Belgique

Moins de crédits hypothécaires octroyés depuis le début de 2023 : pourquoi et quelles conséquences pour les Belges ?

Hausse des taux : Crédits hypothécaires en nette baisse

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Par Jean-François Noulet, avec J. Covolo et D. Welter

Les statistiques de la Banque nationale de Belgique sont formelles. Par rapport aux années précédentes, le nombre de crédits hypothécaires octroyés par les banques à des clients en Belgique a fortement diminué. 16.435 crédits de ce type ont été accordés en janvier 2023 et 16.165 en février, soit 32.600 au total au cours des deux premiers mois de l’année. C’est quasi deux fois moins que l’an dernier à la même période. En janvier et février 2022, respectivement 29.643 et 31.796 crédits hypothécaires avaient été accordés. Moins de demandes de crédits, moins d’octrois de crédit, c’est moins d’activité pour les banques. On observerait d’ailleurs une tendance à l’augmentation de la concurrence entre les établissements bancaires sur le marché des prêts hypothécaires, comme l’a relevé l’Echo ce mardi.

Le résultat d’un enchaînement : conditions d’octroi des crédits, taux d’intérêt et prix de l’immobilier

Il faut rappeler que l’Europe sort d’une période de plusieurs années marquée par des taux d’intérêt très bas en raison de la politique monétaire fixée par la Banque centrale européenne. Depuis 2016, le taux de base de la BCE à 0%. C’est au cours de l’été 2022 que la Banque centrale a amorcé une politique de remontée des taux pour juguler l’inflation. Depuis juillet, les annonces de relèvement des taux se sont succédé.

Les différents taux d’intérêt directeurs de la BCE sont désormais compris entre 3% et 3,75%. La dernière augmentation remonte à février dernier.

Cette augmentation des taux directeurs, les taux de base, se répercute sur les autres taux appliqués aux produits distribués par les banques, notamment les crédits, dont les crédits hypothécaires.

Cela, combiné aux restrictions appliquées par les banques qui ne prêtent que moyennant un apport plus apportant de la part des emprunteurs, explique en partie la diminution des demandes de crédit. "On a quand même une capacité d’emprunt qui est moins bonne qu’avant, avec des taux qui ont quand même monté en flèche depuis un an. Il faut remonter très loin en arrière pour avoir une remontée des taux aussi rapide", réagit Mikael Petitjean, professeur de Finances à l’UCLouvain. "Pour les banques et pour les acquéreurs, c’est difficile à digérer", ajoute-t-il.

Ce contexte inciterait donc les candidats à l’achat d’un bien immobilier à plus de prudence. "Les gens semblent faire plus attention qu’auparavant", note Charline Gorez, porte-parole de Febelfin, la fédération belge du secteur financier. Le fait qu’il y ait moins de crédits hypothécaires, "ce n’est pas le signe d’une réticence du secteur à octroyer des prêts hypothécaires", assure-t-elle. Elle identifie plusieurs facteurs qui expliquent le moindre engouement des clients pour ces crédits : augmentation des prix des matériaux de construction, augmentation du coût final de la construction ou de la rénovation, inflation, prix élevé de l’énergie. "Ce sont tous des éléments qui peuvent peser sur l’envie de franchir le pas pour acheter ou pour rénover", estime Charline Gorez.

La capacité de remboursement des emprunteurs se réduit

L’augmentation de ces coûts a un impact sur la capacité de remboursement des clients. L’augmentation des taux d’intérêt des crédits hypothécaire réduit aussi la capacité d’emprunt. Il y a un an, on pouvait encore emprunter à taux fixe sur 20 ans à 1,5%. Aujourd’hui, on est autour de 4% pour le même type de prêt. "Une hausse de 1% limite la capacité de remboursement de 10% de l’emprunteur. Quelqu’un qui savait, à 3%, avoir 100.000 euros sera limité, à 4%, à 90.000 euros", explique Marc Delforge, Responsable commercial "crédits" chez BNP Paribas Fortis.

Ce responsable tient aussi à relativiser la hausse des taux. Un taux fixe de 4% sur 20 ans, "quand on compare ça à une inflation aux alentours de 10%, cela reste encore un marché qui est raisonnable", analyse Marc Delforge. 4%, c’est toujours beaucoup moins que les taux des prêts hypothécaires qu’on a connus dans le passé. On était à plus de 10% au début des années 80.

Un effet sur les prix de l’immobilier ?

Le ralentissement de l’octroi de crédits hypothécaires, la prudence et les hésitations des candidats acquéreurs pourraient avoir un effet sur les prix de l’immobilier.

"Je me mets à la place de potentiels acquéreurs. Dans les conditions actuelles, où les taux ont augmenté de 300 points de base en l’espace d’un an, j’attends que les prix corrigent un peu du côté des vendeurs de biens immobiliers", explique Mikael Petitjean, de l’UCLouvain.

Il est en effet possible que la hausse des taux d’intérêt influence à la baisse les prix de l’immobilier. "Si le marché ralentit, les prix vont, par mécanique, sans doute un peu baisser et donc rendre à nouveau ce marché hypothécaire plus attractif", estime quant à lui Marc Delforge, de BNP Paribas Fortis. "Il faudra évidemment un certain temps", ajoute-t-il.

Sur le terrain, une responsable d’agence immobilière que l’une des équipes de la RTBF a rencontrée indique en tout cas qu’une page se tourne. Alors qu’après la période "Covid", les acheteurs étaient prêts à payer cher un bien immobilier, n’hésitant pas à surenchérir sur une offre, d’autres habitudes ont refait leur apparition. Les candidats ont aujourd’hui tendance à remettre des offres en dessous du prix. Il faudra encore attendre pour vérifier si cela incitera les vendeurs à baisser les prix des biens mis en vente.

S’inspirer de la France et faciliter l’octroi de crédits hypothécaires ?

Faut-il s’inquiéter du recul du nombre de prêts hypothécaires accordés ces derniers mois ? En France, ce phénomène a amené "Bercy", le ministère de l’Economie et des Finances, à envisager de faciliter l’accès aux crédits hypothécaires. Le projet consisterait à permettre d’emprunter plus que ce qui est actuellement autorisé. Depuis 2022, les banques doivent veiller à respecter certaines règles. Les ménages ne peuvent plus consacrer plus de 35% de leurs revenus nets au remboursement d’un prêt hypothécaire. Il n’est pas non plus possible de s’endetter pour plus de 25 ans, sauf dans de rares exceptions.

Le gouvernement français envisagerait de modifier ces critères. Cependant, la Banque de France vient d’émettre un avis dans lequel elle se montre défavorable une réforme de ce type. "Ceci risquerait de pousser nombre de ménages vers des situations de surendettement à durée longue et taux plus hauts. Ce serait le plus mauvais moment pour le faire, alors que l’endettement des ménages français, à 66% du PIB, est déjà supérieur au reste de la zone euro et à tous nos grands voisins", conclut la Banque de France.

Être prudent avant de toucher aux règles en vigueur en matière d’octroi de crédit, c’est aussi l’avis de Mikael Petitjean. "Quand le politique donne un blanc-seing au secteur financier concernant l’octroi de crédits, il ne faut pas non plus s’étonner si, dix ans après, il y a une bulle qui éclate et qui fait beaucoup de dégâts", "donc, je me méfie quand le politique se mêle d’essayer de durcir ou ne pas durcir les conditions de crédit et les conditions d’octroi de crédit", explique Mikael Petitjean.

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