Belgique

Musées et institutions scientifiques : les restes humains acquis dans le contexte colonial doivent être restitués, selon le comité de bioéthique

© Getty Images

Par Michel Gassée

Au gré de leur développement, les grandes institutions muséales et scientifiques belges ont accumulé des quantités importantes de "restes humains", qu’il s’agisse de momies égyptiennes, de crânes préhistoriques ou de squelettes datant de la période gallo-romaine. Sans oublier, bien sûr, les dépouilles humaines issues de la présence coloniale de la Belgique en Afrique. Au total, 56 collections ont été recensées dans notre pays. Elles abritent les restes humains d’environ 30.000 individus dont à peine 250 ont été identifiés.

Certains de ces restes humains ont été découverts à l’occasion de fouilles archéologiques, d’autres ont été obtenus par le personnel des musées, les membres des sociétés scientifiques, les officiers et médecins coloniaux, d’autres encore ont été obtenus par des achats ou reçus de collectionneurs privés tout au long des XIXe et XXe siècles.

Quel statut pour ces restes humains ?

Cette question ne vient pas de nulle part. Ce sont en effet les directeurs de trois institutions muséales – le Musée royal de l’Afrique centrale, les Musées royaux d’art et d’histoire et l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique – qui, en 2020, ont saisi le Comité consultatif de Bioéthique d’une demande d’avis concernant le statut des restes humains conservés non seulement dans les collections muséales et scientifiques, mais également dans les collections privées.

Le Comité consultatif de Bioéthique vient de se prononcer sur la question dans son avis n°82 et, en préambule, il précise que ces restes humains doivent être traités "avec respect, dignité et décence" et "bénéficier d’un statut spécifique en ce qu’ils participent, à différents niveaux, à la cohésion des groupes humains, laquelle implique la reconnaissance d’une histoire ou d’histoires partagées, bref, de l’histoire de l’humanité que les vivants poursuivent" car, ajoute le Comité, "si les restes humains ont ainsi un statut spécifique, c’est dans la mesure où les morts sont vecteurs de sens pour les vivants, quels que soient les coutumes et les usages des sociétés considérées, qui peuvent être très différents de ceux en usage dans les sociétés occidentales modernes."

Le cas particulier de la période coloniale

Voilà pour les principes généraux. Mais derrière, au moins cette question délicate : quel sort pour les dépouilles humaines récoltées par la Belgique dans ses colonies en Afrique, le Congo dès la fin du 19e siècle, le Rwanda et le Burundi après la Première Guerre mondiale ?

La question est lourde de sens d’abord parce que, comme tient à le rappeler Philippe Lardinois, avocat et membre du Comité consultatif de Bioéthique, "ces restes humains que nous détenons ont été acquis dans un contexte de violence et de domination qui était celui de la colonisation. Ce sont des restes qui ont été extorqués, des personnes ont été tuées. Rappelons aussi que certaines parties de leur corps, notamment les crânes, ont souvent été collectées dans le souci de justifier une pseudo-hiérarchie des races, donc avec un objectif totalement contestable."

Pour Patrick Semal, conservateur en chef au musée royal des sciences naturelles, "il est clair que, de par son histoire coloniale, la Belgique a une responsabilité et que maintenant il faut pouvoir rentrer dans un processus de soin et de réparation par rapport à ces exactions."

Pour le Comité de bioéthique, en tout cas, pas de doute : les restes humains acquis dans le contexte colonial doivent être restitués. "Sur ce point, insiste Philippe Lardinois, il n’y a pas de débat. À partir du moment où il y a une demande de restitution, il faut évidemment restituer". Encore faut-il qu’il y ait une demande de restitution.

Restituer mais pas n’importe comment

Restituer, rapatrier : quel que soit le mot, c’est donc la préconisation du Comité consultatif de Bioéthique. Mais pas n’importe comment. "Il est important, souligne Philippe Lardinois, que cette restitution ne soit pas simplement de l’ordre administratif qui consisterait à se dire ‘bah voilà, ça vous appartient, on vous les rend, on finance même le retour chez vous, mais après cela on est quittes. Nous en restons là’. Non, nous estimons que la restitution rapatriement doit aussi être l’occasion d’un retour commun sincère et serein sur le passé, donc d’une réflexion sur la façon dont les choses se sont déroulées à l’époque de la colonisation."

Autrement dit, il s’agit de veiller à un "dialogue éclairé, sincère et serein tant sur la signification de ces restes humains pour la communauté à laquelle ils appartiennent qu’à propos des conséquences sociétales sur les populations colonisées des circonstances brutales de leur collecte ; on doit accorder une attention particulière à l’impact de cette dépossession sur les sociétés pour lesquelles le culte des ancêtres continue de revêtir une grande importance".

Des demandes encore très rares

Plusieurs demandes de rapatriement ont déjà été adressées à la Belgique mais, à ce stade, elles n’ont pas reçu de suite favorable, notamment une demande venant du Congo, concernant le crâne d’un chef de la communauté Tabwa au Congo. En fait, une seule requête a abouti jusqu’à présent : la restitution d’une dent du Premier ministre congolais Patrice Lumumba, assassiné en 1961. Elle a été rendue à la famille en 2022.

L’État doit prendre des mesures

Que dit le droit sur ces questions ? Pas grand-chose, en fait. "Pour l’instant, il n’existe pas de cadre international ou national suffisant qui permette d’apporter une réponse satisfaisante pour le rapatriement de ces restes humains, indique Marie-Sophie de Clippele, chargée de recherche au FNRS et membre du projet HOME sur le rapatriement des restes humains (coordonné par l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique). Il y a néanmoins des pistes dans le droit international liées aux droits humains, notamment le droit des peuples autochtones, les droits culturels."

En l’occurrence, le texte principal, c’est la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007. Elle a été adoptée par la Belgique, mais elle n’est pas juridiquement contraignante. "À partir du moment où vous adoptez un texte, vous êtes quand même censé faire en sorte de vous y conformer", glisse néanmoins Philippe Lardinois.

Dès lors, le Comité consultatif de Bioéthique considère qu’on ne peut pas en rester là, que "des principes, des directives et des règles de conduite doivent être définis pour permettre cette restitution rapatriement ". Et avance une source d’inspiration potentielle pour le législateur : la loi du 3 juillet 2022 – qui est d’application – sur la restitution des objets culturels. "Elle ne concerne pas les restes humains, précise Philippe Lardinois, mais je pense qu’elle peut servir de base pour une législation qui serait spécifique à celle des restes humains ".

Le Comité est également d’avis que la Belgique doit se doter d’une procédure et d’une instance officielles de référence pour le traitement de ces demandes, puisqu’il y a des restes humains dans des institutions communautaires, régionales et fédérales. Message : la complexité institutionnelle de la Belgique ne doit pas constituer un frein pour le traitement des demandes de restitution et donc il faudrait qu’il y ait une centralisation de ces demandes.

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