Navettes autonomes : les expériences se multiplient, sans être encore concluantes

Navette autonome de la Stib

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Par Daphné Van Ossel

La navette autonome du TEC est désormais rentrée au dépôt : le projet pilote mené dans les rues de Louvain-La-Neuve est terminé. La ville estudiantine n’est évidemment pas la seule à s’être lancée dans l’aventure. D'autres projets ont vu le jour à Bruxelles ou en Wallonie. En France, par exemple, une quinzaine d’expérimentations étaient en cours en 2018, 2019 et 2020, et plusieurs autres ont été lancées en 2021. A Vienne, une expérience de 3 ans a pris fin cet été.

Dans la capitale autrichienne, “le temps des bus autonomes est pour l’instant révolu”. “Le projet a montré que la route vers la conduite autonome dans les transports publics locaux est encore longue”, signale encore Wiener Linien, la société de transport publique viennoise.

Pour le moment, on se rend compte qu’une navette autonome est tout sauf autonome.

A Louvain-la-Neuve, la conclusion n’est pas tellement différente. Si l’expérience est un succès en matière de collaboration (TEC-ville d’Ottignies LLN- SPW), et que le but est désormais d’analyser toutes les données récoltées (notamment par les capteurs de la navette), le constat est avant tout que la technologie n’est pas encore assez mature. “Pour le moment, on se rend compte qu’une navette autonome est tout sauf autonome.”, nous confiait Grégory Falisse, expert mobilité pour le développement urbain à l’UCLouvain.

Gros obstacles : une fleur et une brindille

Actuellement, les navettes autonomes sont encore accompagnées par des opérateurs prêts à agir en cas de pépin. Un exemple ? Une fleur, à Vienne, une brindille, à Louvain-la-Neuve. “On a eu un cas de freinage d’urgence, explique Stéphane Thiery, porte-parole du TEC, donc d’un freinage sec, qui peut projeter les gens qui sont debout ou pas attachés, provoqué par une mauvaise herbe qui avait poussé d’1 ou 2 cm au niveau de la bordure de l’arrêt. Pour la navette, ça aurait pu être le pied d’un enfant qui dépassait”. L’infrastructure doit donc être continuellement surveillée et adaptée.

La société de transport viennoise pointe aussi les conditions météorologiques : “Les vents forts, les faibles chutes de neige, les fortes pluies ou le brouillard obligent à commander les e-bus manuellement.

Queues de poisson et freinages d’urgence

Autre problème : la réaction des autres usagers de la route. “Il y a encore beaucoup de comportements inadéquats vis-à-vis de la navette, explique Stéphane Thiery. Elle a dû s’arrêter plusieurs fois à cause de motards qui lui faisaient une queue de poisson en la dépassant. Ils ne comprennent pas qu’on ne peut pas la dépasser, il y a un vrai apprentissage à faire !”


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Le Cerema, Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, un organisme public français qui a évalué plusieurs projets pilotes, a aussi soulevé ce problème de la vitesse des bus autonomes. Une vitesse qui tourne autour de 11 km/h.

Bruno Levilly, responsable du secteur ITS (Intelligent Transport System), trafic et régulation, explique : “La difficulté c’est de trouver l’équilibre. La navette doit aller assez vite que pour être plus rapide qu’un piéton, et en même temps pas trop vite pour des questions de sécurité routière.”

Un accident à Tokyo

C’est vrai que des accidents sont encore vite arrivés. Il y a quelques jours, une navette autonome du constructeur Toyota a heurté un athlète dans le village olympique de Tokyo. Toyota a suspendu son service et son président a déclaré : “Cela montre qu’il n’est pas encore réaliste de faire circuler des véhicules autonomes sur des routes normales.

Cela nous amène à une autre difficulté pour le secteur, que souligne Bart Jourquin, professeur en Transport et logisitique à l’UCLouvain : le manque de législation en la matière. “L’absence de cadre législatif est un frein, affirme-t-il. En cas d’accident : qui est responsable ? Le problème n’est pas résolu pour le moment.

En France, bientôt des navettes sans opérateurs à bord

En France, la législation va changer. A partir de 2022, des navettes autonomes pourront circuler sans opérateurs à bord (ils contrôleront à distance) et ce sera celui qui aura lancé le projet, l’expérience, qui sera tenu responsable en cas de problème.

Cela ne pose pas de problème au niveau technique, mais cela pourrait faire paniquer les passagers qui devraient communiquer à distance” remarque Xavier Tackoen, administrateur délégué du bureau d’études indépendant Espaces-Mobilités. Or, selon Bart Jourquin, professeur à l’UCLouvain, la question de l’acceptabilité sociale est centrale : les gens doivent avoir confiance pour monter dans un véhicule autonome, et ce n’est pas encore le cas pour tout le monde.

Pas de chauffeur, moins de coûts

Les obstacles technologiques, législatifs, sociaux sont donc bien réels mais tous nos interlocuteurs sur les avantages des navettes autonomes. Elles permettraient de réduire les coûts : 70% des coûts d’exploitation des transports publics sont liés au personnel.

L’idée n’est pas de faire des économies mais de faire plus avec le même budget”, précise Xavier Tackoen. Lancer des lignes dans des zones un peu moins denses, qui permettent de faire le lien avec une gare par exemple. “Par ailleurs, en Flandre ou à Singapour, on a déjà du mal à recruter des chauffeurs. Donc, selon moi, ça ne va pas supprimer des emplois.

Etendre les horaires

L’idée serait aussi de pouvoir étendre les horaires des transports collectifs, et de pouvoir offrir un service à la demande, sans avoir de chauffeur qui attend. Enfin, “c’est aussi intéressant dans des zones spécifiques, comme des aéroports, ou des sites industriels”, complète Bruno Levilly, du Cerema.

Gagner la course contre les voitures autonomes

Selon Xavier Tackoen, il y a aussi un autre enjeu, de taille : “Les navettes autonomes doivent absolument progresser, il ne faut pas qu’elles se fassent doubler par les voitures autonomes. Pour le moment, celles-ci progressent plus vite, or, si elles gagnent la course, ce serait catastrophique. Il est fondamental qu’on ne soit pas seul à bord des véhicules autonomes.

Pourquoi ? Parce que les voitures autonomes risquent bien d’augmenter le nombre de km parcourus. “La voiture viendra vous chercher à vide, elle fera donc des ‘kilomètres morts’, et par ailleurs, les 30 pourcents de la population qui n’ont pas la capacité de conduire aujourd’hui, comme les enfants, pourront se servir des voitures autonomes. Le nombre de kilomètres va donc exploser !” 

Pour Xavier Tackoen, comme pour Bruno Levilly, il faut donc absolument sensibiliser les pouvoirs politiques à ces questions, et continuer les expériences, même si elles ne sont pas encore assez fructueuses.

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