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Mutilations génitales féminines : "Un double traumatisme"

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Par Sarah Lohisse pour Les Grenades

Le 6 février, c’est la Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines (MGF). L’occasion pour l’asbl le GAMS – le groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles – de sensibiliser comme chaque année le grand public à la cause.

Les mutilations génitales féminines touchent environ 200 millions de femmes dans le monde. En Belgique, on estime à environ 17.000 femmes excisées et 8000 petites filles à risque (selon les dernières données de 2016, une mise à jour est en court de processus et sera disponible aux alentours des mois d’avril-mai prochains).

Elles concernent l’ablation partielle ou totale du clitoris et peuvent recourir à l’excision des petites et/ou grandes lèvres, mais aussi à leur accolement. Selon le type de MGF, défini et classé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il peut donc s’agir de clitoridectomie, d’excision, d’infibulation ou de toutes autres interventions "nocives pratiquées sur les organes féminins à des fins non thérapeutiques, comme la ponction, le percement, l’incision, la scarification et la cautérisation". Des mutilations à hautes prévalences dans certains pays comme la Guinée ou la Somalie par exemple, où plus de 95% des femmes subissent des MGF.

Des pratiques jugées patriarcales pour garder le contrôle sur le corps des filles et teintées de nombreux mythes : "Il y a une notion de pureté, comme un passeport pour le mariage. On considère qu’une fille non-excisée est une fille qui ne va penser qu’au sexe, qui sera infidèle et n’ira pas vierge au mariage", raconte Fabienne Richard, directrice du GAMS, le groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles.

Une pratique dangereuse

Les risques sont évidemment nombreux : mort d’hémorragie ou d’infection, douleurs intenses lors des règles, des rapports ou de l’accouchement et qui peuvent laisser de lourds traumatismes : "Des femmes ont des PTSD (NDLR : stress post-traumatique). Il y en a qui vont sursauter dès qu’elles entendent un bruit, qui vont avoir peur dès qu’on parle de l’excision ou qui ne supportent pas du tout la couleur rouge par exemple. Même lors d’une consultation gynécologique, le fait d’être sur le dos, les jambes écartées, cela peut rappeler la situation d’excision. Des femmes s’y dissocient si le ou la gynécologue n’est pas très doux. Au GAMS, on travaille beaucoup sur la question de la mémoire traumatique qui peut se raviver. Ça permet à des femmes de comprendre ce qui se passe", continue-t-elle.

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C’est le cas d’Awa, excisée quatre fois. "Mon témoignage débute en 2005. Lors de ma grossesse, j’ai commencé à avoir des peurs liées à mon excision. Deux ans après, j’ai eu envie de me reconstruire afin de récupérer ce clitoris qu’on m’avait lâchement volé. J’avais besoin de retrouver mon intégrité physique. Je me trouvais à l’époque dans une relation violente. Je n’avais pas de famille en Belgique, ni mère, ni frère, ni sœur, ni connaissance en Belgique. Je me suis retrouvée seule et je pensais que j’avais besoin de mon clitoris pour pouvoir m’épanouir sexuellement. La mutuelle a refusé de prendre en charge l’intervention chirurgicale – qui se pratiquait à l’époque dans un autre pays. J’ai été orientée dans un hôpital à Gand, mais ça s’est très mal passé. C’était un double traumatisme pour moi. Cela a été la descente aux enfers, j’en ai voulu au monde entier, dont à mes parents", se confie-t-elle lors du webinaire "#MeetYourClit" organisé par le Gams, CeMaVie, le Centre Médical d’Aide aux Victimes de l’Excision du CHU Saint-Pierre, et des étudiant.es de l’IHECS, le 3 février passé.

Le meeting a permis un moment d’échange pour visionner leur documentaire sur la thématique et pour écouter les femmes concernées en vue de la journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines.

Reconstruction et résilience

Le GAMS, fondé par Khadidiatou Diallo en 1997, travaille sur tous types de violences faites aux femmes : mariage forcé, mutilation génitale féminine, violence domestique et conjugale. L’ASBL lutte pour sensibiliser le grand public, prévenir les femmes victimes de MGF et leurs petites filles ainsi que sur la formation des professionnels, notamment en soin de santé. Un travail de sensibilisation, notamment mis en place via des fiches regroupées sous la nomination "arbre décisionnel" permettant d’aiguiller le personnel de première ligne dans l’aide aux victimes.

Le centre CeMaVie du CHU Saint-Pierre, de son côté, prend en charge les femmes ayant subi des mutilations, de manière multidisciplinaire : à la fois sur le plan psychologique, sexologique, gynécologique mais également chirurgical dans l’aide à la résilience.

Le Centre du CHU Saint-Pierre ainsi que l’UZ à Gand proposent d’ailleurs une reconstruction du clitoris. Reconstruction qui consiste à aller chercher le moignon de celui-ci, qui est à l’intérieur, derrière la cicatrice, et de le ramener à la peau. L’intervention est gratuite pour les personnes disposant d’une mutuelle. Gratuite sur le plan financier, mais parfois coûteuse sur la douleur physique infligée : la reconstruction occasionne tout de même trois mois de convalescence.

J’ai été orientée dans un hôpital à Gand, mais ça s’est très mal passé. C’était un double traumatisme pour moi. Cela a été la descente aux enfers, j’en ai voulu au monde entier, dont à mes parents

Une intervention nécessaire pour certaines, mais pas toujours suffisante. Comme le rappelle le docteur Martin Caillet, gynécologue à CeMaVie, il y a toute une série de facteurs, et notamment psychologiques, à prendre en compte avant d’envisager la chirurgie : "Il y a beaucoup de fausses croyances qui sont amenées en consultation comme penser que la reconstruction du clitoris est la solution ultime à la reconstruction de la femme. L’opération a évidemment toute son importance dans le cadre de personnes qui souhaitent retrouver une intégrité physique, qui se sentent frustrées ou fâchées qu’on ait enlevé une partie de leur corps sans leur consentement. Nous pensons à CeMaVie, que l’opération n’est pas la seule reconstruction, qu’il s’agit plutôt d’être capable de progresser vers l’empowerment, en essayant de ne pas passer par la lame du chirurgien qui peut être une agression physique, importante et douloureuse".

Awa confirme : "C’est tout un ensemble de circonstances, ce n’est pas que le clitoris qui fait les choses, c’est aussi le contexte dans lequel on vit. On arrive ici, on a d’autres problèmes. J’ai été excisée quatre fois dans ma vie, je l’ai ressenti. C’était une vraie douleur et un traumatisme. Quelques semaines après mon passage à l’hôpital de Gand, le docteur Caillet, mon gynécologue, m’a recontactée et m’a invitée à l’ouverture de la clinique du périnée à César De Paepe pour que je témoigne dans une discussion autour de la douleur. Il a remis de la couleur dans ma vie.

Le besoin de clitoris était là, mais il fallait dépasser tout ça. Comment ? Je me suis dit stop à la victimisation, je ne me laisserai plus jamais humilier, je m’en sortirai toute seule. Je n’ai pas de clitoris, mais je pourrai retrouver ce plaisir qu’on m’a volé. J’ai commencé à me documenter : sans clitoris, pourrais-je avoir un orgasme ? Oui ! J’ai commencé à chercher mon propre plaisir, je l’ai découvert grâce à toute cette persévérance".

Un plaisir qui peut être trouvé via la découverte d’autres zones érogènes et/ou grâce à l’aide d’accessoires comme des sextoys. "Lorsqu’une femme est excisée, on ne lui enlève pas la totalité du clitoris, toute une partie interne est encore présente. Il y a des femmes qui arrivent à avoir du plaisir même sans opérations, en arrivant à stimuler le reste du clitoris", complète la directrice du GAMS.

#MeetYourClit : mieux faire connaître le clitoris

Le vendredi 4 février, le GAMS menait une action sur la place de la Monnaie, notamment pour sensibiliser sur l’organe qu’est le clitoris : "On classe trop les femmes ayant subi des mutilations génitales comme des victimes à vie, alors qu’avec un accompagnement, on peut aller mieux. Les femmes peuvent encore avoir droit au plaisir, au désir. On ne peut pas limiter une femme à son statut d’excisée. On souhaitait donc mettre en avant l’organe du clitoris, qui est l’organe du plaisir, parce qu’il est encore peu connu. Je suis sage-femme. À l’époque, on n’apprenait pas que le clitoris faisait environ 10 cm, on apprenait dans les planches anatomiques que c’était le petit bouton qui était à l’extérieur", raconte Fabienne Richard.

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Pour l’occasion, elles ont érigé un clitoris gonflable de cinq mètres et organisé un micro-trottoir, une animatrice de l’association elle-même déguisée en clitoris. Une action de sensibilisation positive et importante pour le GAMS pour mettre en lumière les mutilations génitales féminines : "Pour nous, c’est notre combat quotidien. Mais c’est important pour d’avoir une journée internationale pour avoir une lumière sur ce sujet, et d’en faire quelque chose de plus grand public. C’est aussi une manière pour nous d’avoir plus de visibilité, que les femmes elles-mêmes concernées puissent être interpellées sur leur droit à la santé sexuelle, que ça puisse leur donner le courage ou la force de franchir la porte des associations comme le GAMS ou des centres comme CeMaVie qui offrent un accompagnement global", poursuit-elle.

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Une sensibilisation qui doit continuer au quotidien et qui avance petit à petit grâce à l’intégration de mesures proposées par le GAMS dans le plan d’action national de lutte contre les violences basées sur le genre 2021-2025, ce dont se réjouit la directrice. Maintenant, "au-delà des paroles, nous avons besoin d’une réelle action politique, on espère que cela sera réellement mis en œuvre", conclut Fabienne Richard.

Les mutilations génitales restent un problème mondial

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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