Chantons sous la pluie est un cas rare de l’histoire du film musical : les auteurs se voient sommés de construire un long-métrage... autour d’une chanson qui a fait ses preuves. Pas de scénario préexistant. Pas de livret sur lequel un auteur-compositeur (Gershwin, par exemple) serait chargé de composer autant de tubes qu’il le peut. Pas de catalogue de chansons dans lesquelles puiser pour esquisser tant bien que mal un fil conducteur tel que cela se pratique aujourd’hui dans les juke-boxes musicals. Non, dans le cas de Singin’in the Rain, la seule matière première consiste en une chanson doucement désinvolte, légère, qui fait un pied-de-nez à une des contrariétés les plus universelles et les plus anecdotiques : la pluie. En termes de propos, c’est ténu : le refrain I’m singin’ in the rain ne dit pas grand-chose de plus que ce qui constitue l’essence même de la comédie musicale (même s’il le dit bien) : tenons tête aux soucis, tenons tête aux tracas, il faut se rire du quotidien.
Ce que Betty Comden et Adolph Green vont échafauder autour de cette chanson, c’est pourtant une mise en abyme enivrante de l’univers du cinéma, une déclaration d’amour passionnée aux métiers qui font du vrai avec du faux. Une méditation rêveuse sur la fiction, tellement plus attirante que la réalité. Sans Singin’ in the Rain, le cinéma de Woody Allen n’est pas possible. Celui de Jacques Demy non plus. Le film La La Land (2016) de Damien Chazelle non plus.
Dans Chantons sous la pluie, ce qui est vrai est faux, et ce qui est faux devient vrai. Le couple formé par Don Lockwood et Lina Lamont n’est qu’illusion de papier glacé destinée au public. Les apparitions de Lina sont la mise en valeur d’un faux talent puisque le cinéma muet lui permet de briller au-delà de ses capacités. Don Lockwood, moins stupide, n’en commet pas moins l’erreur de croire à sa propre légende, se ridiculisant lors de sa rencontre avec Kathy Selden en oubliant que l’idée du succès n’est qu’une projection de l’esprit. Mais aussi et surtout, la technologie étant en marche et avide de nouveautés, autant de réalités virtuelles vont être imaginées, mises en scène, vendues. À l’aide d’un ventilateur, de quelques spots et d’une toile peinte, Don crée l’atmosphère romantique destinée à passer un moment unique avec Kathy (Would You ? ).
Tout est faux... donc tout est vrai, puisque le décor est visible, assumé : il est factice et on le sait. Cosmo Brown incarnera l’hystérie sans fond dans lequel l’artiste, stimulé par l’industrie du film, menace de tomber au péril de lui-même (Make ‘Em Laugh). Le contact par écran interposé avec des millions de personnes est une illusion démesurée créée par la technologie. Si l’artiste y répond sans frein, il s’y perd.
Claquettes, humour, douce nostalgie urbaine et mise en abyme subtile : en mettant en scène avec une légère distance ironique le paradis chimérique que créent les métiers du cinéma, Singin’ in the rain devient lui-même film mythique et un paradis perdu dans lequel se blottir les jours de pluie.
Après le succès de Un violon sur le Toit et Les parapluies de Cherbourg, cette nouvelle production (qui connaitra ses premières dates à Charleroi, Massy, Reims et Montpellier) est promise à une large diffusion et sera disponible en tournée dès 2021-2022.
Les dialogues sont parlés en français et les chansons interprétées en anglais. L’intervention régulière de la vidéo et les illusions bricolées avec l’esprit débrouillard des débuts du cinéma souligneront ostensiblement que tout ce qui est montré est par nature fabriqué. L’orchestre (visible en fond de plateau), les costumes et les décors seront autant d’occasion de se replonger dans l’Amérique des années 1920, qui ne nous est parvenue qu’en noir et blanc mais où les dorures du cinéma et de la célébrité avaient une lueur envoutante...
Une dangereuse illusion qui broiera bien des destins, mais... franchement, qui préfère la réalité à la fiction ?
Patrick Leterme
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