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Mort de George Floyd : Derek Chauvin condamné à 22 ans et demi de prison, et après ?

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Le verdict est tombé : Derek Chauvin, l’ex policier blanc coupable du meurtre de l’Afro-Américain George Floyd, écope de 22 ans et demi de prison ferme. Une condamnation "historique" qui divise dans un pays où le racisme systémique persiste.

Derek Chauvin risquait jusqu’à 40 ans de réclusion pour avoir tué George Floyd il y a maintenant 13 mois. Il en écope 22 et demi. En cas de bonne conduite, Derek Chauvin sera éligible pour une libération conditionnelle après 15 ans, il aura alors 60 ans.

Il a désormais 90 jours pour faire appel. Pour la première fois depuis l’ouverture du procès, Derek Chauvin s’est exprimé, présentant ses condoléances à la famille de George Floyd. A l’annonce de sa sentence vendredi soir au tribunal de Minneapolis, l’ex-policier blanc âgé de 45 ans, n’a rien laissé percevoir. Une condamnation qui va rester dans les mémoires, mais qui est aussi jugée insuffisante par une partie de la population.


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Le racisme systémique persiste

Les Afro-Américains sont depuis longtemps, victimes d’oppressions à plusieurs niveaux. En septembre 2020, le Marriam-Webster, l’un des plus anciens dictionnaires aux Etats-Unis a modifié la définition qu’il donnait au racisme en ajoutant le racisme systémique dans sa définition du racisme : "L’oppression systémique d’un groupe racial au bénéfice d’un autre, sur les plans sociaux, économiques et politiques". Les violences policières envers la population afro-américaine sont l’un des exemples les plus parlants.

La justice aurait été que George Floyd soit en vie

Malgré le verdict du procès Chauvin, la justice n’est pas rendue selon le révérend Al Sharpton, figure de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, tout en affirmant qu’il s’agissait "de la plus lourde peine jamais infligée" à un policier dans le Minnesota.

"La justice aurait été que George Floyd soit en vie" et qu’il y ait eu "des peines comme celle-là avant". Pour Serge Jaumain, professeur d’histoire contemporaine à l’ULB et spécialiste des Etats-Unis : "On peut penser que dans le futur, les Américains se référeront à cette condamnation, par contre, il est évident que ce n’est pas ça qui va changer le racisme systémique qui existe aux Etats-Unis. Néanmoins, on peut penser que cela va faire réfléchir, non seulement les policiers de terrain, mais aussi l’ensemble de la hiérarchie".

La formation policière pointée du doigt

Le 25 mai 2020, l’Amérique et le monde entier découvrent les réalités que subissent les communautés noires. Malgré la violence des images et une certaine prise de conscience, le meurtre de George Floyd n’a pas marqué la fin des violences policières à l’égard des Afro-Américains : Daunte Wright, Rayshard Brooks, Daniel Prude… La liste n’a jamais cessé de s’allonger, selon le groupe de recherche "Mapping Police Violence" qui sert à "cartographier" les violences policières, 181 noirs ont été tués par la police depuis George Floyd.

La formation des policiers américains, est l’une des pires académies de police aux Etats-Unis. La formation des cadets se limite à 8 mois de formation en moyenne. Particularité aux Etats-Unis, les quelque 18.000 "police départements" ne disposent pas d’un règlement similaire, chacun suit ses propres règles car ils ne suivent pas de normes nationales.

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Les méthodes des forces de l’ordre américaines provoquent souvent l’indignation, notamment en février dernier après la diffusion d’une vidéo montrant des policiers en venir aux mains avec une fillette noire. Des méthodes qui accentuent encore plus la défiance envers les policiers. Serge Jaumain le rappelle : "Cela montre bien qu’il y a vraiment un problème de formation de la police, qui a continué à utiliser les mêmes pratiques. C’est aussi une police dominée par les blancs. Inversement, on sait que dans les prisons, c’est l’inverse, la proportion d’Afro-Américains est de l’ordre de 37% alors qu’ils représentent à peine 13% de la population américaine".

La justice ne se résume pas à un seul verdict

Ce verdict est-il synonyme de lueur d’espoir pour l’avenir ? "Cette affaire n’est pas une parenthèse qu’on a ouverte et qui se referme aujourd’hui avec la condamnation. C’est vraiment une tendance de fond, de prise de conscience, et il y aura des conséquences à moyen et long terme. On est tous impatients de voir les choses changer rapidement, mais ça va prendre un peu plus de temps. Le symbole ici, c’est de dire que quand un policier tue une personne noire, il n’est plus automatiquement couvert par une sorte d’immunité", précise Serge Jaumin. Le changement est en cours aux Etats-Unis, même au sein de la police américaine qui jusqu’alors, était hermétique à la sensibilisation à la discrimination.

Le social l’emporte sur la répression policière

Face à l’augmentation des violences policières et du racisme systémique aux Etats-Unis, et une réforme en profondeur de la police américaine qui se fait encore attendre, plusieurs militants plaident pour un changement radical : le définancement de la police. Le mouvement "Defund the police" milite pour le désarmement et la réduction des budgets des forces de l’ordre. Selon eux, si la police ne peut assurer la sécurité de tous les citoyens, pourquoi ne pas opter pour un autre système ?

Le slogan est souvent scandé lors des rassemblements contre les violences policières, et a déjà porté ses fruits : plus de 840 millions de dollars ont été retirés des budgets des polices locales pour en consacrer 160 millions à des investissements pour améliorer la vie des quartiers et communautés. Le social l’emporte sur la répression policière. Serge Jaumin nuance : "Il faut aussi se rendre compte du fait que les armes sont en libre circulation aux Etats-Unis. Si elles sont en libre circulation, une partie de la population est armée, il faut être attentif à cela. Le fait d’avoir une police sur place qui peut aussi mettre un terme aux exactions commises par des extrémistes de toute nature, ça reste important".

La loi George Floyd

Joe Biden s’est exprimé à l’annonce du verdict, jugeant le verdict "juste". Une déclaration symboliquement non négligeable selon Serge Jaumiin : "c’est particulier, normalement l’exécutif ne se mêle pas du judiciaire".

Toutefois, sur le plan législatif, toujours pas de réelles avancées. Fin avril, lors de son premier grand discours devant le Congrès, le président démocrate avait appelé le Congrès à adopter un vaste projet de réforme de la police portant le nom de George Floyd d’ici le premier anniversaire de sa mort. Treize mois plus tard, le texte n’est pas encore voté.


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Cette loi pourrait néanmoins être le début d’un changement systémique. Le texte prévoit notamment l’interdiction des prises d’étranglement, mais elle vise aussi "à l’imiter l’immunité de la police américaine. C’est sans doute un des éléments les plus importants. On a très rarement des condamnations de policiers pour des personnes qu’ils ont tués dans le cadre de leur fonction. Sur ces quinze dernières années, maximum dix policiers ont été condamnés suite à des meurtres commis dans le cadre de leur fonction", précise Serge Jaumain.

Même constat du côté de ACLU (l’union américaine pour les libertés civiles) : "La justice ne se résume pas à une seule phrase ou un seul verdict", déclare la puissante organisation de défense des droits civiques aux Etats-Unis.

Les Etats-Unis sont encore loin d’un changement systémique, à la veille de la sentence de Derek Chauvin, la statue de George Floyd a été taguée à New York avec de la peinture noire. Le changement est en cours, mais il faut s’armer de patience.

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