Monde

Mort de Mahsa Animi: retour sur une révolte inédite qui secoue l'Iran depuis 40 jours

Activists Demonstrate Against Iranian President Ebrahim Raisi Outside Of The United Nations

© 2022 Getty Images

Temps de lecture
Par Jean-François Herbecq

La mort, il y a 40 jours, d’une jeune femme kurde de 22 ans, Mahsa Amini, est devenue un symbole de révolte en Iran. Révolte contre le port obligatoire du voile, contre les violences et les restrictions imposées aux femmes, contre le pouvoir des religieux sur la société iranienne, contre la police des mœurs, contre un régime.

Le Kurdistan iranien, la capitale Téhéran et bien d’autres régions se soulèvent. Les femmes retirent leur voile, coupent leurs cheveux. Depuis plus d’un mois les manifestations se succèdent, la répression s’accroît. Le bilan s’alourdit. Retour sur ces semaines de colère.

13 septembre

Mahsa Amini est arrêtée à Téhéran par la police des mœurs iranienne pour avoir porté "des vêtements inappropriés", son voile ne recouvrant pas entièrement ses cheveux. La jeune femme originaire du Kurdistan iranien était en visite avec sa famille dans la capitale.

16 septembre

Mahsa Amini meurt en garde à vue après deux jours dans la coma. La police prétend que Mahsa Amini est morte d’une crise cardiaque subite, qu’elle avait des problèmes de santé. Le ministre de l’Intérieur soutient que les policiers n’ont pas d’armes pour frapper, pas de matraques…

Mais des militants affirment qu’elle a souffert d’une blessure mortelle à la tête pendant sa détention. Des témoins ont assisté à la scène : selon eux, Mahsa Amini s’est fait frapper par des agents à peine embarquée dans leur fourgon. Amnesty International demande à traduire en justice les responsables de son décès jugé "suspect".

La presse iranienne le 18 septembre
La presse iranienne le 18 septembre © ATTA KENARE / AFP

La presse s’empare de l’affaire, dénonce la violence de la police des mœurs. La nouvelle provoque l’indignation et déjà de premières manifestations.

Selon le bureau des droits de l’homme des Nations Unies, cette police religieuse créée en 2005 et responsable du code de conduite islamique a étendu ses patrouilles ses derniers moins ciblant les femmes.

17 septembre

Mahsa Amini est enterrée à Saqqez, sa ville natale. Une manifestation se forme après les funérailles, dispersée à coups de gaz lacrymogènes.

Sur les réseaux sociaux, la colère des Iraniens éclate. Dans les jours qui suivent, des manifestations éclatent aux quatre coins du pays : Téhéran, Ispahan, Rasht, tout le territoire kurde. Des femmes osent enlever leur voile, obligatoire en public. Certaines le brûlent. D’autres montrent leurs cheveux, qu’elles coupent.

Extrait d’une vidéo tournée à Sanandaj dans le Kurdistan iranien le 28 septembre
Extrait d’une vidéo tournée à Sanandaj dans le Kurdistan iranien le 28 septembre © UGC / AFP

Leur cri, "Femme, vie, liberté !", fait écho à un slogan féministe kurde. Mais on entend aussi "Mort aux milices religieuses" et "Mort au dictateur", qui visent le pouvoir islamiste.

Des affrontements avec la police font des morts et entraînent de nombreuses arrestations. 

Une chanson devient un hymne, Barayé de Shervin Hajipour.

Loading...

Les autorités assurent que la police n’a pas eu de contact physique avec la victime et exhibent une vidéo où la jeune femme s’effondre au beau milieu des locaux de la police, mais beaucoup d’Iraniens n’y croient pas.

20-22 septembre

Face à un mouvement qui s’amplifie et reçoit des soutiens de l’étranger, dans des manifestations ou en ligne, où d’autres femmes se coupent les cheveux en signe de solidarité, la répression continue de plus belle.

Nasibe Samsaei, une Iranienne vivant en Turquie se coupe les cheveux
Nasibe Samsaei, une Iranienne vivant en Turquie se coupe les cheveux © Yasin AKGUL / AFP

Les autorités coupent l’accès à Instagram et à la messagerie WhatsApp, les deux applications les plus utilisées en Iran depuis le blocage des plateformes comme YouTube, Facebook, Telegram, Twitter et TikTok ces dernières années. De plus l’accès à Internet est filtré ou restreint par les autorités.

Les autorités iraniennes accusent les États-Unis et les ennemis de l’Iran de susciter des troubles dans le pays. Des sanctions économiques sont prises par les Etats-Unis contre la police des mœurs et des responsables de la sécurité.

Extrait d’une vidéo de manifestation en Iran
Extrait d’une vidéo de manifestation en Iran © AFP

Les manifestations se poursuivent à un rythme quotidien, elles touchent la moitié des provinces iraniennes, avec une colère qui dépasse la cause des femmes en Iran. C’est toute une population qui souffre de la crise économique qui crie sa révolte. Une revendication qui va jusqu’à réclamer la fin de la République islamique.

La répression est violente et les morts se comptent par dizaines.

23 septembre

Des contre-manifestations sont organisées par le régime. Le 25 septembre, le président Ebrahim Raïssi appelle les forces de l’ordre à agir "fermement" contre les manifestants et le chef du pouvoir judiciaire menace de ne faire preuve d'"aucune indulgence".

Les manifestations et les affrontements avec la police se poursuivent, avec de nouvelles victimes par dizaines, des arrestations par centaines. Les forces de l’ordre ouvrent le feu sur la foule. Internet est encore bloqué.

Extrait d'une vidéo: dispersion de la foule par des policiers à moto
Extrait d'une vidéo: dispersion de la foule par des policiers à moto © AFP

28 septembre

La famille de Mahsa Amini porte plainte contre les "auteurs de son arrestation".

Une vague d’arrestations vise militants, journalistes, artistes comme la poétesse Mona Boroui le chanteur Shervin Hajipour, ou encore le footballeur Hossein Mahini, qui tous ont évoqué la mort de Mahsa Amini. Les autorités indiquent avoir arrêté plus de 1200 personnes.

Le décompte des morts ne fait qu’augmenter, au moins 83 victimes à la fin septembre.

2 octobre

Des étudiants de l’université de technologie de Sharif manifestent, ils scandent des slogans hostiles au système religieux de la République islamique, ainsi que "Femme, vie, liberté" ou "Les étudiants préfèrent la mort à l’humiliation". La police antiémeute intervient violemment et tire au flash-ball et à balles réelles, faisant des victimes.

9 octobre

Malgré la répression, notamment dans les villes universitaires, les manifestations se poursuivent.

Le journal télévisé de la chaîne d’information en continu IRINN est piraté : les photos des victimes et de Mahsa Amini apparaissent sous le visage du guide suprême Ali Khamenei entouré de flammes et ces messages : "Le sang de nos jeunes dégouline de tes mains", " Rejoignez-nous ! Rebellez-vous !".

Le piratage du journal télévisé iranien
Le piratage du journal télévisé iranien © IRINN

Le gouvernement s’accroche à sa version d’une mort due à des causes médicales, rapport à l’appui. Le père de Mahsa Amini le contredit et affirme que sa fille était en bonne santé. Ali Khamenei prétend que les "émeutes sont fomentées par les ennemis à l’extérieur du pays, "l’Amérique et le régime sioniste usurpateur".

A l’étranger, les manifestations de solidarité s’enchaînent, d’Istanbul à Paris.

10 octobre

Les étudiants de la faculté des Arts de Téhéran manifestent les mains couvertes de peinture rouge pour symboliser le sang. Des grèves éclatent aussi dans l’industrie, preuve que la contestation du régime des mollahs fait tache d’huile. Des ouvriers brûlent des pneus devant l’usine pétrochimique d’Asalouyeh, dans le sud-est. D’autres grèves sont observées dans des usines à Abadan et à Kengan.

Après un mois de répression, le bilan des morts s’élève à 108.

Extrait d’une vidéo de manifestation en Iran
Extrait d’une vidéo de manifestation en Iran © AFP

15-16 octobre

Incendie à la prison d’Evin, surpeuplée. La veille, des prisonniers avaient scandé des slogans anti-Khamenei. Les autorités imputent l’incendie à des "voyous", 60 prisonniers sont blessés et 4 décèdent selon les autorités.

16-19 octobre

Une alpiniste iranienne passe outre l’obligation du port du voile lors d’une compétition en Corée du Sud. Elnaz Rekabi explique ensuite que son hijab avait été oublié par inadvertance. Mais pour ses partisans, c’est bien un signe de solidarité avec les manifestations contre le port obligatoire du voile. Elnaz Rekabi disparaît pendant trois jours, sans avoir de contact avec ses proches, apparemment privée de son passeport et de son portable. Elle réapparaît le 19 octobre à l’aéroport de Téhéran, accueillie en héroïne.

22 octobre

Grève nationale en Iran avec de nouvelles manifestations dans de nombreuses villes.

Tout au long du mois d’octobre, les manifestations de soutien au peuple iranien continuent dans le monde. Les sanctions internationales visant la police des mœurs augmentent. L'Iran réplique par d'autres sanctions contre les institutions de l'Union européenne.

25 octobre

Deux membres des Gardiens de la Révolution, l'armée idéologique de l'Iran, ont été tués par balle par des inconnus à Zahedan, selon l'agence de presse Tasnim. Ces décès portent à huit le nombre de membres des forces de sécurité tués au Sistan-Baloutchistan.

26 octobre

Malgré l'interdiction, des fidèles se rassemblent au Kurdistan sur la tombe de la jeune Mahsa Amini, pour lui rendre hommage à la fin du deuil de 40 jours traditionnel en Iran.

La répression des protestations a fait au moins 141 morts, dont des enfants, selon un bilan révélé mardi par l'Iran Human Rights (IHR), une ONG basée à Oslo. Human Rights Activists News Agency estime à 13.309 le nombre de personnes arrêtées.

Sur le même thème : Extrait La Première (18/10/2022)

Le débat

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous