelle vidéo sortait chaque jour. C’était comme suivre une série".
Sa pratique religieuse
Mohamed Abrini confirme être devenu pratiquant à la suite du décès de son frère. Un changement observé par ses proches et précisé par ceux-ci dans leurs interrogatoires pendant l’enquête.
Si j’étais libre, j’irais dans un pays où la charia est appliquée
Sur sa radicalisation, le président de la cour d’assises n’y est pas allé par quatre chemins : "Êtes-vous radicalisé ?", lui demande-t-il. Abrini répond : "Pour moi, je ne suis pas radical. Après, pour d’autres, je suis radical". Et d’ajouter lorsque le président lui pose une question sur la charia : "C’est la loi divine, elle est au-dessus de la loi des hommes. Si j’étais un homme libre, j’irais vivre dans un pays où la charia est appliquée".
Le président pousse ses questions un peu plus loin et demande à Mohamed Abrini ce qu’il pense du djihad. Celui-ci répond : "C’est un devoir pour tout musulman d’aller faire le djihad. C’est un devoir de protéger les opprimés, ceux qui se font massacrer".
Réactions des avocats
Après deux heures d’interrogatoire, l’audience a été suspendue. Certains avocats des parties civiles ont pu nous donner leurs premières impressions suite aux déclarations de Mohamed Abrini. Gérard Chemla représente plusieurs parties civiles : "On est devant quelqu’un qui, de façon assez étonnante, vient nous dire des choses absolument abominables. C’est la première fois qu’on est face à quelqu’un qui assume clairement ce genre de choses". Et d’analyser : "Dans l’idéologie, on voit qu’il n’y a pas eu un iota d’évolution depuis 2015".
Du côté de la défense de Mohamed Abrini, Stanislas Eskenazi estime que les propos tenus, aujourd’hui, par son client sont le résultat de six ans d’emprisonnement : "Quand on reste seul dans une cellule pendant 6 ans, on a le temps de se bourrer le crâne tout seul". L’avocat appelle alors à la nuance : "Si on a neuf mois de procès, c’est aussi pour éviter de tirer des conclusions hâtives ou en 120 signes".
Des témoins absents
Pour compléter l’interrogatoire de Mohamed Abrini, trois témoins étaient cités à comparaître. L’ex-compagne de Mohamed Abrini, sa mère ainsi qu’une troisième personne. Ils ont tous refusé l’invitation. L’ex-compagne de Mohamed Abrini a toutefois fait parvenir une lettre dans laquelle elle indique ne pas se sentir capable de venir témoigner et souhaite qu’on la laisse tranquille.