Athlétisme

Nafi Thiam et Roger Lespagnard : l'inattendu mais prévisible divorce

Nafi Thiam change de coach : réaction de Roger Lespagnard

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

C’est tout le paradoxe de l’annonce surprise de Nafi Thiam. Une décision qui tombe à un moment inattendu, après une année exceptionnelle marquée par le titre olympique (août 2021) suivi du titre mondial (juillet 2022) et européen (août 2022). Un triptyque parfait pour une décision imparfaite. Mais une issue que certains entrevoyaient depuis un moment. Plus que d'une séparation, il faudra sans doute bien parler d’un divorce.

La naissance d’une championne

14 ans. C’est l’âge qu’avait Nafi quand sa maman a confié sa fille à Roger Lespagnard. Le coach avait alors la petite soixantaine. En détecteur de talent, le Liégeois savait quel diamant il avait entre les mains. Au cours d’un stage auquel j’assistais du côté d’Amiens lors d’un reportage consacré à Elisabeth Davin la hurdleuse, dans un coin de la salle il y avait Roger et quelques jeunes athlètes. C’est là que le sympathique coach de Fléron m’a dit pour la première fois en me montrant Nafissatou : "Regarde-la bien ! Ça c’est une pépite. Et on va aller loin avec elle". Regard visionnaire et quelques années plus tard, l’un des plus beaux palmarès du sport belge.

Un couple si atypique

La relation entre le coach et son athlète est forcément particulière. Avec une telle différence d’âge, les centres d’intérêt ne sont pas les mêmes. Mais ce qui a fait la force de ce duo c’est la compréhension mutuelle. Nafi tout d’abord qui s’est confiée corps et âme, presqu’aveuglément au début, à cet ancien décathlonien au franc-parler si rare. Nafi qui a livré son avenir à ce passionné si envoûté par une athlète possédant un tel potentiel. Roger ensuite qui avait (il faut bien utiliser le mode grammatical de l’imparfait) avec Nafi un rapport à la fois de papy avec sa petite fille, la protégeant du monde extérieur. Mais aussi un rapport de patron jouant de son autorité naturelle. Il n’était pas rare, pourtant, que Nafi ne fasse pas tout ce que Roger aurait souhaité qu’elle fasse. Mais il passait dessus comme on dit, conscient qu’il fallait lâcher parfois la bride et du lest pour le bien de son athlète et de leur collaboration.

Dans les bons et les moins bons moments

Roger Lespagnard a bien sûr sa part importante dans tous les succès de Nafi. Leur couple était efficace et touchant. Deux sacres olympiques, deux titres mondiaux, quatre titres européens (indoor et outdoor confondus). Tout ça ils l’ont fait ensemble. Quel palmarès ! Mais au-delà des médailles, Roger était aussi présent quand Nafi craquait en coulisses. Face à la pression du monde extérieur, à cette vie de jeune fille qui ne lui appartenait plus toujours. Comme après sa défaite aux Mondiaux de Doha en 2019. Comme après sa victoire à Tokyo aux Jeux de l'an dernier. Quand malgré le succès, des  larmes de fragilité ont coulé sur les joues d’une championne, si fière d’avoir surmonté les doutes et la pression après cette deuxième médaille d'or olympique. Oui Roger était là... toujours. Pour partager joies et larmes.

Les raisons du... divorce

Roger Lespagnard n’a, en tous cas, pas partagé cette annonce choc. Simplement parce que cette décision de la double championne olympique semble unilatérale. Certainement, en ont-ils parlé. Certainement ils n'étaient plus sur la même longueur d'onde. Le Liégeois est donc meurtri par ce changement de cap qui lui apparaît brutal. Car à bientôt 76 ans, il ne songeait pas à raccrocher. Il entrevoyait même déjà les prochains objectifs comme les Mondiaux de Budapest en août 2023, les JO de Paris l'année suivante et, secrètement, le record du monde de l’heptathlon. Et c’est peut-être là que se trouve une partie de l'explication à la décision de Thiam. Depuis 2016, elle a tout gagné. Il ne lui manque en fait qu’un sacre mondial en indoor (mais qui n’est pas prioritaire) et le record du monde. Se dit-elle peut-être que pour battre la marque de l’Américaine Jackie Joyner Kersee, il lui faut changer sa routine, changer sa méthode pour refaire de grosses perfs dans certaines épreuves, où jadis elle faisait d’énormes différences. Avec Roger, elle a progressé ces dernières saisons sur les haies, sur 800m... mais elle a aussi plafonné dans d’autres épreuves. Pour battre les 7.291 points du record du monde (qui date quand même de 1988), il faut retrouver ces grosses performances. Et Nafi (record personnel à 7.013 points) estime probablement aujourd’hui que son coach ne peut plus lui garantir cette marge de progression. Elle a besoin d'autre chose. Elle en a peut-être tout simplement marre de sa routine.

Nouveaux horizons

Dans son club de Liège on est aussi sous le choc. Rien ne laissait présager une telle annonce. De nouveaux horizons... de nouveaux souffles, voilà donc ce que cherche Nafi. A 28 ans la Namuroise sait que le temps passe, que le temps presse peut être aussi et que son corps ne lui laissera plus 10 ans pour accomplir ses dernières volontés. Mais qui fera ce dernier bout de chemin avec elle ? Quel entraîneur trouvera la clé du renouveau ? Une piste étrangère n’est pas exclue. Bob Kersee, époux de la recordwoman du monde que Nafi a rencontré au dernier Van Damme ? Il entraîne Sydney Mc Laughlin (record du monde du 400 haies) mais cela impliquerait un départ pour les USA. C’est peu probable. Un autre étranger... Jérome Simian, le coach de Kevin Mayer ? Ou alors la piste belge. Fernando Oliva, le coach de Noor Vidts ? Difficile d'entraîner les deux. Michael Van der Plaetsen ? Le coach et frère du décathlonien Thomas. Dont la carrière est gérée par Helena... l’actuelle manageuse de Nafi ! C’est sans doute une bonne piste. Ou encore un mix de plusieurs coachs spécifiques aux disciplines que Nafi voudraient encore approfondir. Seule Thiam à la réponse. Elle nous sera livrée un peu plus tard.

En attendant, la forme de l’annonce de notre championne (un simple post Instagram disant merci et rendant hommage à Roger au travers de quelques photos émouvantes ) peut surprendre elle aussi. Un post c’est tellement "réseaux sociaux". Tellement ce que Roger Lespagnard n’est pas. Conflit générationnel ? Entre nous, on aurait préféré une conférence de presse commune, à l’image de leur relation humaine depuis tant d’années. Côte à côte et non dos à dos. Pour que la séparation ne se transforme pas en déchirure. Car un tel conte de fées ne mérite pas de finir comme ça.

Sur la même thématique : JT du 11/10/2022

Nafi Thiam / Une athlète en briques

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous