"Mon p’tit loup" fait partie des classiques du répertoire de Pierre Perret marque le point culminant de son écriture. Le narrateur de la chanson s’adresse à un personnage qui pleure en lui promettant monts et merveilles – c’est vraiment une chanson sur la vraie définition de "monts et merveilles" – "promettre monts et merveilles", "conter monts et merveilles". Ce que le narrateur promet comme consolation, ce sont des voyages fantastiques aux quatre coins du monde.
"Je t’amènerai sécher tes larmes au vent des quat' points cardinaux. Respirer la violett' à Parme et les épices à Colombo. On verra le fleuve Amazone et la vallée des Orchidées. Et les enfants qui se savonnent le ventre avec des fleurs coupées".
C’est joli – "les enfants qui se savonnent le ventre avec des fleurs coupées"… L’image me fait penser à l’Inde, même si ces fleurs coupées sont peut-être des fleurs de saponaire officinale, une plante qui – lorsqu’on frotte ses fleurs – mousse, savonne et nettoie.
"Allons voir la terre d’Abraham, c’est encore plus beau qu’on le dit. Y a des Van Gogh à Amsterdam qui ressemblent à des incendies. On goûtera les harengs crus et on boira du vin d’Moselle. J’te raconterai l’succès qu’j’ai eu un jour en jouant Sganarelle."
Sganarelle est un personnage célèbre de l’œuvre de Molière – il apparaît dans "Sganarelle ou le cocu imaginaire", "Le médecin volant", "L’école des maris"… – ce qui suppose que le narrateur est peut-être – ou a été – comédien. En tout cas, il revient sans cesse à cette idée que rien n’est trop beau pour calmer la peine de l’autre et il déroule – dans la chanson – un itinéraire absolument fabuleux – visant à la fois le biblique (la terre d’Abraham), le ravissement artistique (les Van Gogh à Amsterdam) et les plaisirs de la terre (le vin de Moselle).
"Je t’amènerai voir Liverpool et ses guirlandes de Haddock. Tous les livres les plus beaux, de Colette et d’Marcel Aymé. Ceux de Rabelais ou d’Léautaud, je suis sûr qu’tu va les aimer."
Petit name-droping des auteurs que Pierre Perret aime et recommande comme antidouleurs. Les guirlandes de haddock – ce sont les poissons (églefin) qui sèchent au soleil et que Liverpool propose fumés ou pannés dans le célèbre fish and chips, tube de la cuisine anglaise… Ces pays dont on propose ici la visite sont vraiment éblouissants de surprises puisqu’il dit en même temps où – je cite : "y’a des poules qui chantent aussi haut que les coqs "
Et ce tour du monde en une seule chanson se poursuit avec le serment d’aller aussi : à la Jamaïque, en haut du Kilimandjaro, à la chapelle Sixtine, au Prado (le plus imposant des musées à Madrid). Mais aussi – si vous n’êtes pas encore fatigués – en Virginie et en Louisiane où – je cite "y’a des types qui ont tous les soirs du désespoir plein la trompette"…
Le catalogue est vaste, splendide, plein de joyaux et de chefs-d’œuvre… On est un peu entre Yann Arthus-Bertrand et le magazine Géo… Et tout ça – toutes ces merveilles étalées devant nos yeux – c’est pour sécher des larmes.
"T’en fais, pas mon petit loup. C’est la vie, ne pleure pas. T’oubliera, mon petit loup. Ne pleure pas. Oublie-les, les petits cons. Qui t’ont fait ça."
Voilà, nous y sommes : les larmes, c’est parce qu’on lui a fait quelque chose au p’tit loup. Harcèlement ? Agression ? Humiliation ? Vol ? Viol ? Il n’en est nulle part question dans la chanson or, on sait qu’une première version du texte de Pierre Perret, qui date de 1976 – évoquait plus frontalement le viol… Si le sujet a été effacé, et la violence édulcorée pour faire une chanson plus universelle – "Mon p’tit loup" est donc aussi une chanson sur le viol – même si dire "T’en fait pas, c’est la vie. T’oublieras" à propos d’un viol est un peu leste
D’autres chansons françaises évoquent le viol de façon détournée…